N° 4 Janvier 2002

Alain Gresh
Israël, Palestine.
Vérités sur un conflit

Editions Fayard, 2001, 294 p.

Alain Gresh, rédacteur en chef du Monde Diplomatique, a certainement conçu son ouvrage dans une perspective dictée par sa dédicace: «Ce livre est dédié à ma fille et aux jeunes de sa génération [20 ans], à mes enfants. C'est en pensant à elle, à eux que je l'ai écrit.»

La mise en œuvre féroce des projets de l'Etat sioniste suscite des réactions de frayeur et des haut-le-cœur. Simultanément, elle provoque des polémiques biaisées - pour ne pas dire indécentes - où les allusions à un supposé antisémitisme servent d'arguments apodictiques afin de disqualifier l'historien ou le journaliste qui désire tenir les deux bouts de la chaîne: celui de l'universalisme, de l'internationalisme et (donc) celui de la défense intransigeante des droits des Palestiniens.

Enoncer des «vérités sur un conflit»,éclairer les enchaînements indispensables pour saisir la trajectoire du «conflit israélo-palestinien», tel que le fait Gresh, doit permettre aux «nouvelles» générations de pouvoir se construire des repères historiques afin d'examiner - et, peut-être, adopter une option préférentielle pour les opprimées d'aujourd'hui: les Palestiniens - la réalité présente d'une guerre coloniale, dont le nom n'est presque jamais énoncé. Car, comme l'écrit Gresh, confondu par la posture de nombreux intellectuels français: «On applique à ce petit territoire Palestine-Israël d'autres principes, d'autres règles d'analyse que ceux que l'on utiliserait ailleurs.»(p. 26).

Pas étonnant, dès lors, que l'ouvrage de Gresh mobilise la plume maligne de mandarins parisiens. Rien de nouveau. La Rochefoucault écrivait déjà: «..dire la vérité est utile à celui à qui on la dit, mais désavantageux à ceux qui la disent, parce qu'ils se font haïr».

L'ouvrage de Gresh se structure -après la lettre adressée à sa fille, intitulé: «Dieu est du côté du persécuté»-en cinq chapitres. Il suffit de les citer pour saisir en quoi cet ouvrage entre en syntonie avec les interrogations de celles et ceux pour qui se dévoile-sur les écrans télévisés-un «conflit»dont ils recueillent, le plus souvent, que l'écume des anecdotes ou des images insoutenables.

Dès lors, s'affirme l'exigence d'appréhender comment «Le conflit se noue (1917-1939)». Puis, il fallait faire le point sur l'émergence du sionisme, qui tire son nom de la colline de Sion à Jérusalem («Du judaïsme au sionisme»). Gresh, de façon synthétique, souligne que, face à l'antisémitisme du XIXe siècle, le sionisme de Theodor Herzl n'a été «que l'une des réponses possibles, longtemps très minoritaire, à la «question juive» (p. 74). Avec Vidal-Naquet, il rappelle que la création des Etats-nations à l'Est -où pogroms et exclusions sont monnaie courante - implique que les Tsiganes et les juifs sont «à la fois dans les nations et hors des nations». Cela peut expliquer de nombreux engagements internationalistes parmi «l'ensemble juif européen». Logiquement, Gresh mentionne à ce propos le Bund1, créé en 1897, la même année où se tient le premier Congrès sioniste à Bâle. Le Bund se prononce pour «la solidarité des ouvriers juifs avec la classe ouvrière internationale et oppose le patriotisme de la galout (l'exil) au patriotisme sioniste» (p. 75).

On peut regretter que Gresh - certes à cause de la dimension synthétique de son ouvrage - ne consacre que quelques lignes supplémentaires à l'écrasement des internationalistes liés au Bund ou à sa tradition dans l'URSS stalinienne2. Gresh termine ce chapitre en montrant en quoi le sionisme s'inscrit dans l'idéologie et la pratique coloniale, ainsi que dans l'émergence moderne du concept de «race» 3. Un élément essentiel.

Gresh débouche sur une étape charnière: «Naissance d'Israël, naufrage de la Palestine (1947-1949)».Il peut s'appuyer ici sur les travaux des «nouveaux historiens» israéliens, parmi lesquels Tom Segev. Puis, il poursuit sur: «Du génocide à l'expulsion, les souffrances de l'Autre».Gresh part de cette «peur existentielle»- sans tomber dans le piège de les comparer - qui habite les juifs israéliens: le génocide nazi (shoah) qui participe de la construction d'une identité dans l'Etat sioniste. Et celle qui se loge chez les Palestiniens: l'expulsion par les milices juives, puis le déracinement de 1948-1949 (nakba). Une tragédie qui se répétera en 1967. Pas à pas, Gresh, n'évitant pas les interrogations, cherche à «restituer le parcours de chacun des deux cataclysmes»(p. 111), afin de mettre au jour leur fonctionnement dans le «comportement»des protagonistes du conflit. Dans un même mouvement, avec vigueur, Gresh démonte et dénonce les entreprises antisémites des Garaudy et consorts.

Alain Gresh termine son ouvrage - sa présentation raisonnée du «conflit israélo-palestinien»- par un chapitre titré: «Une guerre de plus? 1950-2001». Il note que les accords d'Oslo et la rencontre Arafat-Rabin à Washington, le 13 septembre 1993, provoquent «un espoir fou [qui] balaie la région et le monde»(p. 164). Certes, admet-il, les accords d'Oslo sont «un arrangement entre un occupant et un occupé. Et l'occupant imposa, à chaque étape et avec l'appui des Etats-Unis, son seul point de vue»(p.165).

Toutefois, Gresh insiste sur le fait que ces accords pouvaient ouvrir de nouvelles perspectives. Rien n'était réglé à l'avance, dit-il en substance. Il met en lumière les «acquis»(p. 184) de la dernière rencontre - à Taba (Egypte), en janvier 2001 - entre une délégation du gouvernement d'Ehud Barak et une représentation de l'Autorité palestinienne. Pour l'auteur, les acquis de Taba - entre autres les diverses options ayant trait au retour des 3,7 millions de réfugiés palestiniens - tracent la voie de sortie du conflit. Car «la seule autre option relève du cauchemar, de l'apocalypse»(p. 185). Ces dernières semaines, il n'est pas impossible de penser qu'on côtoie cet abîme. - C.-A. Udry

1. Voir à ce sujet l'ouvrage d'Henri Minczeles, Histoire générale du Bund, un mouvement révolutionnaire juif (1897-1948), Ed. Austral, Paris 1995.

2. Voir aussi Nora Levin, Paradox of Survival. The Jews in the Soviet Union since 1917, 2 vol, Ed. Tauris, 1990.

3. Il est utile de se référer à ce propos à la somme dirigée par Patrick Tort: Dictionnaire du Darwinisme, 3 vol., PUF, 1996, entrée Race et racism: p. 3610-3613.

Haut de page


Case postale 120, 1000 Lausanne 20
fax +4121 621 89 88
Abonnement annuel: 50.-
étudiants, AVS, chômeurs: 40.- (ou moins sur demande)
abonnement de soutien dès 75.-
ccp 10-25669-5