N° 4 Janvier 2002

Ordre impérial et ordre intérieur (I)'

Un présidentialisme impérieux

«J'exhorte le Congrès des Etats-Unis à saisir l'occasion pour résister à la consolidation du pouvoir de l'exécutif et pour assurer notre liberté et notre sécurité'»' Ces mots n'émanent pas d'une quelconque organisation d'extrême droite opposée au pouvoir fédéral (central) de la Maison-Blanche. Ils terminent l'intervention de Laurence Tribe, professeur de droit constitutionnel de la prestigieuse Harvard Law School, devant la commission judiciaire du Sénat le 6 décembre dernier1.
Les médias télévisés et la presse écrite à large diffusion ont apporté leur soutien aux dispositions prises depuis le 11 septembre par l'administration Bush qui mettent en cause une série de droits constitutionnels démocratiques. Les réticences et oppositions de nombreux constitutionnalistes n'ont pas eu droit à la même couverture médiatique. Les guerres se mènent aussi au plan de la propagande. Pourtant, de nombreux spécialistes de droit constitutionnel, d'horizons divers, ont tiré la sonnette d'alarme. Et certains n'ont pas hésité à utiliser le terme d'absolutism'e pour caractériser les instruments que se donne le pouvoir politique, si étroitement lié au pouvoir économique [voir dans ce numéro les articles consacrés au scandale Enron et à l'armement].'

Paolo Gilardi'

L'adoption à la quasi-unanimité par le Congrès de l'US Patriot Act' le 26 octobre 2001 et la promulgation le 13 novembre du décret militaire du président Bush autorisant la création de tribunaux militaires spéciaux ont suscité l'inquiétude. Certains experts posent la question suivante: le cumul de décisions visant à «assurer l'ordre intérieur» et à «défendre les Etats-Unis face au terrorisme» ne traduit-il pas un changement des normes constitutionnelles, fonctionnel à la projection militaro-politique de l'impérialisme américain.'

Des pouvoirs policiers étendus'

Concocté par le ministre de la Justice J. Ashcroft, le Patriot Act' constitue une véritable révolution en matière de libertés publiques. Il autorise pêle-mêle l'arrestation d'individus par la police d'Etat, par le FBI (Federal Bureau of Investigation) ou par les services d'immigration, leur détention pour une durée illimitée et sans décision d'un tribunal, la surveillance des conversations téléphoniques et du courrier électronique et les perquisitions domiciliaires, de jour comme de nuit, y compris en l'absence de la personne, sans mandat et sur la base de simples «présomptions».'

Quant à ces dernières, le texte adopté par le Congrès laisse aux différentes agences fédérales une énorme marge d'interprétation. En effet, pour justifier les mesures précitées sont indiqués des motifs aussi vagues que: «activités anti-américaines»', «menaces contre la sécurité nationale»', ou encore «liens avec des personnes ou organisations qui pourraient faire apparaître des connexions avec le terrorisme international»'. Les possibilités d'application arbitraire sautent aux yeux.'

Comment définir, par exemple, des «activités anti-américaines'»? Est-ce le fait d'avoir participé à un attentat contre une ambassade US ou suffit-il d'avoir pris part à une manifestation de rue au cours de laquelle le feu aurait été mis à la bannière étoilée? L'appréciation ne revient qu'au service qui décide de l'arrestation sans que la personne arrêtée puisse recourir contre sa privation de liberté, celle-ci n'ayant pas été décidée par une cour de justice.'

Sécurité nationale ou des multinationales?''

Il en va de même pour les «menaces contre la sécurité nationale»'. Alors que George W. Bush avait qualifié les attaques du 11 septembre de déclaration de guerre à «notre démocratie et à la libre entreprise»', il est évident que toute critique à cette même libre entreprise pourrait être assimilée à une atteinte à la sécurité nationale. Plus concrètement, étant donné que, d'après le Pentagone, l'approvisionnement énergétique du pays constitue un élément clé de la «sécurité nationale»', l'activité des organisations écologistes ou même des Verts de Ralph Nader contre l'extension des forages pétroliers en Alaska ' projet défendu par le lobby pétrolier qu'est l'administration Bush ' pourrait être considérée comme une forme de «menace de la sécurité nationale»'.'

