N°15 - 2003
Unanimité soudaine pour le référendum contre la 11e révision de l'AVS Chances et pièges d'une campagne Le référendum contre la 11e révision de l'AVS est lancé. Le Parti socialiste suisse (PSS) et l'Union syndicale suisse (USS) se sont propulsés à la tête de cette campagne. La votation aura probablement lieu le 16 mai 2004, dans un contexte où les bourgeoisies européennes mènent des offensives concertées contre les systèmes de retraite. Cela en souligne l'importance politique. J.-F. Marquis et C.-A. Udry Le 20 septembre 2003, des dizaines de milliers de salarié·e·s défilent dans les rues de Berne pour les retraites, à l'appel de l'USS. Les dirigeants de l'USS et la présidente du Parti socialiste suisse (PSS), Christiane Brunner, prennent la parole: silence à propos d'un référendum contre la 11e révision de l'AVS. Trois jours plus tard, interpellée par le quotidien Le Temps (24 septembre 2003) qui lui demande si la 11e révision lui «paraît mûre pour le référendum», Christiane Brunner répond: «Je crois qu'il n'y a pas à hésiter.» Que s'est-il passé entre le 20 et le 23 septembre ? Le Parlement fédéral a décidé de sabrer les 400 millions de francs proposés par le Conseil fédéral pour la retraite anticipée. Pour mémoire, l'USS revendiquait, en 2001, 1,5 milliard de francs pour financer une «vraie» retraite flexible. De toute évidence, jusqu'au 20 septembre, le quart suffisait à rendre la 11e révision de l'AVS acceptable pour les directions du PSS et de l'USS. Pourtant, cette révision incluait déjà: l'élévation à 65 ans de l'âge de la retraite pour les femmes ; une baisse importante des rentes de veuves ; une baisse générale du pouvoir d'achat des rentes, par le biais du ralentissement de deux à trois ans du rythme de leur adaptation. Les leçons de la Loi sur le travail Cet épisode en rappelle un autre. En 1996, l'USS est contrainte de lancer un référendum contre la 1re révision de la Loi sur le travail (LT). La direction de la centrale syndicale avait tout fait pour l'éviter, ayant accepté sur le fond les objectifs patronaux en matière de flexibilisation de l'usage de la force de travail. Mais la droite a trop chargé le bateau, refusant une compensation en temps pour le travail de nuit régulier. Durant l'automne 1996, ce référendum devient pour de larges couches de syndicalistes et de salarié·e·s un moyen d'exprimer leur opposition à la précarisation et à la flexibilisation du travail imposées par le patronat. Le projet de loi est rejeté le 1er décembre 1996 par 67 % des votants. Que se passe-t-il alors ? Les responsables de l'USS et surtout des principales fédérations [FTMH, SIB...] ne cherchent pas à prendre appui sur ce résultat remarquable pour renforcer la résistance des salarié·e·s. Ils s'engouffrent dans des «négociations» pour une deuxième mouture de cette révision de la Loi sur le travail, reprenant le cœur de la version initiale, avec quelques aménagements. La direction de l'USS cautionne le nouveau projet gouvernemental et combat le référendum lancé par des secteurs de la gauche syndicale. Ce référendum est battu en votation le 29 novembre 1998. Une occasion de faire progresser parmi les salarié·e·s la conscience des enjeux de la réorganisation par le patronat du marché du travail et de l'usage de la force de travail est dilapidée. Ce qui ne peut que renforcer le sentiment que les exigences patronales ne peuvent être combattues et que s'y adapter, d'une façon ou d'une autre, reste la seule issue possible. Et des responsables syndicaux osent, après avoir méconnu aussi grossièrement les attentes des salarié·e·s, gloser sur leur passivité. Va-t-on assister à un scénario semblable avec le référendum contre la 11e révision de l'AVS ? La question mérite d'être posée au vu des conditions de son lancement. Prendre la mesure de la stratégie bourgeoise • La «réforme» des assurances sociales - l'AVS et l'AI en premier lieu - est aujourd'hui, avec la mise sous contrainte accrue des dépenses publiques et de nouvelles défiscalisations des revenus élevés, des fortunes privées et des entreprises, au cœur du programme d'ajustement économique et antisocial du bloc bourgeois. Autour d'economiesuisse [l'organisation du patronat] se regroupent de très larges secteurs du Parti radical (PRD), de l'UDC et du PDC. De plus en plus publiquement, l'organisme patronal central oriente la politique en Suisse. Elle continuera à le faire après le 10 décembre prochain, quel que soit le Conseil fédéral élu. Cette politique se déploie dans un contexte européen marqué par une compétition / émulation - un «concours de beauté franco-allemand» selon The Economist du 18 octobre 2003 - entre les deux principales bourgeoisies du continent européen pour imposer un nouvel ensemble de contre-réformes, en particulier dans le domaine des retraites, et pour briser les résistances des salarié·e·s. Pour mettre fin à «l'exception française», Jacques Chirac recherche l'appui politique de Gerhard Schröder, comme Pascal Couchepin le fit avant les élections d'octobre 2003, en ne cessant de citer «son ami