N°11 - 2003
La guerre des Etats-Unis contre le peuple irakien La politique de la guerre
Charles-André Udry Le 14 mars 2003, les bombardiers lourds US-B1, pour la première fois, larguaient leurs engins de mort sur les zones dites d'exclusion au Sud de l'Irak. Un pas supplémentaire est franchi vers le déclenchement imminent de l'invasion et de l'occupation de l'Irak par les forces armées des Etats-Unis. Le 12 mars, des organisations non gouvernementales reconnues - telles que Care International, Save the Children, Christian Aid - publiaient un rapport précisant que 60 % du peuple irakien sera jeté dans le gouffre de la famine en cas de conflit militaire. Or, 42 % de la population a moins de 14 ans. Suite aux sanctions décidées par l'ONU en 1991 - il est trop souvent oublié que cet embargo criminel est l'úuvre de cette ONU ! - plus de 30 % des enfants de 5 ans souffrent déjà de malnutrition. Une fois les quelques infrastructures encore valides détruites par les bombes «libératrices», c'est le système de distribution de l'eau qui sera interrompu. La pollution des sources produit déjà ses effets mortifères. Les «dommages collatéraux» sont quotidiens. Ce que des agences de l'ONU, telles que l'UNICEF, ont amplement démontré et ce qui a conduit un haut responsable de l'ONU, comme Denis Halliday, directeur du programme «humanitaire» de l'ONU pour l'Irak, à qualifier, de manière raisonnée, cette politique de «génocide». L'énoncé d'Albert Camus, «le cynisme est meurtrier», acquiert ici toute sa vigueur. Celles et ceux qui espéraient encore camoufler leur propension à cet «acte de chien» (le cynisme peut être ainsi défini), en utilisant le subterfuge d'une prise de distance face à tout «antiaméricanisme», devraient percevoir une modification dans la perception publique de ce poncif manié par les maîtres chanteurs du prêt-à-penser. Aujourd'hui, est mise en lumière la nature politique, militaire, économique, idéologique du système de pouvoirs représenté par les George W. Bush, Dick Cheney, Donald Rumsfeld. En ce sens, il y a une redécouverte, à une échelle large, de l'impérialisme. Le débat public sur l'impérialisme - des Etats-Unis ou des pays de l'UE - ne peut plus être freiné par le chantage inhérent à la formule: «Vous faites de l'antiaméricanisme primaire.» A remarquer que les staliniens tentaient, par le passé, d'utiliser le même stratagème pour neutraliser toute critique de fond au régime totalitaire en brandissant le cliché: «C'est de l'anticommunisme primaire.» Un tournant s'est donc opéré, ces dernières semaines, dans la conscience politique d'une fraction significative de «l'opinion publique», grâce au mouvement contre la guerre. L'implosion des régimes bureaucratiques dictatoriaux (URSS...) a aussi favorisé la rupture d'un carcan idéologique: une analyse «géopolitique» sclérosée réduisant la réalité socio-économique et politique internationale à l'existence de deux «superpuissances». En arrière-plan: une économie trébuchante Cette guerre annoncée contre le peuple irakien - comme cela a été amplement explicité dans ces colonnes et dans divers documents: voir le site: www.alencontre. org, textes du MPS dans rubrique Nouveau ou dans Dossier: Irak-Etats-Unis - se déroule sur fond d'une crise économique sérieuse aux Etats-Unis. Cette dernière se déchiffre: dans les surcapacités de production au sein de l'industrie et des services (avec donc un investissement atone) ; dans la baisse des profits des grandes firmes, avec ses répercussions sur le cours des actions ; dans un endettement sans précédent des entreprises et des ménages, qui ne sera pas longtemps compensé par la possibilité de profiter de la hausse des prix des maisons ; dans un empilement très instable de produits dérivés (instruments financiers dont la valeur est déterminée par référence à des cours boursiers, des taux de changes, etc.), qui peut s'écrouler dans un mouvement de domino. Cette crise se développe conjointement aux Etats-Unis, en Europe et au Japon. The Economist conclut de la sorte son rapport spécial sur l'économie mondiale: «Si l'économie mondiale trébuche, les dirigeants politiques devront agir vite. En partant d'une situation d'amples surcapacités de production à l'échelle mondiale, d'une croissance apathique qui se prolonge, sans parler d'une récession, cela pourrait déboucher sur le risque d'une déflation dans quelques pays...» (15-21 mars 2003). Ce risque