N°11 - 2003

Geoff Simons
Targeting Iraq. Sanctions &
Bombing in US Policy
Saqi Books, Londres, 2002

La guerre continue

Il est commun d'utiliser la formule: «La guerre qui sera déclenchée contre l'Irak». Or cet énoncé n'est que très partiellement vrai. En effet, depuis 1991, une guerre permanente, sous la houlette des Etats-Unis et de la Grande-Bretagne, est conduite contre le peuple irakien. C'est ce que documente Geoff Simons dans son récent ouvrage Targeting Iraq. Simons indique que l'idée du «changement de régime» en Irak a précédé l'ascension de George W. Bush à la présidence. Ce fut un des thèmes souvent repris par Madeleine Albright ou par Thomas Pickering, le sous-secrétaire d'Etat aux affaires étrangères à l'époque de Clinton. Dès 1991, les sanctions économiques, les survols et bombardements dans les zones déclarées interdites à l'aviation irakienne (au sud et au nord) et les diverses initiatives de sabotage ont fait partie de la politique d'endiguement et de recherche d'un coup de palais à Bagdad.

Le 26 janvier 1998, un certain nombre d'Américains influents envoyèrent une lettre ouverte au président William J. Clinton. Ils y réclamaient l'adoption d'une stratégie qui «en priorité aboutisse à l'élimination du pouvoir de Saddam Hussein». Dans cette lettre, il était souligné qu'il fallait envisager une action militaire si la diplomatie n'aboutissait pas. Les signataires de cette lettre étaient: Donald Rumsfeld, l'actuel ministre de la Défense, Paul Wolfowitz, premier secrétaire au Ministère de la défense, Richard Armitage, sous-secrétaire aux affaires étrangères, Richard Perle, un des principaux conseillers de Bush, Zalmay Khalilzad, un des principaux membres du Conseil de sécurité nationale en charge de l'Afghanistan, etc. Autrement dit, le noyau dur de l'administration Bush faisait connaître, dès 1998, son objectif d'occuper militairement l'Irak.

Dans un chapitre intitulé «Le prétexte du 11 septembre», Simons montre comment l'administration Bush fait passer la question de l'Irak, par étapes, au premier plan. Dès le début de décembre 2001, aussi bien la direction de la CIA (James Woolsey) que le général Tommy Franks - qui avait conduit les opérations militaires en Afghanistan et qui devrait devenir le gouverneur américain à Bagdad - planchaient sur la guerre à mener contre l'Irak. Dès cette époque, les «obstacles» politiques à surmonter pour renforcer l'hégémonie américaine dans le Moyen-Orient, suite à la percée effectuée en Asie centrale, sont mis en relief par l'auteur: les négociations «économiques» avec la Turquie ; le travail à effectuer en direction de la France et de l'Allemagne ; la maîtrise de la question kurde pour ne pas s'aliéner la Turquie et les alliés kurdes (Barzani et Talabani) au nord de l'Irak, etc. Ainsi se dresse la scène sur laquelle s'effectue, aujourd'hui, le ballet diplomatique.

Simons dresse un bilan détaillé des effets, d'une part, de la guerre de 1991 et, d'autre part, des sanctions économiques. Ces quelque 40 pages suffisent à montrer que, si des armes de destruction massive furent utilisées, elles le furent par les Etats-Unis et la Grande-Bretagne, et par tous les cercles dirigeants des pays qui appuient l'embargo. Les effets de ce dernier sur la clique dictatoriale de Saddam Hussein étaient prévisibles. Le clan Saddam a concentré encore plus tous les revenus liés aux multiples marchés noirs qu'engendre, inévitablement, ce type de sanctions.

Simons, dans un examen des principales résolutions de l'ONU, montre que ces dernières n'ont strictement rien à voir avec la volonté de défendre les droits de la personne humaine ou de libérer des peuples asservis. Elles fonctionnent comme «des mécanismes pour soutenir la politique étrangère américaine et comme des instruments pour une consolidation et une expansion cynique de l'hégémonie US».

L'ONU ne sort pas grandie de cet examen. Celles et ceux qui pensent qu'une légitimité quelconque serait allouée à une attaque américaine contre le peuple irakien grâce à un vote de l'ONU feraient bien d'établir le bilan non seulement des résultats au plan humain et politique des sanctions de l'ONU, mais aussi de la façon dont cette dernière a systématiquement, sous pression américaine, ignoré tout ce qui dérangeait les Etats-Unis ou les puissances occidentales. Et cela, que ce soit en matière de désarmement international ou d'application de l'interdiction des armes chimiques et biologiques. Simons va jusqu'à rappeler comment, sous pression d'ExxonMobil, le docteur Robert Watson a été écarté du Comité intergouvernemental sur le changement climatique, après qu'il eut critiqué la politique énergétique des Etats-Unis.

Al'occasion du récent retour des inspecteurs de l'ONU - l'Unscom remplacée par l'Unmovic -, la discussion s'est rouverte sur leur départ, en 1998. Simons indique comment ce départ s'est articulé avec l'opération «Renard du désert» de décembre 1998, la plus importante campagne de bombardements de l'Irak après la guerre de 1991. L'US Navy lance quelque 325 missiles de croisière, et l'US Air Force une centaine. Tout cela a été fait sans autorisation du Conseil de sécurité de l'ONU et n'a pas suscité des protestations de la part de la France, de la Russie ou de la Chine. Depuis cette date, l'escalade n'a cessé de continuer, avec ses effets sur l'infrastructure d'un pays déjà détruit et les «dommages collatéraux» qui ont le visage d'êtres humains.

Enfin, l'auteur rappelle, dans un dernier chapitre, combien la Commission de compensation de l'ONU, un organisme lié au Conseil de sécurité et siégeant à Genève, a organisé le pillage à long terme de l'Irak. Elle a imposé, au nom de compensations pour avoir occupé le Koweït, entre 276 et 320 milliards de dollars (suivant les intérêts cumulés) de dédommagements à payer à de riches koweïtiens ou... à la défunte Swissair. Dans un article d'Alain Gresh, publié dans Le Monde diplomatiqued'octobre 2000, une étude de ce pillage extraordinaire avait déjà été faite. Le grand reporter John Pilger a raison de dire qu'il faut lire Targeting Iraq afin de comprendre l'ampleur du crime perpétré contre le peuple irakien. - Murat Jabar

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