labreche  

 

         
Le «Lied» du teamleader
homeR
 


Lorsque La Poste «évolue en profondeur» (II)

Jean-Marie Gerber

Nous poursuivons ici notre parcours dans les couloirs de La Poste Suisse version XXIe siècle (voir notre article précédent dans La brèche N° 5). Pour se conformer aux exigences du management et de la libéralisation-privatisation, l’anglais s’impose. Nous avions examiné, précédemment, le rôle attribué au teamleader

Multiplication des statuts

Le teamleader – chef de groupe nouvelle version – «gère» un team, composé d’une dizaine de membres. Un adjoint l’accompagne. Les deux disposent d’un avantage salarial. Cette nouvelle hiérarchie sert de bras de levier pour une réorganisation profonde du travail. Elle s’appuie sur deux éléments: le premier, le postier «traditionnel» est transformé en distributeur polyvalent, le second relève de la création d’une catégorie: les distributeurs de base.

1º Les distributeurs polyvalents doivent connaître trois autres tournées en plus de celle dont ils sont «titulaires». Chaque mois, ils sont soumis à une rotation qui est sanctionnée par un quota de flexibilité, attribué à l’ensemble du team. Ainsi, chaque jour passé par un facteur sur une autre tournée que la «sienne» équivaut à un certain nombre de points; le groupe doit atteindre un chiffre déterminé chaque mois. Pour réaliser l’objectif, le système d’attribution des points contraint les membres de l’équipe à prendre en charge plusieurs tournées, et intégrer ainsi la flexibilité.

2º Progressivement prennent place dans les équipes des distributeurs de base. Ils sont appelés EF 2, pour en quelque sorte les dépersonnaliser et valider un salaire mensuel d’environ 1800 francs, pour un taux d’emploi de 50%. Dans sa recherche d’EF 2 –acronyme pour «échelle de fonction numéro 2»– la direction vise à engager des personnes ayant un taux d’occupation oscillant entre 20 et 50%, cela «en fonction des volumes». Une flexibilité puissance deux est mise en place.

Ces salarié·e·s «d’appoint» travaillent de 8h00 à 12h00 environ; ils ne trient pas le courrier et ne doivent pas, officiellement, distribuer les envois postaux «spéciaux» (mandats de paiement, actes de poursuite et recommandés). Le but de la direction est que cette catégorie constitue la moitié du personnel à l’échéance de 2018. Cette précarisation va accroître la féminisation et «servir de débouché» à des salarié·e·s déjà fragilisés.

Le team autosuffisant

Jusqu’ici, en cas d’absences «extraordinaires», les groupes étaient assurés de voir les tournées vacantes couvertes par un remplaçant, y compris au «pied levé». Désormais, les équipes ne comptent pas plus d’un remplaçant. Les congés des membres du team doivent être planifiés en conséquence: plus de vacances simultanées de deux personnes. Résultat: chaque automne –date à laquelle doivent être planifiées les vacances pour l’année suivante– des tensions apparaissent dans les groupes, sans mentionner le casse-tête auquel est soumis le teamleader pour tenter d’«arranger les affaires».

Schématiquement se met en place une organisation du travail mise sous tension permanente car censée s’adapter aux fluctuations des envois. Pour prétendument répondre aux cassures (maladies, accidents, etc.) du flux tendu, des «plans catastrophes» (sic) sont mis en place. Ces «plans» peuvent se résumer en une formule: reporter sur les membres présents de l’équipe la charge de travail.

Flexibilité et intensification du travail vont ainsi de pair, avec les conséquences qui en découlent sur la santé. Le paradoxe est classique: plus l’intensification croît, plus l’absentéisme augmente, plus les tensions se développent. La direction tend à camoufler cette réalité par l’introduction d’un langage illustrant une prétendue nouvelle efficacité. Et, plus classiquement, elle fait appel aux «réflexes d’entraide» qui existent encore parmi les facteurs. Cela sert aussi à faire obstacle à une réaction de refus collectif des nouvelles normes. 

