Editorial
Après le 11 septembre, la social-démocratie européenne, qui a emboîté le pas de la politique belliqueuse, a attaqué l'antienne d'une renaissance du keynésianisme. On en est loin. Les compagnies aériennes américaines se voyaient attribuer 10 milliards de dollars. Mais le personnel licencié en masse ' et précarisé depuis le milieu des années 1980 ' doit se battre avec des indemnités de chômage squelettiques, au moment où la politique fiscale avantage une fois de plus les grandes fortunes.
Une autre injection de fonds alimente le complexe militaro-industriel, avec ses ramifications. La décision de continuer la recherche et les essais sur le «bouclier antimissiles» s'inscrivent dans cette option. Cela sert aussi à financer des secteurs de recherche de pointe dans un contexte où la concurrence ' sur certains créneaux ' s'aiguise entre grandes firmes des Etats-Unis, du Japon et d'Europe.
Ces choix de la FED ne vont pas relancer l'économie. En novembre, la vague de licenciements a fait bondir le taux de chômage à 5,7%, son niveau le plus élevé depuis six ans. En trois mois, un million d'emplois ont été supprimés. Le sénateur Tom Daschle, le leader de la majorité ' qui a eu les honneurs de la presse car une lettre à l'anthrax lui était destinée ' a déclaré: «Les gens qui perdent leur emploi commencent à perdre espoir.» Dans ce climat, la demande finale des ménages (consommation) se contracte. Or, c'est un des moteurs de la croissance.
Dans les milieux boursiers, le consensus, jusqu'à maintenant, était le suivant: au second trimestre 2002, l'économie redémarrera.
Le doute est permis. La baisse des prix tend à annuler les effets de la baisse des taux d'intérêt. Parce que, au moment où les taux d'intérêt nominaux baissent, le taux réel (taux nominal moins taux d'inflation) augmente parce que les prix descendent. Ce qui nécessite une nouvelle baisse des taux. Si cela continue, sur une certaine période, la politique des taux perd son efficacité, la Fed manque de munitions. La crainte existe.
La relance pourrait venir du côté de l'investissement. Mais la profitabilité des entreprises est au plus bas. Selon une étude de J.P. Morgan (The Economistdu 6 décembre), les profits des entreprises non financières atteindraient leur niveau le plus bas depuis près de 50 ans. Avec des capacités de production sous-utilisées, le rebond par l'investissement suscite aussi le doute.
Quand aux effets stimulants en provenance des économies européennes et du Japon, il ne faut pas trop y compter. Au cours des cinq années passées, l'économie des Etats-Unis a participé à hauteur de 40% de la production mondiale.
La sortie de récession, après une période où la «bulle financière» a gonflé la tête des économistes boursiers, sera très probablement claudicante. Le «patriotisme» et la «guerre», ainsi que les législations répressives doivent servir à susciter peur et retenue chez les salarié·e·s.-réd.