D'ailleurs, il est intéressant de relever que, en fonction de ces mêmes critères de «sécurité nationale»', l'administration républicaine a fait retirer des sites officiels de l'Etat les données sur la pollution des eaux de l'US Geological Service' ainsi que celles de la Environmental Protection Agency 'concernant les risques d'accidents chimiques. Elle donne ainsi satisfaction aux demandes insistantes de l'industrie pharmaceutique, ce qui amène le San Francisco Examiner' à poser la question suivante: «So are we protecting the Nation or Monsanto?»' («Ainsi sommes-nous en train de protéger la nation ou Monsanto?») 2

Mieux vaut être mormon et blanc''

Cette logique est confirmée par la liste mise à jour du FBI des organisations à surveiller en vertu de la législation antiterroriste: le nom de Greenpeace y figure en bonne place en compagnie, entre autres, du mouvement des Indiens d'Amérique, de Act Up ou encore du Front zapatiste de libération nationale3!

L'incitation à la délation n'est pas non plus absente de l'US Patriot Act'. En vertu de cette nouvelle loi, les différentes agences sont habilitées à procéder à l'arrestation de toute personne «n'ayant pas notifié au FBI un soupçon raisonnable»' sur quelqu'un qui s'apprêterait à accomplir un acte terroriste. Ici aussi, l'étendue de l'interprétation possible est sans limites. Cela amène un observateur américain, cité par Le Monde diplomatique, 'à affirmer que l'on assiste à «un coup d'Etat militaire larvé ['] qui, à l'instar de l'ancienne RDA, transformera le pays en nation de délateurs où seuls les mormons blancs seront en sécurité»'.4

Chères grandes oreilles'

Le renforcement des pouvoirs des agences, et de celui du FBI en particulier, passe également par l'extension des possibilités de contrôle et de surveillance, notamment en matière de communications électroniques. A ce titre, l'appel à la mobilisation patriotique des opérateurs et des entreprises, assorti de crédits publics à neuf chiffres, n'aura pas été vain.'

L'autorisation accordée par le Patriot Act' à l'extension quasi illimitée des possibilités de surveillance sur la Toile a nécessité la tenue en décembre 2001 à Washington d'une conférence nationale pour la sécurité. En plus de responsables politiques et militaires, y ont siégé des représentants de grandes firmes telles que Microsoft, Oracle ou encore AMS (société fondée en 1970, spécialisée dans les technologies de l'information). Censée établir une meilleure collaboration dans le développement de technologies de surveillance, la conférence a été l'occasion de distribuer des milliards pour la recherche de méthodes plus pointues et pour le développement de «nouveaux standards d'interception légale des communications sur les serveurs Internet à des niveaux et à des vitesses plus élevés»'5'.'

Cela vient s'ajouter aux systèmes déjà existants pour lesquels le Patriot Act' a autorisé d'importantes rallonges budgétaires. Il en est ainsi par exemple de RISSNET, un système sécurisé intranet reliant 5700 agences, organismes dans une cinquantaine de pays, qui est centré sur la surveillance des mouvements anti-globalisation et qui a coordonné leur «suivi» lors des mobilisations de Seattle, Québec City, Philadelphie, Washington et Gênes6. Ce système bénéficie en particulier des bases de données MAGLOCLEN7 résultant d'analyses de conversations téléphoniques, de communications électroniques ou de comptes bancaires. Il permet de fournir, dans des délais très brefs, des informations détaillées sur des personnes, «sur leurs familles et leurs amis», ainsi que sur la composition de différentes organisations.'

Autorisé également par le Patriot Act,' le système sobrement appelé Carnivore' permet aux différentes polices d'instaurer une surveillance presque sans limites sur les communications électroniques, de pénétrer les systèmes informatiques pour y opérer des recherches ou y installer des bugs (une anomalie dans le fonctionnement d'un programme) sans autorisation aucune de la part de la justice. De plus, le FBI est habilité à imposer aux différents serveurs l'installation de Carnivore,' ce qui, théoriquement du moins, pourrait lui permettre d'étendre sa surveillance à l'ensemble d'Internet.'

Les citoyens et les «Aliens»'

L'autre aspect important des mesures adoptées le 26 octobre a trait à la différenciation des droits entre citoyens des Etats-Unis et résidents étrangers, appelés non-citoyens' ou Aliens'. Ce terme a une connotation particulière, par glissement: il signifie étranger, mais dans la science-fiction il sert à nommer les extraterrestres, ceux qui sont étrangers à notre planète, qui tend symboliquement à être confinée à l'Empire américain. Dans ce cadre aussi se manifeste une mutation des conceptions juridiques américaines.'