socialiste Schröder». Ces enjeux donnent la mesure de la détermination avec laquelle la bourgeoisie helvétique va mener la bataille des retraites, dont la 11e révision de l'AVS n'est qu'un épisode. • L'hebdomadaire de la City londonienne, The Economist, a synthétisé dans un éditorial daté du 27 septembre 2003 - intitulé «Travailler plus longtemps, avoir plus d'enfants» - l'ordre de marche des gouvernements européens: «Premièrement, les gouvernements devront agir avec beaucoup plus d'audace pour réduire l'ampleur du système public de retraites par répartition [l'AVS en Suisse]. Deuxièmement, les employés, du public comme du privé, doivent être encouragés, en lieu et place, à placer leurs économies dans des caisses de pension privées, administrées par les employeurs [le 2e pilier en Suisse] ; ou, encore mieux, dirigés directement par des gestionnaires de fonds [2e pilier individualisé et 3e pilier], et donc à prendre directement la responsabilité de leurs propres retraites. Troisièmement, l'âge de la retraite fixé par l'Etat doit être abandonné, car un âge fixe pour la retraite n'a guère de sens [...].» Voilà un hebdomadaire plus perspicace que la direction du PSS, qui a compris le sens effectif de la «flexibilité de l'âge de la retraite». • Avec le système des trois piliers, la bourgeoisie helvétique est historiquement à l'avant-garde de ce programme. Aujourd'hui, elle multiplie toutefois les initiatives pour conserver cet avantage. Prenons quatre exemples: 1° Les rentes AVS sont bloquées à un niveau excessivement bas (1055 francs pour la rente minimale individuelle). 2° Les deux mécanismes du 2e pilier censés donner certaines garanties collectives aux salarié·e·s au sujet de leurs futures rentes - le taux d'intérêt minimum et le taux de conversion - sont en train d'être vidés de toute efficacité, première étape vers leur abolition. Rolf Dörig, patron de la Rentenanstalt, l'expose clairement: «Une assurance telle qu'elle est exigée par le législateur ne peut être garantie par nous que si le taux d'intérêt minimum est fixé en fonction des taux des placements sans risque et que, en plus, l'on tient compte du fait que l'actionnaire a droit à un dédommagement pour la mise à disposition du capital risque. Si cela n'est pas possible, il ne nous restera pas d'autre possibilité que de transférer les risques auprès des employeurs et, respectivement, des employés. Cela serait dommage. Il en va de même pour le taux de conversion. S'il n'est pas adapté à l'espérance de vie, cela devra être compensé par des hausses de primes ou par des baisses de rentes.» (Finanz und Wirtschaft Invest, octobre 2003) 3° Le Conseil fédéral profite des difficultés des caisses de pension du personnel fédéral pour alimenter cette entreprise de destruction des mécanismes collectifs, un tant soit peu sociaux, existant au sein du 2e pilier. Ainsi, il participera au comblement des trous des caisses des CFF et de La Poste, à condition qu'elles passent du régime de primauté de prestation (un niveau donné du dernier salaire est garanti) à celui de primauté de cotisation (aucun niveau de rente n'est garanti). Quant à la caisse du personnel de la Confédération, elle devra renoncer à la garantie légale de la compensation de la moitié du renchérissement pour bénéficier de la manne fédérale (Le Temps, 31 octobre 2003). 4° Des secteurs bourgeois de plus en plus amples militent ouvertement pour le libre choix des salarié·e·s de leur caisse de pension, et une individualisation complète du 2e pilier, même si cette perspective divise encore le patronat. Les partisans de l'individualisation vont utiliser la thématique de la transparence pour mener à bien leur politique: en effet, ils vont mettre en avant la nécessité de connaître la contribution individuelle exacte, de chacun et chacune, à sa retraite. Les syndicats qui participent à la diffusion du thème de la transparence n'ont souvent pas réfléchi aux implications de ce slogan, en termes d'individualisation radicale du système des retraites. Parmi les propagandistes du libre choix, on trouve la fondation Avenir Suisse, la «boîte à idées» créée par les grandes multinationales helvétiques, animée par l'ex-sociologue Thomas Held, soixante-huitard reconverti au néolibéralisme après un stage, rapide, chez Nicolas Hayek, et Xavier Comtesse, qui se vante d'avoir fricoté avec quelques maoïstes genevois au début des années 1970. Mais on trouve aussi Ulrich Grete, président du fonds de compensation de l'AVS ! Cet ancien haut cadre de UBS a présidé à l'entrée massive de ce fonds en Bourse, malgré la chute du cours des actions..., ce qui ne pouvait qu'être interprété comme un soutien aux indices boursiers helvétiques et à ceux qui en tirent profit (ce qui est loin d'être le cas pour la majorité des retraité·e·s). Ulrich Grete juge «sans fondements les arguments contre le libre choix de leur caisse de pension par les salariés». (Le Temps, 16 octobre 2003) Mettre un cran d'arrêt et construire une alternative Face à une stratégie de cette ampleur, trois enjeux importants se détachent pour