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Non au dumping salarial et social
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Le «paquet» déploie ses effets

Jean-François Marquis

Déjà maintenant, la «sainte alliance» en faveur du «paquet» libre circulation / mesures d’accompagnement au rabais bride la mobilisation collective des salarié·e·s.

Le débat à propos du «paquet» libre circulation/mesures d’accompagnement au rabais est un des plus importants, depuis longtemps en Suisse, à traverser les organisations syndicales et politiques disant être de gauche. Avant même la votation du 25 septembre, ce «paquet» déploie ses effets. Les arguments sont donc soumis au test de la réalité.

«Sainte alliance»

Le 1er avril (!), les autorités organisent une conférence de presse pour présenter leur bilan des mesures d’accompagnement I. A 6 mois de la votation du 25 septembre, il s’agit de rassurer. A tout prix. La Tribune de Genève (2 avril 2005) résume le message dans son titre: «Sainte alliance pour l’ouverture à l’Europe: «Le dumping social sous contrôle». La sainte alliance est incarnée: Joseph Deiss, conseiller fédéral, Jean-Luc Nordmann, vice-directeur du Seco (Secrétariat à l’économie), Peter Hasler, directeur de l’Union patronale suisse (UPS) et Serge Gaillard, secrétaire dirigeant de l’Union syndicale suisse (USS), sont côte à côte pour annoncer la «bonne nouvelle», à coup de chiffres extraits d’une «étude» du Seco. Dont Hans Baumann, secrétaire central d’Unia, dit: «Les chiffres du Seco ne sont que de la poudre aux yeux» (L’événement syndical, 6 avril 2005)1.

La même «sainte alliance» opère à propos de Schengen/Dublin (cf. p.3): «Une entente entre la gauche (compris les Verts) et la frange bourgeoise modérée –radicaux et démocrates-chrétiens– a été formalisée. Du moins en coulisse», explique 24 heures (1eravril 2005). Avec la bénédiction d’economiesuisse qui mobilise pour cette cause le gotha du patronat helvétique (cf. Le Temps, 16 avril 2005).

La démonstration de à quoi sert cette «sainte alliance» est faite sous nos yeux. Serge Gaillard convie les salarié·e·s à donner leur confiance aux mesures d’accompagnement et à la bonne volonté du patronat pour les mettre en œuvre. L’UPS, que dirige Peter Hasler, publie trois semaines plus tard dans Employeur suisse (21 avril 2005) un plaidoyer enthousiaste en faveur du projet de directive Bolkestein, «controversé, mais nécessaire». Une directive dont le but est de faire voler en éclats tous les dispositifs de protection des salarié·e·s (cf. La brèche No 11). Mais il faut faire confiance aux mesures d’accompagnement… On voudrait endormir les salarié·e·s face aux coups qui les menacent qu’on ne s’y prendrait pas autrement.

Position intenable

L’impact de cette «sainte alliance» est tout aussi net sur le terrain syndical: il accélère la fin d’une époque.

Dans la construction, le patronat a lancé une attaque violente contre la convention nationale (CN) du gros œuvre (cf. La brèche No 10). Qui faite suite à une succession de vides conventionnels dans le second œuvre: platriers-peintres, menuisiers, etc. Cette brutalité met la direction d’Unia dans une position intenable… en vue de la votation du 25 septembre. «Il va de soi que sans une CN [convention collective de travail] solide, qui les protège du dumping salarial et social, les travailleurs de la construction ne voteront pas pour l’extension de la libre circulation des personnes en septembre prochain», annonce Unia le 14 avril dernier.

Cette affirmation devrait, logiquement, faire réfléchir dans les hautes sphères syndicales. En 2004, il y avait selon l’Office fédéral de la statistique (OFS) 1,414 million de salarié·e·s soumis à une CCT, sur un total de 4,178 millions de personnes actives. Même en tenant compte du personnel des collectivités publiques, cela fait une minorité de salarié·e·s du privé disposant d’une CCT. Qui est souvent tout sauf «solide». La conclusion pour la votation du 25 septembre devrait couler de source…

La «task force» à la manœuvre

Mais quelles sont, dans la réalité, les conséquences du lien construit par la direction d’Unia entre son soutien au «paquet» et l’avenir de la CCT de la construction? Est-ce un point d’appui pour renforcer la mobilisation et l’organisation des salarié·e·s en faveur de la défense de leurs intérêts? Pour mener une action plus déterminée? Pour faire progresser l’idée de droits des travailleurs?

