N°8 - 2002
Sommaire
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La Russie après le 11 septembre
- Poutine, petit soldat de
la mondialisation libérale (Denis Paillard)


Espagne
- Les enjeux européens de la grève générale du 20 juin (J.-F. Marquis)

Moyen-Orient
- La tragédie du peuple palestinien et les relations USA - régimes arabes (Edward Saïd)

Suisse

- economie suisse et l’OCDE fixent le cap (J.-F. Marquis)

Sans-papiers

- Créer les conditions d’un deuxième souffle (Lionel Roche)

Socialisme en débat
- «Qu’est-ce que le socialisme-à-partir-d’en-bas ?» IV (Hal Draper)

Capital-risque ?
- Les aventures de George W. et de Dick


2e pilier: voleurs ... et complices
«Au voleur !»: ce cri a déchiré la torpeur estivale qui commençait à s'installer, après l'annonce, le 3 juillet, par le Conseil fédéral de son intention de réduire de 4 % à 3 % le taux minimum garanti pour les fonds collectés par le 2e pilier.

Sur le champ, les têtes pensantes du Parti socialiste suisse (PSS) et de l'Union syndicale suisse (USS) n'ont pas reculé devant les mots les plus durs: «C'est un triple hold-up» (Christine Goll, vice-présidente du PSS, Le Temps, 9 juillet 2002) ; «Le Conseil fédéral est-il l'exécutant du lobby des assurances vie ?» (communiqué de presse de l'USS, 3 juillet 2002). A y regarder de plus près, la scène ressemble cependant à un classique des séries B. Un quidam est délesté de son porte-monnaie. Parmi la foule qui appelle au secours, deux individus particulièrement zélés: ils sont en fait des comparses et comptent bien se blanchir ainsi de tout soupçon. Le trait est-il trop sévère ? Qu'on en juge.

«Le gouvernement suisse a renforcé son aide aux compagnies d'assurances en difficulté'»: le Financial Times (4 juillet 2002) a vocation d'informer sans détour ceux qui placent leur argent en Bourse et qui, par exemple, possèdent des titres de Swisslife / Rentenanstalt, dont la valeur a presque été divisée par 5 (!) entre 2000 et aujourd'hui. Il va droit au but.

Les compagnies d'assurances helvétiques gèrent des fortunes énormes: 203 milliards en 2001 ('5,2 % par rapport à 2000 !) pour la seule Rentenanstalt. Engagées dans des opérations de croissance de grand style, elles ont été frappées de plein fouet par le retournement conjoncturel et l'éclatement de la bulle boursière: effondrement des rendements, érosion des avoirs, pressions sur la solvabilité, mauvaises notations, chute des actions'

Pour se refaire une santé, ces compagnies d'assurances ont donc décidé ' entre autres ' de faire passer à la caisse le 1,1 million environ de salarié·e·s dont elles gèrent le 2e pilier (environ 110 milliards de fr.) dans le cadre de fondations collectives. Depuis plus d'une année, elles ont lancé une campagne publique massive pour obtenir un abaissement du taux minimum garanti. Et actionné leurs réseaux: le président du conseil d'administration de la Rentenanstalt, Andres Leuenberger, présidait jusqu'à l'automne 2001 la faîtière patronale economiesuisse ; le président du Parti radical, Gerold Bührer, siège au conseil de la «Renten», de même que, jusqu'à ce printemps, Christine Beerli, présidente du groupe radical aux Chambres. Résultat: le Conseil fédéral s'est couché et il a abaissé le taux d'intérêt minimum en dessous du niveau des obligations de la Confédération ! Il a ainsi offert à la Rentenanstalt, ainsi qu'à la Bâloise, l'Helvetia Patria ou à la Winterthur (intégrée au Crédit Suisse), fortement engagées (entre 31,5 % et 19 % du total de leurs primes vie) sur ce marché qui leur a été très profitable, un solide coup de pouce pour résoudre leurs problèmes de solvabilité. Les salarié·e·s paieront l'addition avec des rentes réduites.

Cela n'est cependant que la moitié de l'histoire. Car, pour en arriver là et rendre possible ce «hold-up», encore a-t-il fallu construire cette gigantesque tirelire (490 milliards de francs en 2000), alimentée par l'épargne salariale forcée et où se servent les assurances. Or qui, en 1972, a mis tout son poids pour que les salarié·e·s n'appuient pas l'extension de l'AVS en retraites populaires, garantissant à toutes et à tous des rentes suffisantes, et pour qu'ils misent sur la prévoyance professionnelle ? Le PSS, Hans Peter Tschudi en tête, et l'USS. Qui a donné sa bénédiction au fait que le deuxième pilier soit un terrain d'affaires ' juteuses ' pour les banques et les assurances ? Encore le PSS et l'USS. Qui, il y a encore trois mois, s'est battu pour que davantage de salarié·e·s ' avec des très bas salaires ' doivent cotiser au 2e pilier (et puissent se faire piller, demain, par les assurances), alors que tout combat pour un renforcement significatif de l'AVS a été abandonné ? Toujours le PSS et l'USS. Bref, depuis 3 décennies, Le PSS et l'USS n'ont pas manqué une occasion d'inciter les salarié·e·s à faire confiance au 2e pilier pour leurs retraites. On connaît la suite.

E t maintenant ? Après la minute de fâcherie, vient déjà le temps retrouvé de la «concertation». USS et PSS «exigent» plus de transparence ? «Mais bien sûr», répondent les assureurs: ils savent qu'ils n'auront aucune difficulté à livrer des comptes «transparents» légitimant de façon incontestable ' puisque «transparente» ' leurs exigences. Les salarié·e·s de Swissair en savent quelque chose. Descendre de 4 % à 3 %, c'est trop et ce n'est pas justifié ? Soit. D'ici cet automne, parions que les rapports d'«experts» vont se multiplier. Et, pour «calmer les esprits», on proposera peut-être une baisse un peu réduite ' 3,25 %, par exemple ' ou un peu retardée. D'ailleurs, Colette Nova, secrétaire de l'USS responsable du dossier, a déjà expliqué que «nous [l'USS] ne sommes pas a priori opposés à toute baisse, mais nous estimons que toute baisse doit être justifiée» (Service de presse USS, 11 juillet 2002). Dans tous les cas, l'accord s'est déjà fait sur un taux minimum dorénavant plus «flexible», qui devrait aussi bénéficier aux assuré·e·s lorsque les paramètres de référence montent. Sans doute comme la baisse des taux hypothécaire profite systématiquement aux locataires'

Tout est ainsi fait pour que la situation rentre dans l'ordre, au plus vite. Et qu'aucune question ne soit posée sur le système même du 2e pilier. Alors que l'enjeu, c'est bien ce système. Du côté bourgeois, on accumule la munition pour faire glisser le 2e pilier du côté du 3e: une prévoyance largement individualisée, où tous les risques sont assumés par les salarié·e·s. C'est la perspective tracée par l'étude publiée en juin par le think tank patronal Avenir suisse. Du côté des salarié·e·s, cette crise et les problèmes mis à jour dans le cadre de la première révision de la LPP (cf. à l'encontre N° 7), devraient être l'occasion de reposer l'exigence d'une sortie du système des trois piliers au profit de retraites populaires, financées sur le mode solidaire de l'AVS, et conçues pour garantir à toutes et à tous des rentes suffisantes. Nous y reviendrons. ' jfm

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