organiser une riposte: • La 11e révision de l'AVS peut devenir, comme la LT en 1996, le point de cristallisation du ras-le-bol de larges couches de salarié·e·s face à la déstabilisation de leurs retraites, mais aussi face aux licenciements et à la baisse de leur pouvoir d'achat. Pour qu'il en soit ainsi, il faut des échéances permettant à cette protestation de s'exprimer sous une forme collective et active. Cela peut être déterminant pour le résultat de la votation, en créant une dynamique contrebattant les divisions construites entre générations ainsi qu'entre actifs et retraités. A l'initiative de l'appel «Femmes en colère», signé par plus de 1500 femmes entre juillet et septembre de cette année, le 8 mars 2004, journée internationale des femmes, sera une journée d'action pour les retraites. L'USS semble soutenir cette initiative. C'est un premier pas. • On peut faire croire que l'enjeu de la votation est le refus par les Chambres des 400 millions de francs pour une prétendue retraite anticipée. Agir de la sorte revient à préparer, au mieux, la répétition du scénario désastreux de la Loi sur le travail. Par contre, il est possible de faire de cette votation un premier moment d'une bataille de longue haleine pour une sécurité sociale couvrant et garantissant, enfin, le droit à la retraite. Dès lors, deux questions se poseront: 1° Au sein du mouvement syndical et du PSS, la tendance est à la redécouverte des vertus sociales de l'AVS, qu'il faudrait «renforcer». Le PSS revendique ainsi une rente minimale AVS de 3000 francs par mois (conférence de presse du 15 août 2003). Si l'on prend cette revendication au sérieux, une interrogation surgit immédiatement: comment financer un triplement des rentes AVS sans y affecter les ressources qui alimentent aujourd'hui le 2e pilier ? Donc, comment atteindre cet objectif raisonnable, socialement absolument justifié, sans construire une transition hors du système des trois piliers et vers une véritable sécurité sociale ? 2° Il n'est pas possible de répondre à la campagne bourgeoise sur le thème de l'évolution démographique et de la prétendue charge financière insupportable qu'elle induirait sans affirmer la possibilité et la nécessité de modifier l'actuelle répartition des richesses entre détenteurs de capitaux, d'une part, et salarié·e·s, actifs ou retraités, d'autre part. Or, les possédants dictent aujourd'hui les modalités de cette répartition grâce au pouvoir économique, social, politique, culturel, que leur donne leur contrôle de tous les grands conglomérats financiers et transnationales qui dominent l'économie des pays, à l'échelle nationale et internationale. • La flexibilisation de l'âge de la retraite était censée être la réponse gagnante de ladite gauche face à l'augmentation de l'âge de la retraite. Elle n'a pas bloqué cette augmentation. Mais, en même temps, elle a étayé l'objectif de fond de la bourgeoisie: supprimer l'idée même d'un âge de la retraite. En Helvétie, Avenir Suisse fait campagne depuis plus d'une année sur ce thème, anticipant les recommandations publiques de The Economist. Malgré ce fiasco, USS et PSS relancent cette perspective de plus belle, comme alternative «en positif» à la 11e révision de l'AVS. Le modèle conçu par le conseiller national socialiste Stéphane Rossini (VS) est souvent cité: le droit à une retraite complète ne dépendrait plus, en premier lieu plus, comme aujourd'hui, du fait d'avoir atteint un âge seuil, mais d'avoir cotisé 40 années à l'AVS ; ce droit pouvant être exercé entre 62 et 66 ans (lire L'événement syndical, 15 octobre 2003). Deux remarques. Tout d'abord, face à des contre-réformes qui visent consciemment à liquider l'idée même d'un âge de la retraite, donc de fait l'idée même d'un droit à la retraite, défendre un âge seuil, valable pour toutes et tous, est une dimension décisive d'un combat pour le droit à la retraite. La pénibilité très fortement accrue du travail et la précarité donnent encore plus de légitimité qu'auparavant à l'exigence d'un droit à la retraite dès 60 ans. Une autre chose serait d'envisager une diminution programmée du temps de travail avant l'âge seuil de la retraite, sans atteinte au revenu. Cette approche pourrait être envisagée pour construire socio-psychologiquement une transition du temps de travail au temps de la retraite. Ensuite, il est remarquable que la durée proposée par Rossini - 40 ans de cotisation - est celle imposée en France par le gouvernement Raffarin, contre le mouvement social de mai-juin 2003 qui défendait les 37,5 annuités en vigueur dans la fonction publique. Sans même parler du fait que la contre-réforme de Raffarin prévoit pour les travailleurs ayant commencé leur vie active très jeunes de toucher une rente pleine avant 60 ans, s'ils ont cotisé 40 ans durant. Ce qu'exclut Rossini... Le social-démocrate du Valais adopterait-il la raffarinade du premier ministre et chiraquien du Poitevin: «Lorsque l'on veut assécher un marais, on n'avertit pas avant les grenouilles» ? Haut de page
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