déflationniste - qui ronge l'économie japonaise depuis plus d'une décennie - est de plus en plus souvent évoqué pour les Etats-Unis, dont le Produit intérieur brut (PIB) représente 31,5 % du PIB mondial, alors que l'Union européenne s'en arroge 26 % et le Japon 14,5 %. Dès lors, au-delà de la concurrence entre capitaux privés et des affrontements d'intérêts entre différents pays impérialistes, une concertation plus serrée entre les représentations des classes dominantes devrait être de mise. C'est du moins ce sur quoi insiste la Banque des règlements internationaux (BRI) qui trahit le sentiment d'une perte de contrôle sur les enchaînements des désordres économiques. La même préoccupation s'exprime dans l'OMC. L'International Herald Tribune (IHT) titre en première: «L'OMC craint le rôle de j'y vais tout seul de Bush», constatant que les Etats-Unis ont «accumulé un des pires records de violation des règles commerciales» ces derniers mois (15-16 mars 2003). C'est dans un tel contexte qu'une fraction des cercles dirigeants américains, personnifiée par l'administration Bush, s'est engagée dans une fuite en avant. Elle s'exerce aussi bien au plan de la politique économique et sociale à l'intérieur des Etats-Unis qu'à échelle internationale. Dans un paysage aussi dévasté, les implications d'une orientation aventuriste sont multiples et en partie imprévisibles. Voilà de quoi susciter plus d'une interrogation dans les rangs mêmes de la classe dominante américaine. Une direction bourgeoise contestée Rien d'étonnant que des réserves plus qu'explicites s'expriment au sein même des cercles dominants américains. La crise politico-diplomatique internationale stimule un débat ouvert, marqué par un certain alarmisme. Ainsi, dans le dernier numéro de l'hebdomadaire économique américain Business Week (BW, 24 mars 2003), au milieu du dossier central intitulé «Au-delà de la guerre», on peut lire: «La première décennie du nouveau siècle commence à ressembler aux années 1970, lorsque les tumultes de la guerre du Vietnam ont assombri pour longtemps l'économie américaine. Cela pourrait aujourd'hui être encore pire qu'à l'époque. Des dirigeants de l'économie [les PDG] commencent à être inquiets car la globalisation [économique] pourrait n'être pas compatible avec une politique extérieure préventive unilatéraliste. Les capitaux, le commerce et le travail peuvent-ils circuler sans secousses lorsque la seule superpuissance du monde adopte une position aussi déroutante et menaçante. Les grandes firmes américaines trouveront peut-être sous peu qu'il est plus difficile de fonctionner dans un contexte économique multilatéral lorsque leurs partenaires étrangers et les gouvernements perçoivent l'Amérique comme agissant en dehors des règles du droit international et des institutions internationales.» Autrement dit, une des conditions de l'accumulation du capital - c'est-à-dire l'accroissement de la valeur du capital en transformant la plus-value en capital additionnel - à l'échelle internationale réside dans un certain degré de stabilité politique et institutionnelle, ainsi que dans des normes plus lisibles pour l'organisation des rapports interbourgeois. Or, l'orientation de l'administration Bush ébranle l'édifice. BW l'explicite de la sorte: «Comme politique extérieure, elle est à la fois arrogante - générant à coup sûr une opposition y compris de la part des pays les plus bienveillants - et destructive, minant sans coup férir les institutions multilatérales et les accords, y compris dans la sphère économique. Pire encore, elle est mal conçue et déconcertante, rendant le monde plus incertain et dangereux, et non pas moins... Un monde divisé entre une économie multilatérale et une politique de sécurité unilatérale en fait une aire incertaine et risquée. Cela ne va certainement pas encourager la croissance économique et la prospérité. L'Administration prend le risque de transformer ce qui était annoncé à coups de trompettes comme le siècle américain en un siècle antiaméricain.» La conduite politico-diplomatique de la préparation d'une guerre visant à envahir l'Irak a précipité, au cours des semaines passées, le début d'une crise de direction au sein des cercles dominants des Etats-Unis. Articulé à cela, s'est opéré un déplacement dans les relations interimpérialistes. La prise de position éditoriale du New York Times (NYT), le 10 mars 2003, en est une des expressions: «A la question de savoir si, oui ou non, une offensive est possible en Irak sans un soutien international, nous répondons clairement: non !» Le NYT craint que la «seule alternative qu'entrevoit l'Administration américaine est soit la guerre, soit - scénario impensable - une Amérique battant en retraite». Pour illustrer le sens d'une invasion de l'Irak sans accord du Conseil de sécurité, il est affirmé: «Le scénario évoque la façon dont, au Vietnam, l'Amérique devait détruire un village pour le sauver.» Ce ne sont pas les objectifs les plus généraux de la politique impérialiste qui sont mis en cause, mais les voies empruntées pour les atteindre. Lorsque se déverrouille ce genre de débat dans la classe dominante, les formules utilisées démystifient les discours gouvernementaux: «Une Amérique impériale agissant seule pour répandre la démocratie par l'épée peut être attirante pour une poignée d'idéologues neocons [c'est-à-dire néoconservateurs, comme la garde rapprochée de Bush], mais elle n'est pas en phase avec beaucoup d'Américains - et pas avec les peuples dans le monde.» (BW, 24 mars 2003) David Ignatius - défenseur des «guerres humanitaires» - écrivait déjà en novembre 2002 que Bush ne disposait que de peu d'«alliés enthousiastes» au «sein de la grande bureaucratie qui est chargée d'appliquer la politique extérieure» (IHT, 2-3 novembre 2002). Cela s'est confirmé, entre autres, par la démission récente - accompagnée de déclarations publiques hostiles à la conduite de la politique contre l'Irak - de hauts fonctionnaires de la diplomatie, tel John Brady Kiesling. Le renommé William Pfaff conclut un de ses papiers, placé sous la rubrique «The Irak debate», par ce constat: «Washington découvre maintenant seulement que ses efforts visant à casser ou à diviser les oppositions à ses projets sur l'Irak ont créé une opposition internationale cohérente qui n'existait pas auparavant. Elle a réduit plutôt qu'affirmer son vieux leadership.» (IHT, 11 mars 2003) L'enjeu effectif du débat au sein des «faiseurs d'opinion» et des élites américaines est bien résumé. Une direction risque-tout Lorsqu'apparaît au grand jour la politique de l'équipe de George W. Bush, après le 11 septembre 2001, un trait fort ressort. Le quotidien économique français La Tribune(11 février 2003) le caractérisait ainsi: «Les Etats-Unis... n'entendent pas détenir un empire, mais générer et gérer des alliances, des coalitions, des allégeances. Ils ont besoin d'assurer leur prise sur le monde en affrontant des micropuissances et en refusant toute norme internationale restreignant leur liberté d'action. De fait, ils se doivent de gérer leur puissance, sa mise en concurrence, dans un monde qu'ils ne contrôlent pas et dans un isolement planétaire qui fragilise leur puissance. La politique étrangère US, qui vise à réduire cette fragilité, n'est donc pas mondiale, mais multirégionale.» Une telle politique aboutit à exercer des pressions très fortes sur leurs alliés (on le constate avec la Turquie ou la Corée du Sud), à faire et défaire des alliances, à introduire des divisions entre des pays de l'UE ou entre l'UE et les Etats candidats d'Europe de l'Est, à encercler encore plus l'économie japonaise, à pousser de façon provocatrice des pions dans l'aire d'influence de la Russie (Géorgie). La supériorité militaire des Etats-Unis est, certes, écrasante. Elle limite encore fortement l'expression des contradictions d'intérêts entre puissances dominantes (la France ou Allemagne sont subalternes par rapport aux Etats-Unis) au plan politique, et évidemment militaire. Mais cette hégémonie de l'impérialisme américain ne peut être saisie à partir de la formule si répandue: «Nous vivons dans un monde unipolaire.» En fait, nous nous trouvons dans une phase historique où, sur le moyen terme, doivent être refaçonnées et, dans certains cas, parachevées des zones d'influence (économique, monétaire, politique) et des alliances politiques et militaires. Le contrôle «unipolaire» (des Etats-Unis) relève d'une vue simplifiée et simplificatrice du monde présent. Or, l'exercice de l'hégémonie des Etats-Unis, telle que conçue par l'administration Bush, nourrit des contradictions plus aiguës et accentue l'instabilité. La primauté du capitalisme américain à l'échelle mondiale, après l'effacement de l'URSS, s'est exercée tout d'abord au travers de sa force (comme par le passé), de sa capacité d'acheter