Depuis le Bill of Rights (Déclaration des droits ' amendements 1 à 10 à la première Constitution de 1787-1790) ratifié en 1795 et depuis le 14e amendement de 1868, les garanties constitutionnelles étaient censées s'étendre à l'ensemble des résidents sur le territoire national, fussent-ils citoyens ou étrangers. Il en va particulièrement des 1er, 5e et 6e amendements de la Constitution qui, respectivement, garantissent le droit de recourir contre une décision policière, interdisent la privation de la liberté (et de la vie) sans procédure judiciaire et imposent transparence et célérité de la justice. Certes, de sérieuses entorses à cette égalité entre citoyens et non-citoyens devant la loi avaient déjà eu lieu au tournant des XIXe et XXe siècles lorsqu'il s'agissait de contenir les activités politiques et syndicales des immigrés socialistes et anarchistes. De même, des 1947 et particulièrement dès 1950 (début du maccarthysme, par référence au sénateur Joseph McCarthy), des violations de ces principes ont été commises. Toutefois, les mesures adoptées actuellement, dans un contexte d'hégémonie politico-militaire et de contestation sociale limitée, brisent légalement certains «interdits» constitutionnels.

Le US Patriot Act' autorise en effet, pour la première fois, l'interrogatoire, l'arrestation et la détention illimitée au secret de non-citoyens des Etats-Unis sur la base de simples présomptions. C'est ainsi que depuis le 11 septembre, plus de 1200 personnes ont été arrêtées et sont détenues dans des lieux gardés secrets sans que soient connues ni leurs identités ' moins de 20 noms de personnes arrêtées ont été divulgués ' ni, sauf dans un cas, les chefs d'inculpation qui fondent leur détention, ni les lieux de détention; et tout cela sans que leurs familles en soient informées.'

Certaines rumeurs font état de tels mauvais traitements infligés aux personnes arrêtées, notamment par le recours à de puissantes doses de «sérum de vérité», que certaines d'entre elles seraient actuellement physiquement réduites à un état végétatif8. Durant plus de trois mois, les autorités ont systématiquement d'indiquer le nombre et la nationalité des personnes ainsi privées de liberté, y compris devant l'insistance de gouvernements «amis», tel que celui d'Egypte. En décembre, le ministre de la Justice Ashcroft a fini par en admettre le nombre. Il a indiqué que parmi eux figurent des Libanais, «moins de cent Egyptiens», des Palestiniens, des Yéménites ainsi que des ressortissants d'Arabie saoudite.'

Une collaboration «volontaire»'

De toute évidence, c'est contre les Aliens' originaires du Moyen-Orient que ces mesures sont dirigées, au point que l'hebdomadaire égyptien Al-Ahram Weekly' titrait en décembre «Arabes en Amérique. Dangereux par définition?» '9'. Codifié par le Patriot Act', le délit de faciès a également permis au FBI d'interroger au cours de la dernière période plus de 5000 jeunes immigrants récents provenant de pays musulmans. Après avoir prétendu que ces interrogatoires résultaient de violations des lois sur l'immigration, J. Ashcroft a fini par reconnaître devant le Congrès qu'ils n'avaient «pas de lien avec des violations spécifiques de la loi'» 10, tout en prétendant que la collaboration des personnes interrogées était «volontaire».'

Sans entrer en matière sur le caractère quelque peu particulier dans le climat actuel d'une telle collaboration' volontaire que les enquêteurs sont «libres d'encourager par tous les moyens adéquats» '11', c'est leur fonction qu'il est surtout intéressant de relever. En effet, d'après les avocats qui y ont assisté, «en aucun cas '[les questions posées] n'ont porté sur d'éventuelles violations des lois sur l'immigration»'. Elles ont par contre permis d'accumuler une somme considérable de renseignements sur des milliers de personnes, sur leurs voyages, leurs relations, leur formation, etc.'

Ce dispositif sécuritaire entraîne bien évidemment un durcissement des mesures sur l'immigration et est complété à la fois par le projet de création d'une carte d'identité nationale obligatoire et par la militarisation de la politique de sécurité intérieure.'

L'armée dans les villes'

Les mesures de déploiement intérieur de l'armée définies par l'US Patriot Act' constituent une nouveauté de taille: la présence massive de troupes armées dans les lieux publics comme les aéroports, les gares ferroviaires et les stations des Greyhound (bus sillonnant les Etats-Unis) ou à l'entrée des ponts n'a rien d'habituel. Bien au contraire, elle abroge de fait une loi de 1878 adoptée après la guerre de Sécession, le Posse Comitatus Act, 'qui interdisait jusqu'ici le recours aux forces armées pour l'accomplissement de tâches de police en dehors des situations de guerre ou de crise nationale de brève durée.'