La réalité est inverse: ce lien bride la mobilisation et enferre encore davantage l’organisation syndicale dans les filets du néocorporatisme. La lutte syndicale ne sort pas renforcée. Mais subordonnée à la «sainte alliance».

La mobilisation des plâtriers peintres de Suisse alémanique, sans CCT depuis un an, a été laissée au point mort depuis l’été 2004. Une médiation du Seco a été sollicitée (NZZ, 16.4.2005). L’ancienne CCT sera prolongée pour deux ans. La revendication d’une retraite anticipée est enterrée. L’augmentation des salaires de Fr.110.– compense à peine les pertes subies. Et les patrons ont obtenu un début d’affaiblissement de la protection des salarié·e·s en congé maladie.

Un scénario analogue se met en place pour la CCT du gros œuvre. Cette fois-ci, c’est la «task force» –Hasler, Gaillard, Deiss, etc.– mise en place en 2004 pour sceller la «sainte alliance» qui est mobilisée. Il s’agit d’obtenir d’ici la mi-juin la prolongation de cette CCT, pour une ou deux années. Vasco Pedrina, le coprésident d’Unia, le veut. Pour qu’Unia ait les mains libres en vue du 25 septembre. Les revendications, le rythme et la forme des «actions» sont soumis à cet objectif.

Pendant ce temps, sur les chantiers, la généralisation du travail temporaire et de la sous-traitance, le recours en nombre aux travailleurs détachés et aux faux indépendants sont en train de déstructurer complètement les collectifs de travail (on ne se connaît même plus), de briser les solidarités, de permettre une flexibilité sans borne, de faire que le dumping salarial et social devienne le mode de fonctionnement normal de toute la branche.

Seule une mobilisation collective, difficile et donc à construire sur la durée, ainsi qu’un vrai travail de revalorisation des droits fondamentaux des salarié·e·s pourraient inverser la tendance. Sans quoi, la prolongation de la CCT ne fera que retarder le moment où les entrepreneurs présenteront la douloureuse addition, sous la forme d’une mise à niveau du contenu de la CCT sur les pratiques déjà imposées sur les chantiers.

Fils à la patte

Mais, pour cela, il ne faudrait pas avoir le fil à la patte du OUI au «paquet» le 25 septembre. Un fil double en réalité. Il y a, premièrement, le néocorporatisme de la «sainte alliance pour l’ouverture à l’Europe», qui amène à jeter de la «poudre aux yeux» aux salarié·e·s.

Mais il y a aussi les nœuds coulants tressés au sein même d’Unia. La composante FTMH d’Unia est historiquement subordonnée au patronat de l’industrie des machines (Swissmem). Aujourd’hui, elle s’est tellement affaiblie –elle est devenue minoritaire face aux autres organisations de salarié·e·s: VSAM et Syna– qu’elle n’a plus guère que sa docilité à faire valoir pour être encore prise en considération par Swissmem. Le renouvellement de la CCT de l’industrie des machines, dont les négociations débuteront en août, en fera la démonstration. Or, pour Swissmem, les bilatérales et la libre circulation sont décisives: pour accéder à des marchés d’exportation ainsi qu’à une main-d’œuvre qualifiée et bon marché. La composante FTMH d’Unia n’acceptera dès lors jamais qu’Unia dise NON au «paquet» le 25 septembre. Et la composante SIB d’Unia se retrouve ligotée…

Les deux évènements majeurs de ces derniers mois pour les syndicats en Suisse –la création d’Unia et le soutien au «paquet»– conjuguent ainsi leurs effets. Les directions syndicales ont «vendu» ces choix comme devant renforcer les salarié·e·s et leurs droits. Ils sont en réalité en train d’étendre la subordination de la défense des intérêts ouvriers aux priorités patronales. A moins que les débats de ces prochaines semaines et qu’un NON le 25 septembre ne jettent un grain de sable dans cet engrenage, fait pour broyer l’organisation collective des salarié·e·s dans ce pays.

1. Voir l'analyse de ce rapport du Seco

 
         
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