des Etats clients (cette forme de corruption qui s'allie traditionnellement à la force) et, finalement, de l'idéologie diffuse de «l'humanisme militaire» (substitut de l'anticommunisme de la période historique antérieure), adoptée avec enthousiasme par la social-démocratie gouvernementale européenne. Sous Clinton, ce triptyque montra son efficacité lors de la «guerre du Kosovo», engagée en dehors de l'ONU, mais dans le cadre de l'OTAN, sous commandement américain, avec des armées européennes qui purent mesurer la distance les séparant - entre autres au plan des technologies militaires - des troupes américaines. L'administration Bush, elle, a donné toute sa place à la RMA (Révolution des affaires militaires) et à la supériorité géostratégique qui en découlait. Cette prééminence transparaît graphiquement dans le seul chiffre des dépenses militaires pour l'année fiscale 2003: 400 milliards de dollars (329 milliards quand Bush assuma la présidence). Au plan de la politique internationale, ladite «doctrine de préemption», qui prend appui sur la RMA, ne signifie rien d'autre qu'une attaque militaire des Etats-Unis est justifiée si un pays ou une organisation - ou un pays et une organisation - peut, dans un futur non précisé, être considéré par Washington comme une quelconque menace. Cette stratégie militaire d'agression a été élaborée au cours des années 1990 par des officines conservatrices: le Center for Security Policy (CSP), le National Institute for Public Policy (NIPP) ou encore le Project for a New America Century (PNAC). Le document fondateur du PNAC, en 1997, a été signé par Paul Wolfowitz, Dick Cheney, Donald Rumsfeld et de nombreux autres membres du Conseil de sécurité de G.W. Bush. En 1998, dans une lettre ouverte à Clinton, ces bellicistes insistaient sur un élément dont l'actualité résonne avec éclat: «La politique américaine ne peut pas être paralysée par une insistance mal venue sur l'unanimité dans le Conseil de sécurité.» En septembre 2000, le PNAC indiquait que déposer Saddam «offre une justification immédiate» pour «une présence substantielle des forces américaines dans la région du Golfe». Mais le but effectif réside dans le «maintien d'une prééminence d'ensemble des Etats-Unis». L'arme nucléaire a aussi été élevée au rang d'une arme de l'arsenal «contre le terrorisme», comme un rapport de janvier 2001 du NIPP l'avait proposé. La mise en place d'un «système de défense par missiles», pour 2004, a été un objet d'attentions particulières du CSP et doit assurer une «domination continue complète» sur toute la planète. Ces officines sont adossées à des firmes de l'armement qui ont connu une très forte concentration au cours des années 1990: Lockheed Martin, Boeing, Northrop Grumman, Raytheon, etc. Elles disposent d'une force de frappe politico-économique sans précédent. Le directeur du PNAC, un des principaux auteurs du rapport fournissant les éléments de «la guerre de préemption», Thomas Donnelly, vient, par exemple, d'être engagé par Lockeed Martin. Le mariage entre des idéologues «évangélistes fondamentalistes», des animateurs de ces laboratoires de la pensée stratégique1 et des représentants des groupes industriels militaires de pointe, ainsi que des milieux pétroliers, a façonné une équipe de direction bourgeoise risque-tout. Elle est perçue, aujourd'hui, comme dangereuse, sous divers angles, par des secteurs des classes dominantes. L'utilisation de la force comme élément tout à fait proéminent est ouvertement revendiquée par l'administration Bush. Le système de justification mis en place («préemption») oblige à de nombreuses oscillations quand il doit être déployé dans les institutions internationales, comme le prouvent les arguments mouvants de Bush face à l'Irak. Cela ne peut que déboucher sur un mélange d'initiatives coups de poker et d'accentuation des tensions intra et interbourgeoises. Et, étant donné les implications économiques de la guerre qui vient, un durcissement des rapports Capital-Travail deviendra un élément nouveau de la situation socio-politique aux Etats-Unis et ailleurs. Miser sur une victoire rapide Pour compenser le manque d'appuis internationaux et l'inexistence d'un accord alibi de l'ONU pour sa guerre et afin de minimiser les effets politiques corrosifs sur ses alliés (Blair entre autres), la direction Bush mise maintenant sur une succession de résultats militaires et politiques