N°10 - 2003

Retrait immédiat
de Gaza et de la Cisjordanie !
Détruire la Palestine,
ou comment terminer la guerre de 1948
Tanya REINHART,
Editions, La Fabrique, 2002, 159 pages.

Dans son livre Détruire la Palestine, ou comment terminer la guerre de 1948, Tanya Reinhart entend tordre le cou à quelques-uns des mythes officiels de l'histoire récente du conflit israélo-palestinien. Cette linguiste, professeur à Tel-Aviv et chroniqueuse dans le grand quotidien Yediot Aharonot, se sert des documents parus dans la presse israélienne pour montrer, tout à la fois, comment se constitue la version dominante des événements de ces dernières années et comment une lecture attentive peut y trouver tous les éléments pour la déconstruction de cette version, dans les déclarations souvent parfaitement cyniques des dirigeants sionistes. L'auteur signe ici une critique intransigeante et extrêmement bien documentée de la direction sioniste de son propre pays.

La venue de Sharon - accompagné de centaines de policiers et soldats ! - sur l'esplanade des Mosquées de Jérusalem, en septembre 2000, fut présentée dans les médias comme le déclencheur de la seconde Intifada. Tanya Reinhart rappelle qu'il s'agissait en vérité de l'épisode «de trop», s'inscrivant dans une succession de blessures et d'humiliations infligées aux Palestiniens tout au long d'un dit processus de paix, qualifié de «processus d'Oslo».

Quelques mois auparavant, Ehud Barak, alors premier ministre, annonçait son intention de parvenir à un accord final. La presse du monde entier parla alors des «offres généreuses» de Barak lors des négociations de Camp David, puis stigmatisa le «refus arabe». En fait «d'offre généreuse», c'est une version d'un vieux plan de 1995 - le plan Yossi Beilin-Abou Mazen - qui fut servie aux Palestiniens. C'est ce même plan qui servira en janvier 2001 lors des secondes négociations de Taba où l'on affirma pourtant que «les deux parties ne furent jamais si près d'un accord». Ce plan prévoit qu'Israël rendrait 90 % de la Cisjordanie, dont 40 % toutefois resteraient occupés par des colonies et des zones de sécurité contrôlées par l'armée israélienne. La partition annoncée de Jérusalem se limitait également à une vieille promesse israélienne: la cession du village d'Abou Dis, à proximité de la ville, destiné à devenir la capitale d'un futur Etat palestinien. A aucun moment il ne fut question de revenir sur l'annexion en 1967 de Jérusalem-Est. Enfin le droit au retour des réfugiés palestiniens devait être laissé à la discrétion d'Israël, qui refusait le principe même d'un dédommagement israélien aux réfugiés.

Dans ces conditions, Tanya Reinhart s'interroge sur les intentions réelles du gouvernement israélien de parvenir à un accord: le sommet de Camp David (juillet 2000) paraît bien plutôt avoir été miné d'avance. L'auteur rappelle alors que Barak fut un opposant de la première heure au «processus d'Oslo». A l'instar de Sharon dont il fut l'un des proches officiers, Barak appartient à cette lignée de premiers ministres issus du cénacle de l'armée - une armée qui constitue, selon Tanya Reinhart, un véritable «gouvernement permanent» en Israël et qui depuis 1948 assure une continuité politique redoutable. Alors que l'establishment israélien débattait ouvertement de deux options - celle de la création de bantoustans palestiniens (l'option d'Oslo) et celle du transfert des Palestiniens hors de Palestine (l'option de 1948) - les milieux militaires n'ont jamais caché leur préférence pour la seconde. Sharon lui-même, au cours des années 1980, affirmait à qui voulait l'entendre que l'Etat palestinien existait déjà... en Jordanie. Ce même Sharon déclarait il y a une année: «La guerre d'indépendance n'est pas terminée. Non. 1948 n'était qu'un chapitre.»

Alors que la population israélienne à la veille de Camp David était massivement en faveur de la paix et d'un retrait des colonies, il semble évident, pour l'auteur, que Barak avait l'intention d'en découdre avec les «concessions» d'Oslo - dont la logique était pourtant celle de «négociations permanentes» pendant lesquelles la colonisation n'a cessé de gagner du terrain. La situation qui résulta de l'échec programmé des négociations de juillet 2000 répondait plutôt à une logique autre, que Barak avait présentée sans fard dans la presse en 1994 comme l'alternative à la création d'un Etat palestinien fantoche: la liquidation de l'OLP et la répression des mouvements islamistes qui prendraient sa place.

Cette seconde stratégie fut partiellement mise en ôuvre depuis le début de l'actuelle Intifada, marquée par la violence inouïe des moyens employés par Israël, et ce déjà bien avant les premiers attentats contre les civils israéliens. Aujourd'hui, cette option participe d'un processus, d'une stratégie où s'entremêlent les objectifs régionaux des Etats-Unis, la politique de l'Etat d'Israël et une probable nouvelle guerre (Irak)1.

Tanya Reinhart affirme avec force qu'il n'y a qu'une seule solution: le retrait immédiat des troupes israéliennes de Gaza et de la Cisjordanie. Cette proposition «est devenue aujourd'hui une solution réaliste» et en Israël le mouvement pour la paix, dans sa diversité, la défend. A l'opposé du «retrait unilatéral» proposé par Barak, qui devait élever des barrières autour des enclaves palestiniennes, le retrait immédiat tel qu'il est entendu ici passe par le démantèlement inconditionnel des colonies - et une majorité de colons demande effectivement à rentrer en Israël. Il constituerait le préalable à toute négociation: la possibilité pour la société palestinienne de commencer à se reconstruire. Alors pourra être abordée la question de l'intégration de la Palestine dans la structure politique régionale, à travers diverses options: l'Etat binational, deux Etats séparés, ou une fédération plus large d'Etats. - Antonin Wiser

1. Voir sur le site www.alencontre.org, l'article d'Edward Saïd, Israël, l'Irak et les Etats-Unis.

 

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