N°8 - 2002

Capital-risque ?

Les aventures de George W. et de Dick

Pour la première fois dans l'histoire des Etats-Unis, un détenteur d'un MBA (Master of Business Administration) siège dans le bureau ovale, George W. Bush. Son bras droit, le vice-président Richard (Dick) Cheney, n'est pas exactement un empoté puisqu'il a été le PDG de la société géante d'ingénierie pétrolière Halliburton. Cela devrait rassurer. Après tout, peut-on rêver d'une meilleure conjoncture que d'avoir au poste de commandement des Etats-Unis deux personnes capables de faire la différence entre un déficit et un bénéfice ?

Mais au moment où la plus importante économie capitaliste du monde tremble sous l'annonce, en cascade, des fraudes faites par ses grandes sociétés, ses deux principaux dirigeants politiques ne sont pas épargnés par des rapports concernant leurs activités passées à la tête de diverses entreprises. Les accusations portées contre les directeurs de Enron, WorldCom, Quest, Xerox, etc. ne sont pas sans similarité avec ce qui pourrait être reproché à George W. Bush et Dick Cheney dans leurs activités passées.

Bush et Harken Energy

• 1986: la compagnie pétrolière de Bush, Spectrum 7, faisait faillite. Elle fut sauvée par Harken Energy. Harken absorba Spectrum et Bush reçut des actions de Harken. Il fut placé dans le conseil d'administration, reçut des stock-options et un contrat de consultant plus que favorable.

• 1987: avec sa nouvelle figure dirigeante, Harken émit pour 25 millions d'actions, placées par une société sise à Little Rock (Arkansas), Stephens Inc.

• 1987-1989: malgré les millions perdus, année après année, par Harken, Bush reçut un prêt de Harken de 180 375 dollars, prêt qui fut «oublié» par la suite. Durant toute la période où Bush se trouva dans le directoire de la société Harken, des prêts à hauteur de 341 000 dollars furent octroyés à des directeurs et furent tous «oubliés» par la suite.

• 1989: au moment où Harken devait reconnaître une perte de 13,4 millions, la société, avec l'accord du conseil d'administration, arrangea la vente fictive d'une filiale de Harken, Aloha Petroleum, à des membres de la direction de Harken qui payèrent 7,9 millions... qui leur avaient été prêtés par Harken. Ce «profit», construit soudainement, permit à Harken de déclarer une perte finale moins choquante, puisque se situant à hauteur de 3,3 millions pour 1989.

• 1990: en janvier de cette année, Harken a étonné l'industrie pétrolière en annonçant que cette petite société texane, qui perdait de l'argent, avait battu la grande société pétrolière Amoco et obtenu un contrat exclusif pour extraire du pétrole à Bahreïn, dans le Golfe. Le père de George W. Bush était président. Les actions de Harken vont grimper fortement. Cette bonne affaire est arrivée à point. En effet, Harken était endettée auprès des banques à hauteur de 150 millions de dollars. Un comité fut mis en place pour restructurer Harken. George W. Bush s'y trouvait. Avec la société financière Smith Barney, ce comité devait trouver des solutions pour sortir Harken de ses difficultés.

• Juin 1990: Bush trouve sa propre solution pour se sortir des difficultés. Il revend 212 140 actions, ramassant 848 560 dollars au passage. Il remplit le formulaire 144 de la SEC (Commission des opérations de Bourse) sur lequel est indiquée l'intention de vendre, mais il ne remplit pas le formulaire 4 qui permet à la SEC de savoir si l'opération repose sur des informations publiques concernant la société dont on vend les actions ou des informations internes (délit d'initié). Bush vendit ses actions plusieurs semaines avant que le comité de restructuration de Harken annonce une perte de 23 millions de dollars.

• 1991: la SEC opéra un contrôle de l'opération de vente de Bush et ordonna à Harken d'annuler la vente fictive de Aloha Petroleum. Harken dut publier un nouveau rapport sur sa situation de 1989, reconnaissant dès lors une perte de 13,4 millions. L'enquête concernant les accusations d'opérations de vente de Bush, à partir d'informations internes, fut rapidement close, sans même que Bush soit interviewé ni qu'aucun directeur de Harken le soit...

Dick Cheney et Halliburton

Dick Cheney a été nommé à la tête de Halliburton en 1995. Il resta à ce poste presque jusqu'au moment où il devint vice-président. Cheney était spécialisé pour passer les contrats avec les gouvernements. Durant son activité, Halliburton a passé des contrats pour 2,3 milliards de dollars, contre 1,2 milliard au cours des cinq ans précédents.

Toutefois, en 1998, Halliburton traverse certaines difficultés, en grande partie suite à l'achat, fait sous la houlette de Dick Cheney, de Dresser Industries. En achetant Dresser, Halliburton avait aussi «acheté» des milliers de plaintes à l'encontre de Dresser déposées par ses salariés. Ces derniers réclamaient dommages et intérêts à cause des graves atteintes à leur santé provoquées par de l'amiante. Ces «problèmes légaux» commençaient à avoir des effets sur les résultats de Halliburton. La direction, pour y faire face, supprima 10 000 emplois.

Et pour redresser la situation, Cheney, Halliburton et la firme d'audit Arthur Andersen décidèrent de réorganiser la comptabilité de la société. Avant 1998, les revenus qui n'étaient pas encaissés et qui étaient contestés (autrement dit les factures non payées) n'étaient pas comptabilisés jusqu'à ce que l'affaire soit réglée ou que la perte soit enregistrée. Depuis 1998, cette règle est changée et des sommes importantes (98 millions en 1999, 113 en 2000, 234 en 2001) sont comptabilisées dans les revenus. Au plan comptable, il est accepté d'enregistrer une part de ces revenus lorsqu'ils sont considérés comme «probables», mais pas quand ils sont considérés comme «possibles». En mai 2002, la SEC a ouvert une enquête sur cette «comptabilité agressive» de Halliburton.

L'agressivité s'exprimait aussi au plan du salaire de Dick Cheney. Au cours de ces cinq ans, il gagna 12,5 millions de dollars. Il faut y ajouter 18,5 millions de dollars, obtenus par Cheney lorsqu'il vendit, en août 2000, au moment où il avait quitté Halliburton, 600 000 actions de cette société. Les actions de Halliburton sont passées de 60 dollars à moins de 13 ; elles commencèrent à baisser quelque temps après août 2000. La chute s'est surtout accentuée dans la dernière période.

Parmi les questions que devrait poser la SEC à Dick Cheney, deux sont intéressantes. Cheney a-t-il travaillé étroitement avec Arthur Andersen (qui a déjà fait ses preuves avec Enron) pour modifier la comptabilité de Halliburton ? Et les revenus de Cheney, qui évoluaient en relation avec les résultats de la société, ont-ils été modifiés sous l'effet de cette nouvelle comptabilité ?

La nouvelle figure de la SEC, Harvey Pitt - ancien avocat d'Arthur Andersen avant d'être placé à la tête de la SEC -, poussera-t-il son enquête très loin ? Ceux qui parlaient à l'occasion de toutes les crises des économies émergentes (de la Corée du Sud à l'Argentine) de «capitalisme de copains» connaissent suffisamment bien les mécanismes de ce système pour savoir où le pouvoir doit placer la limite de la transparence. -
Stephen Ozzip

 

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