rapides, performants et convaincants. Les «armes de destruction massive de l'Irak devront être exposées à la vue du monde» (Financial Times, 7 mars 2003). Les services spéciaux américains devront donc faire ce que les inspecteurs de l'ONU furent prétendument incapables d'accomplir. On peut déjà anticiper les reportages sensationnels auxquels nous aurons droit par des médias américains mobilisés. Il est possible que certains se rappellent l'opération baptisée «chef-d'úuvre d'illusion», montée par la CIA, en 1964, qui permit la «découverte» de dépôts d'armes au Sud Vietnam, afin de prouver l'invasion du Sud par le Nord ! La récente présentation du drone (avions sans pilote) irakien, proche des performances technologiques des frères Wright (1903), pour reprendre une formule du New York Times, avait suscité des commentaires des chaînes américaines sur le danger qu'il puisse répandre des agents chimiques et bactériologiques sur l'Amérique ! Quelques carcasses de fusées et autres barriques de «produits chimiques et bactériologiques» feront donc l'affaire, quelques jours après l'invasion de l'Irak. Silence sera fait sur les tonnes de munitions à l'uranium appauvri (DU) déversées. Par contre, les images de troupes américaines recevant roses et riz dans la ville de Bassorah, au sud de l'Irak, satureront les écrans. Quelques «erreurs», immédiatement reconnues, permettront de mieux taire les ravages effectifs parmi la population civile. La prise de Bagdad devra se faire de manière pas trop sanglante... pour les soldats américains. Et les puits de pétrole ne devront pas subir des dégâts lourds. Une fois cette première phase militaro-propagandiste - qui devrait permettre à Bush et Blair de parader - surgiront les véritables problèmes inhérents à une société irakienne brisée et fragmentée En contraste avec les déclarations de Bush sur la «généralisation, par effet de domino, de la démocratie dans la région», les rapports des mêmes officines qui l'inspirent se multiplient. Ils insistent sur l'instabilité «pour une très longue période» de la région (The Guardian, 15 mars 2003, «Pas de démocratie pour l'Irak affirment les Etats-Unis»). Ainsi,dans le meilleur des cas, le général Thommy Franks surveillera une administration civile, dont l'une des figures de proue sera Jay Garner. C'est un des signataires du rapport, en date du 12 octobre 2000, de l'ultraconservateur Institut Juif pour les Affaires de Sécurité Nationale (JINSA)2. Il appuyait l'armée israélienne pour sa modération face au «terrorisme». C'est un proche de Rumsfeld et de Richard Perle. Il est lié à une firme de production de missiles SY Coleman (Californie). La «libération» par les Anglais, en 1917, des provinces qui firent l'Irak ne semble pas trop éloignée de l'invasion de Bush... mais aussi de ses suites probables. La guerre comme catalyseur Des fractions des cercles dominants américains - distantes de Bush - misent, elles, sur une opération de réintégration de la France, de l'Allemagne et d'autres pays dans la reconstruction de l'Irak, pour réduire les tensions de l'avant-guerre. Cette reconstruction serait conduite, au moins en partie, par l'ONU, ne serait-ce que pour en répartir les coûts. Ainsi BW écrit: «Savoir si les dommages infligés par une diplomatie inepte seront de longue durée et profonds dépendra de l'action magnanime de l'administration Bush et de son invitation à ces pays, qui se sont opposés à la guerre, pour aider à reconstruire l'Irak.» (24 mars 2003) Derrière ce genre de proposition se cachent évidemment aussi bien les négociations sur l'accès aux ressources pétrolières irakiennes (ce que TotalElfFina et Villepin comprennent bien) que les contrats de reconstruction proprement dits (Bouygues ne doit pas y être insensible) ou encore les accords entre diverses firmes d'armements européennes et américaines. Ces secteurs des élites dominantes états-uniennes mettent l'accent sur la nécessité, dans la phase présente, de reconsolider des accords qui étaient apparus sur le thème d'une prise de contrôle, plus ou moins partagée, des ressources de l'Irak. Cela était d'ailleurs sous-jacent au vote unanime de la résolution 1441 de l'ONU ; résolution qui a servi à légitimer la mise en place de la «guerre préventive» contre l'Irak. Pour cette fraction de l'establishment américain, afin de «gagner l'après-guerre en Irak, l'Amérique a besoin d'une politique extérieure multilatérale