N° 4 Janvier 2002

György Lukàcs

Dialectique et spontanéité.
En défense de Histoire et conscience de classe

Editions de la Passion, Paris, 2001 (préface de Nicolas Tertulian), 127 p.

Le livre de György Lukàcs constitue non seulement un témoignage historique important, mais également un rappel du fait que tout désaccord théorique poussé à ses extrémités conduit à un problème pratique. Rappel qui garde toute son actualité pour qui veut changer le monde aujourd'hui.

Historiquement, ce texte témoigne d'une époque cruciale de l'évolution de l'Internationale communiste. Il s'agit, en effet, d'une réponse de Lukàcs aux critiques dont son livre Histoire et conscience de classe (1923) a été l'objet. Cette réponse, datée de 1925-1926 et retrouvée récemment dans les archives du Komintern, a été publiée pour la première fois en 1996 en Hongrie. Il convient donc de saluer le travail éditorial des Editions de la Passion1 qui permet au lectorat francophone d'avoir accès à ce texte.

Dialectique et spontanéité, comme Histoire et conscience de classe, est donc un texte contemporain de l'émergence du stalinisme. Leur réception et les débats qu'ils ont suscités rendent d'ailleurs bien compte de la difficulté de défendre une pensée marxiste dialectique, à une époque où une vision mécaniste et objectiviste devient hégémonique dans les partis communistes.

Dans sa réponse, Lukàcs tente de dépasser la vision étriquée de la reproduction du capital comme mécanisme strictement économique (production de plus-value), contre l'économicisme et l'objectivisme des orthodoxes de l'Internationale communiste qui l'accusent d'idéalisme et de subjectivisme. Pour ce faire, il réaffirme renouant avec l'analyse marxienne du fétichisme de la marchandise - que le capitalisme est également et inséparablement producteur d'un lien social spécifique et aliénant (production de la reproduction sociale). C'est ce rapport social qui, selon lui, engendre la distance entre la conscience réelle du prolétariat et sa conscience adjugée - ce que la majorité des ouvriers penserait, s'ils étaient capables de saisir parfaitement leur situation historique de classe -, constituant ainsi un obstacle au processus de «subjectivation» de la classe ouvrière.

Lukàcs déduit de cette analyse l'impossibilité de ne se baser que sur la spontanéité du prolétariat pour déclencher et mener à bien un processus révolutionnaire. C'est ainsi que, confronté au problème des effets du fétichisme de la marchandise sur la conscience de classe, Lukàcs cherche le meilleur moyen de permettre à la classe ouvrière de découvrir, au-delà de leur immédiateté naturalisante, la véritable articulation des phénomènes sociaux. Sa solution est alors d'affirmer la nécessité du Parti comme principale forme de médiation réelle, comme lieu d'élévation de la conscience de classe et de lutte contre le fétichisme de la marchandise.

A ceux qui croient vivre dans une société «postmoderne», dans laquelle le conflit de classes s'est dissous dans l'hétérogénéité sans rivages d'appartenances multiples et désarticulées, ce livre apparaîtra sans doute comme une discussion d'anciens combattants. Pour les autres, dont nous sommes, qui pensent que les rapports sociaux capitalistes font encore de la conflictualité de classes l'élément central de la dynamique sociale, cet ouvrage soulève des questions dont l'actualité est incontestable. - Raphaël Ramuz

1. Les Editions de la Passion ont en projet l'édition des úuvres de Roman Rosdolsky. Le premier volume: Friedrich Engels et la question des peuples sans histoires devrait paraître en 2002.

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