N°15 - 2003

Les casseurs de l'Etat social

Des retraites à la Sécu: la grande démolition
Michel Husson
Ed. La Découverte,
2003, 118 p., 6,40 euros

«La part qui revient aux salaires directs [dans le Produit intérieur brut] a déjà été ramenée à un niveau historiquement bas, qu'il devient difficile de la faire baisser encore ; c'est donc dorénavant les cotisations sociales[payées par les patronats] qui doivent contribuer au recul de la part salariale»(pp. 26-27). Michel Husson situe d'entrée le fil rose-brun que suivent «les casseurs de l'Etat social»: les patrons et les classes dominantes de l'Europe.

Avec l'examen critique des «démonstrations» néolibérales, une exposition systématique des différentes options débattues, une documentation précise et l'étayage des «choix radicaux», l'auteur offre un véritable instrument de réflexion pour l'action à ceux et celles engagés dans le mouvement social anticasseur.

Le lecteur suisse pourra mesure, à la lecture de cet ouvrage, par simple comparaison, combien les élites dirigeantes helvétiques, avec l'aide de la social-démocratie, ont non seulement empêché la mise en place d'un Etat social, mais ont déjà très largement laminé les quelques éléments édifiés dans l'après-guerre. Les débats actuels sur l'AVS, sur la réforme de la LPP (fonds de pension) ou la LAMal (assurance maladie) sont là pour l'illustrer. En même temps, le lecteur suisse trouvera dans l'ouvrage de Michel Husson tous les arguments permettant d'invalider - du point de vue de la large majorité de la population, c'est-à-dire les salarié·e·s - les arguments du «moindre mal» mis en avant aujourd'hui par le PSS et l'USS.

L' auteur souligne, dès l'introduction, la méthode mise úuvre par le patronat et ses officines afin d'attaquer l'Etat social: d'un côté, inscrire chaque «réforme» dans un projet totalisant et, de l'autre, soumettre chaque contre-réforme à un argument particulier, soit «le choc démographique» pour les retraites, «l'explosion des coûts» et «la surconsommation médicale» pour les dépenses de santé et l'assurance maladie, «le manque d'efficacité» pour les services publics.

Cette stratégie se complète par un politique de «dénégation». Exemple: il ne s'agit pas de détruire le service public qu'offre la Poste ; il faut simplement assurer un «service universel» - c'est-à-dire un minimum pour ceux qui ne disposent pas d'un fort pouvoir d'achat - et, dès lors, privatiser les segments haut de gamme et / ou rentables: exprès, paquets. Tout cela en accroissant de manière brutale l'exploitation des employé·e·s de la Poste. Cette contre-réforme et privatisation de la Poste (nous prenons ici un exemple suisse) est présenté comme «inévitable», si «nous voulons faire face à la concurrence internationale», dixit le social-démocrate Jean-Noël Rey.

Michel Husson met bien en relief le rôle de la «machinerie européenne»- qui fait rêver un PSS profane - comme «levier essentiel» (p. 63) de l'attaque contre l'Etat social. Ainsi, le dogme de la compétitivité, auquel adhèrent en Suisse les dirigeants de l'USS, a conduit non seulement à abaisser les salaires et leur part dans le PIB, à modifier les systèmes d'allocation chômage, mais aussi à mettre en cause les «transferts sociaux», c'est-à-dire les dépenses assurant une certaine socialisation des coûts afin de répondre aux besoins sociaux de base.

Et Husson de rappeler que «le rétablissement du profit n'a pas quant à lui conduit à un relèvement du taux d'investissement, mais à une augmentation du profit non investi. Il y a là un phénomène très frappant de la période, qui est une bonne mesure de la financiarisation. En fin de compte, le freinage du coût salarial [au nom de la création d'emplois] a nourri les revenus financiers plutôt que l'investissement: il s'agit là d'un gigantesque marché de dupes»(pp. 77-78).

Et l'auteur de mettre l'accent sur «la position du nouveau bloc capitalistes-rentiers» [rentier: au sens de celui capte une rente des obligations qu'il détient, des dividendes qu'il touche ; les tondeurs de coupons comme on les qualifiait avant la Seconde Guerre mondiale] dans la «conception étroitement financière et monétaire de la construction européenne».Une conception qui «interdit de manière consciente l'extension au niveau européen de la définition d'un nouveau modèle social européen»(p. 96). Peut-on espérer une quelconque réflexion de la part de ceux qui nous proposent, en Suisse, l'entrée dans l'UE comme une sortie sociale des contre-réformes helvétiques ; au même titre où ils avaient proposé les fonds de pension (IIe pilier) pour sauver les retraites en 1972? Le scepticisme est de rigueur face à cette interrogation... de convenance.

E n quelques lignes, Michel Husson résume la rhétorique patronale: sa «revendication... est de ne plus avoir à sa charge des comportements aussi irresponsables que celui du chômeur qui s'installe dans le «luxe» des allocations, ou du patient qui «surconsomme» allégrement» (p. 47).

A propos des «dépenses» de santé, Husson fait quelques très utiles mises au point, qui concernent aussi la Suisse, même si nous ne disposons pas de l'appareil statistique - une des manifestations de l'étroitesse de la «démocratie sociale» en Suisse - existant en France. Ainsi, il est possible de définir trois grandes catégories de consommation: 1° la traditionnelle (alimentation, habillement) ; 2° l'industrielle (équipement ménager, automobile) ; 3° celle des services (loisirs, culture, consommation publique individualisable comme une partie des soins de santé...).

La troisième catégorie croît le plus, ce qui traduit simplement un déplacement d'ensemble dans la structure des consommations au cours des quarante dernières années. Mais la droite et le patronat ont-ils déjà insisté pour que soit «mise en avant la nécessité d'une «maîtrise» des dépenses, par exemple, en ce qui concerne l'automobile»(p. 41)? Ce simple constat suffit à démontrer l'arbitraire de classe qui marque le discours sur la maîtrise des coûts de santé. Et Husson d'effectuer une démonstration qui souligne la volonté (utopique?) du patronat de ne payer la force de travail que lorsqu'elle est effectivement mise au travail. Pour le reste, chômage, retraite, santé, cela devrait relever de l'assurance individuelle. En Suisse, on n'en est pas encore tout à fait là. Mais les «avancées helvétiques» démontrent que «l'utopie patronale» a une terre de prédilection en Europe: l'Helvétie.

Pour terminer, Michel Husson, part d'un constat: «Ce que le capitalisme se vantait de garantir, il y a environ trente ans, il le déclare désormais hors de portée.»(p. 92) Sur cette base, qui indique la faible «légitimité du projet néolibéral», l'auteur déroule les points forts d'une alternative... que vous lirez. Un regret. «Les incursions dans la propriété privée», mentionnées une fois, auraient pu trouver une place plus substantielle dans les deux derniers chapitres. - C.-A. U.

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