partagée par ses alliés et crainte par ses ennemis» (BW, 24 mars 2003). Toutefois, subvenir aux frais importants - la participation aux bénéfices est toujours susceptible d'être plus âprement négociée - d'une guerre décidée par Washington seul implique une acceptation d'une perte d'autonomie politique écrasante pour des fractions importantes des bourgeoisies européennes. Et les revenus pétroliers de l'Irak ne vont pas rapidement pouvoir assurer les financements massifs requis. Un tournant peut donc s'initier, au travers de cette crise, dans le remodelage des conflits et des alliances internationales. L'évolution des rapports de force au sein de la classe dominante américaine en constitue un élément. Un échec politique ouvert de Blair en Grande-Bretagne pourrait avoir des implications importantes sur la dynamique d'un noyau dur de l'Union européenne. Une stabilisation de l'euro à moyen terme - dans le cadre d'une crise économique mondialisée - ouvrirait un nouveau terrain de bataille entre zones monétaires (dollar et euro). Mais rien n'est encore joué. Les premiers contrats pour la reconstruction de l'Irak passés avec cinq firmes indiquent que la magnanimité internationalisée ne semble pas être une valeur très répandue au sein de l'administration républicaine. Parmi les heureux sélectionnés: Kellog Brown & Root, une filiale d'Halliburton, dont Dick Cheney était le vice-président de 1995 à 2000 ; Bechtel Corp. à la tête de laquelle ont siégé le ministre de la Défense de Reagan, Caspar Weinberger, l'ex-secrétaire d'Etat George Schulz et l'ancien directeur de la CIA William Casey. Bechtel est dans le peloton de tête des financiers de la campagne électorale de Bush, élu finalement par la Cour suprême. Bechtel connaît l'Irak car, dans les années 1980, elle a servi à lui fournir des armes. Quant à Fluor Corporation, elle a des liens directs avec le Département de la défense, son vice-président, Kenneth Oscar, y a dirigé, récemment, un programme de 35 milliards de dollars (Wall Street Journal, 10 mars 2003). Ces contrats conclus par l'USAID (US Agency for International Development) ont dû être soumis à l'autorisation du Pentagone, pour «raisons de sécurité» ; ce qui a fait grincer des dents même les alliés anglais. La guerre annoncée contre l'Irak s'inscrit certes dans une continuité réaffirmée, en 1977 et 1981, par le récent Prix Nobel de la paix Jimmy Carter: le pétrole du Golfe relève des intérêts nationaux des Etats-Unis. Le redéploiement des forces armées américaines est corrélé à la présence du pétrole et à un projet de diversification des sources qui n'enlève toutefois pas la dimension stratégique du Golfe. Quelques exemples: Somalie ; Colombie, Equateur, Venezuela ; la région de la Caspienne (avec aussi le réseau d'oléoducs Baku-Tiblissi-Ceyhan et Baku-Tiblissi-Erzurum) ; le projet d'exportation de pétrole de la Caspienne via la mer Noire (Bulgarie) et via le port de Vlore (Albanie), ce qui explique l'importance donnée au gigantesque camp militaire US au Kosovo: Camp Bondsteel ; l'Afrique du Nigeria à l'Angola. Mais si la direction Bush, dans le cours des événements actuels et sur fond d'une relance économique qui ne cesse de se faire attendre, rencontre quelques obstacles sérieux dans la poursuite de sa politique, alors est en jeu une possible accélération de la réorganisation des rapports internationaux. Les bourgeoisies dominantes, dans le cadre de l'indétermination et des indécisions encore présentes sur les alliances possibles à forger et sur le remodelage des institutions internationales, sont toutefois unanimes sur un point: pour disposer d'atouts dans la compétition économique - un des éléments de la donne à venir - elles doivent chercher à affaiblir les positions des salarié·e·s. C'est ce qui se constate dans l'Allemagne de Schröder ou la France de Chirac. Les prises de position sur une «guerre possible qu'avec l'accord de l'ONU», présentées comme pacifistes, sont utilisées pour étayer une offensive dans le domaine de la sécurité sociale, de la législation du travail ou des privatisations. - 15 mars 2003 1. Voir Financial Times, 6 mars 2003 ; The Observer, 23 février 2003 ; London Review of Books, 6 février 2003, article de Chalmers Jonhson à propos du livre de mémoires de Daniel Ellsberg sur le Vietnam et les Papiers du Pentagone. 2. Die Welt, 13 mars 2003. Haut de page
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