Un nouveau calcul du temps de travail

Il n’y a pas de nouvelle organisation du travail sans nouvelles prescriptions en matière de temps de travail. Sous la dénomination de move-it ! (puis de PPP - Planification, Personnel, Performance) «la Poste poursuit l’objectif d’adopter un modèle de temps de travail transparent qui fournit en même temps un instrument de gestion efficace, sans inconvénient pour la clientèle extérieure ni pour l’offre de prestation. Move-it! souhaite main­tenir une flexibilité avec une mise en œuvre basée sur la confiance et la responsabilité individuelle. Pour des raisons d’organisation, le début du travail avant 6 heures n’est ni nécessaire ni voulu par La Poste.» Toutefois, le texte de cette convention proposée aux salarié·e·s ne manque pas d’indiquer que ceux qui «entrent en service avant 6 heures» suite à «une décision personnelle et volontaire ne percevront pas l’indemnité de nuit prévue par la CCT [convention collective de travail]». Il va sans dire que la «décision personnelle et volontaire» n’est que la traduction d’une contrainte et la suppression de «l’indemnité de nuit» fait partie d’une stratégie de plus en plus généralisée.

Au-delà de ce changement matinal et à la marge, il faut décrire le nouveau «modèle de temps de travail» tel qu’il est prévu. On peut l’exposer en cinq points.

1º Depuis le 1er janvier 2008, l’annualisation du temps de travail sera introduite. Flexibilité et annualisation du temps de travail forment un couple à la mode dans tous les secteurs économiques.

2° Les «valeurs-temps» attribuées à chaque type d’envois (voir article La brèche No 5) servent de base de la détermination du temps de travail. Afin de tenter «d’harmoniser» le fonctionnement des nouveaux centres de tri du courrier et la distribution, une «planification» est prévue. Elle repose sur l’établissement anticipé de «budgets-temps», quotidiens et mobiles, qui vont servir de référence pour la gestion temporelle de l’activité des teams.

3º Dès lors, un instrument de surveillance et de mesure doit être introduit: les facteurs sont en train de recevoir des scanners. Ils servent à scanner les codes-barres des recommandés, à mesurer les différentes étapes du temps de travail (entrée en service, pauses, différentes parties du travail: préparation, tri, aide, participation aux séances, etc.). De plus, ils fonctionnent sur le mode du GPS, en temps réel. Le teamleader dispose ainsi d’une sorte de confession journalière, complète, des membres de l’équipe.

4º En fin de journée, selon le nouveau modèle PPP, le teamleader sera informé du volume de courrier de son team pour le lendemain. Un des buts est de gérer la flexibilité d’ensemble du groupe: selon les données à disposition, il pourra soit libérer plus tôt un distributeur polyvalent –qui verra ainsi son stock d’heures supplémentaires réduites et plus payées –, soit faire appel à un EF 2 pour aider. On imagine ici le nombre de combinaisons possibles et les pressions qui vont s’exercer sur le team, qui n’existera pas comme collectif de travail pouvant potentiellement réagir mais sera transformé en une «variable d’ajustement» dépersonnalisée face aux fluctuations des volumes de courrier et des nouveaux produits à distribuer.

5º Selon les normes PPP, le team se voit attribuer un nombre d’heures journalier. Si ce dernier est fixé à 57 heures, par exemple, l’addition du temps de travail des membres du team doit correspondre à cette prévision. Un surplus d’heures doit être justifié: mauvaises conditions météorologiques, estimation du volume de courrier erronée, etc. Il en ira de même en cas de «déficit» d’heures. C’est ainsi que sera gérée l’annualisation du temps de travail de chacun, avec les marges positives et négatives. Cela va déboucher sur une modification du volume de l’emploi (nombre d’équipes, taille et composition de ces dernières). En outre, la configuration des tournées sera en permanence réadaptée. Tout cela sera présenté sous le label de la modernité, de «l’adaptation aux besoins de la clientèle» et de la «solidarité entre collaborateurs» dans une entreprise où les syndicats servent de partenaire junior de la «gestion des ressources humaines». 

L’ancien et le nouveau, est-ce la même chose?

La nouvelle organisation du travail construit un nouveau type de salarié. Le slogan en vigueur à La Poste devrait être modifié de la sorte: cette entreprise fabrique des postiers «flexibles, précaires, mécontents» et non pas «fiables, aimables, uniques».

