N° 3 décembre 2001

Suisse: retraites, le piège

Alors que les feux de l'actualité étaient braqués ailleurs - Swissair, la guerre en Afghanistan - une sous-commission du Conseil national a lancé, le 9 octobre, une proposition relative à la révision de la Loi sur la prévoyance professionnelle (LPP; le 2e pilier) qui recèle un sérieux piège.

A lire certains titres de presse, la grâce sociale aurait touché cette sous-commission, pourtant présidée par une «dure» du Parti radical, la conseillère nationale Christine Egerszegi. «Une LPP plus coûteuse et plus généreuse s'esquisse», annonçait Le Temps (10 octobre 2001). Quant à l'Union syndicale suisse (USS), elle a titré son communiqué de presse: «Révision du 2e pilier: une percée».Vraiment?

La sous-commission LPP de la Commission de la sécurité sociale et de la santé publique (CSSS) propose, premièrement, que le montant de coordination - le seuil à partir duquel les salaires sont assurés au 2e pilier - soit réduit de moitié, de 24720 fr. à 12360 fr. La proportion des salarié·e·s non couvert·e·s par le 2e pilier (bas salaires, temps partiels) devrait ainsi reculer de 23% aujourd'hui à 12%. Chaque année, quelque 825 millions de francs de cotisations supplémentaires seraient versés à la prévoyance professionnelle.

Deuxièmement, la sous-commission a refusé de suivre les propositions du Conseil fédéral présentées comme une réponse à l'augmentation de l'espérance de vie (diminution du taux de conversion qui détermine, à partir d'un capital donné, la rente annuelle versée). Elle conteste de fait le discours alarmiste officiel à ce sujet. Enfin, les droits des assuré·e·s à l'égard des assurances privées gérant collectivement les prévoyances professionnelles de nombre d'entreprises devraient être renforcés.

Cette «générosité» - toute relative par ailleurs - recèle cependant un piège. La Neue Zürcher Zeitung, le quotidien des milieux d'affaires et du Parti radical, le présente sans gêne. Ces «propositions sont importantes en rapport avec les réformes en cours dans d'autres assurances sociales», explique la NZZ du 10 octobre 2001.

Traduisons en clair: si la couverture des femmes est renforcée dans le cadre de la prévoyance professionnelle, suite à la réduction de moitié du montant de coordination, les oppositions aux mesures de la 11e révision de l'AVS - la liquidation de l'essentiel des rentes de veuve; l'élévation de l'âge de la retraite des femmes à 65 ans - doivent cesser. De même pour la «retraite flexible»: le projet ultra-minimal du Conseil national pour atténuer un tout petit peu les baisses de rente en cas de retraite anticipée (400 millions de fr. par an, au lieu des 800 millions, déjà totalement insuffisants, du Conseil fédéral) doit être considéré comme acceptable. Le quotidien zurichois assène: «Ne pourront contester [ces conclusions] que ceux qui s'opposent pour des raisons idéologiques au renforcement du 2e pilier et qui, au contraire, continuent de rêver à des «rentes populaires», pourtant déjà rejetées par le peuple.»

Le piège est donc simple: prendre appui sur le mécontentement soulevé par la 11e révision de l'AVS pour imposer un nouveau rééquilibrage en faveur du 2e pilier, vache à lait pour les banques et les assurances privées, et faire franchir à l'AVS un nouveau pas vers sa régression en une sorte d'«assistance sociale» pour personnes âgées, servant des rentes totalement insuffisantes pour vivre.

Les premières réactions de l'USS et de «ténors» du Parti socialiste suisse - comme le conseiller national Rudolph Rechsteiner, qui a participé à l'élaboration de ce projet - font craindre que cela ne fonctionne. D'autant plus que les résistances patronales, qui se sont déjà manifestées, assureront à cette proposition le statut de «compromis», que les élus du Parti socialiste et les dirigeants de l'USS vont défendre avec encore plus de zèle.

La couverture vieillesse des personnes ayant touché toute leur vie des bas salaires (ou pas de salaire) est effectivement scandaleusement insuffisante. Mais une réponse socialement satisfaisante à cette situation ne peut être trouvée que dans le cadre d'un renforcement massif de l'AVS. Car l'AVS est la seule assurance sociale en Suisse construite avec un vrai mécanisme de solidarité entre hauts et bas revenus. Or ce mécanisme est indispensable pour garantir à toutes et à tous des rentes suffisantes. Il est par contre totalement absent du 2e pilier. Un fait que des idéologues de tous bords vont essayer de nous faire oublier ces prochains mois.


Afghanistan: en attendant la reconstruction..

Le 20 novembre, moins de deux semaines après le début des bombardements américains sur l'Afghanistan, une conférence internationale discutait, à l'invitation des Etats-Unis, de la «reconstruction de l'Afghanistan». Et annonçait, triomphalement, qu'un «programme d'action» avait été établi pour la reconstruction de ce pays. On pouvait donc continuer de bombarder la conscience tranquille.

Les Etats-Unis ont une solide tradition de détruire des pays entiers, de promettre un «plan Marshall» pour leur reconstruction… et de ne jamais verser un centime.

Le président Richard Nixon s'était ainsi engagé début 1973, après les accords de paix de Paris, à fournir un prêt d'environ 3,25 milliards de dollars pour la reconstruction du Vietnam, ravagé par les B-52. Ce pays n'a jamais vu la couleur de l'«aide» américaine. Pas plus que le Cambodge ou le Laos, également ensevelis sous les bombes. Ni la Grenade, Panama ou l'Irak..

Ou la Serbie. En 1999, 78 jours de bombardements ont mis à terre ses infrastructures économiques. Deux ans plus tard, le nouveau pouvoir serbe, «démocratique», a répondu avec application à toutes les exigences occidentales. Milosevic a été livré au Tribunal pénal international de La Haye. L'aide promise devrait enfin couler à flots. Une «conférence des donneurs» se réunit alors, en juin 2001, pour discuter de la reconstruction de la Yougoslavie. Zoran Djindjic, premier ministre serbe, pro-occidental, en dresse le bilan, dans un entretien accordé en juillet à l'hebdomadaire allemand Der Spiegel: «Il aurait été préférable que la conférence des donneurs n'ait pas lieu et, qu'à la place, on nous donne simplement 50 millions de dollars cash..En août, nous aurions dû recevoir un premier versement de 300 millions d'euros. Soudain, on nous a appris que, sur cette somme, 225 millions seront retenus pour le paiement de vieilles dettes, dont certaines datent de Tito[mort en 1980]. Deux tiers de ces retenues correspondent à des intérêts et des amendes qui se sont accumulés parce que Milosevic a refusé durant 10 ans de rembourser.[..] C'est comme administrer un médicament à une personne sérieusement malade après avoir attendu qu'elle soit morte.»

Mais, bien entendu, en Afghanistan cela sera complètement différent.

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