La direction et l’ensemble de la hiérarchie cherchent à modeler les salarié·e·s en utilisant divers instruments. Ainsi, les «sommets» occupent en permanence l’espace afin d’empêcher que puissent émerger des remises en cause de ces changements brutaux toujours présentés comme des adaptations nécessaires et positives, valorisantes pour celles et ceux qui «s’engagent vraiment». En outre, l’effort de bourrage de crâne doit aussi permettre, au travers d’une dite information, le formatage du nouveau salarié de La Poste. Enfin, le matraquage informatif sert à légitimer les divisions introduites au sein du personnel.

Tout cet effort se concrétise par la mise en place de nombreuses réunions durant et en dehors des heures de travail. Elles servent non seulement à faire passer le message de la direction mais aussi à capter des mécontentements, afin de mettre au point des réponses, sans mentionner la recherche de moutons noirs susceptibles d’entraver la mise en place du nouveau système qui, par définition, est et sera bien plus chaotique que celui présenté dans les discours officiels.

Ainsi sont organisés des «colloques» de teamleaders. A cette occasion, ils reçoivent des informations sur les évolutions des postes concurrentes au sein de l’Union européenne. La fonction est claire, pour «maintenir sa position sur le marché» – et donc «sauver des emplois» – les changements relèvent d’un impératif absolu. Il n’y a pas de discussion possible.Cette contrainte doit être transmise aux membres de l’équipe. Le teamleader va donc communiquer en fait des ordres présentés sous la forme de résumés des «colloques» bimensuels. Le terme colloque est lui-même trompeur, il ne s’agit pas de débats entre des personnes ayant des idées plus ou moins différentes. De fait, sous l’apparence d’un processus participatif, on retrouve des modalités autoritaires d’imposition de normes de travail visant un seul objectif: dégager une marge de profits grandissante dans chaque secteur.

Ce n’est donc pas un hasard si, à l’occasion des réunions, sont multipliés les exemples d’initiatives publicitaires et supposées rentables prises dans diverses villes de Suisse. Cela répond à la gestion, aujourd’hui banalisée, de la mise en concurrence des salarié·e·s au sein d’une même firme.

Sans instrument de résistance, de type syndical, sans possibilité de comprendre l’ensemble du processus en cours, seul face à lui-même et à son travail, chaque salarié est confiné dans son espace individuel et ressent un sentiment d’impuissance, de frustration. Cela au moment même où la direction exige de lui qu’il soit «un membre actif» d’un collectif, un participant constructif et satisfait. Les tensions et la déchirure entre ces deux vécus aboutissent, plus d’une fois, à la maladie, aux accidents (professionnels ou extraprofessionnels), à la dépression. Face à la dureté du management de La Poste, la construction de collectifs, mêmes modestes dans leurs objectifs, reste la seule voie pour affirmer une dignité qui implique, par définition, le refus d’être une simple «ressource humaine».

 

«Quand le vent du changement souffle…»*

D’aucuns pensent que la Poste n'est pas capable de changer. Quel est votre avis ?
Ces dernières décennies, la Poste a évolué en profondeur, s’adaptant continuellement aux mutations de son environnement. Dans de nombreux domaines, elle est considérée comme une entreprise de pointe, une de celles qui façonnent le marché. PostMail aussi a connu une profonde évolution, sachant par exemple que désormais certains envois sont directement imprimés au centre avant d’être acheminés à destination, ou qu’il existe aussi la possibilité qu’un destinataire puisse recevoir sous forme électronique une lettre initialement envoyée sous forme classique dans une enveloppe. Et ce n’est là que la pointe de l’iceberg. Vous-même, en tant que collaborateur, avez sans doute eu maintes fois l’occasion de prouver que vous êtes ouvert au changement et que vous êtes prêt à participer activement à la marche vers l’avenir.
Soyez-en cordialement remercié.

* Tiré du vade-mecum distribué aux postiers, ayant pour titre: «Ce qui nous motive – Les multiples facettes de notre entreprise en bref».

 

 

 
         
Vos commentaires     Haut de page