Coïncidence, l'abrogation de cette loi n'est pas demandée par les seuls sénateurs de la droite républicaine la plus extrême, elle figurait dans le programme électoral du candidat Bush Jr.!'

Tribunaux d'exception'

Quelques semaines seulement après l'adoption du US Patriot Act' par le Congrès, c'était au même Bush Jr. d'édicter, le 13 novembre 2001, un «décret présidentiel militaire»' autorisant la création de tribunaux militaires d'exception chargés d'instruire et de juger les affaires de terrorisme ou, plus précisément, «les auteurs de violations des lois de la guerre et autres lois comparables et de tout autre individu dont il est question dans ce décret'» 12.

Instance nouvelle, ces tribunaux militaires spéciaux ' qui ne sont pas des cours martiales traditionnelles ' constituent une pièce maîtresse de la logique de remodelage de l'ordre constitutionnel déjà évoqué.'

D'abord, dans la mesure où ils sont appelés à juger des Aliens', ils constituent un élément clé dans la mise sur pied de cette justice différenciée dont il a déjà été question plus haut discriminant ainsi «directement 20 millions de résidents aux USA» '13'. Les citoyens américains tombant sous le coup des mêmes inculpations seraient jugés par d'autres tribunaux, ce que confirme la procédure pénale appliquée au jeune Américain John Walker arrêté le 9 décembre lors de la répression des prisonniers enfermés dans un fort près de Mazar-i-Charif en Afghanistan.'

Le décret présidentiel autorise ensuite l'écoute et l'enregistrement des entretiens entre les prévenus et leurs avocats, admet les témoignages indirects ou rapportés et les témoignages secrets. Cela constitue une violation aussi bien des 5e et 6e amendements qui, d'après la Constitution, ne s'appliquent pas qu'aux citoyens américains mais «aux personnes» et aux «accusés'» 14 que des lois internationales.

Ensuite, ces tribunaux ' qui siégeront dans des lieux tenus secrets, y compris à l'étranger ' ne délibèrent pas en public. Leurs décisions sont sans appel, y compris pour ce qui a trait aux condamnations à la peine capitale. Celle-ci peut être décidée par la majorité des deux tiers du collège formé d'un minimum de cinq juges officiers, ce qui est contraire aux dispositions de la loi sur la justice militaire15 qui prévoient que la peine de mort ne peut être décidée qu'à l'unanimité.

Contraires aux conventions internationales'

Le gouvernement des Etats-Unis, expression politique d'un supra-impérialisme, confirme que «le droit qu'il décrète» dispose d'une préséance. En effet, appelés à juger aussi des étrangers capturés en dehors du territoire américain, ces tribunaux constituent, d'après l'ensemble des juristes, une manière de contourner la IIIe Convention de Genève relative au traitement des prisonniers de guerre (1949, entrée en vigueur en octobre 1950; cette Convention a été approuvée par l'Assemblée fédérale helvétique le 17 mars 1950). D'ailleurs, cité sous le couvert de l'anonymat par le New York Times,' un officiel de l'administration reconnaît ouvertement l'abandon de cette Convention par les Etats-Unis16.

La polémique actuelle entre le CICR et l'administration Bush à propos des talibans et des membres de Al-Qaida arrêtés en Afghanistan et transférés dans la base américaine de Guantanamo (sur l'île de Cuba) témoigne de cette volonté d'imposer de fait et de droit les règles d'un pouvoir impérial, dont l'exercice est mené au nom des «valeurs démocratiques occidentales», du «respect des droits de l'individu»''

En s'arrogeant le droit de définir qui est prisonnier de guerre et qui ne l'est pas ' et donc ne profite pas des protections relatives à ce statut ', le gouvernement des Etats-Unis ne refuse pas seulement de se soumettre à des conventions internationales. Il s'attribue une tâche normalement dévolue au pouvoir judiciaire, à savoir l'interprétation du droit.'

Roi Soleil?'

C'est sur la base de la même concentration des pouvoirs dans les mains de l'exécutif que procède la décision de traduire des individus devant un tribunal militaire spécial. Celle-ci ne revient en effet qu'à l'administration, seule habilitée à décider de la nature terroriste des actes à juger. Ainsi, «selon les circonstances, le Président peut décider pour chaque acte d'un résident étranger s'il implique un lien avec une organisation terroriste: conduire la voiture d'un ami soupçonné de terrorisme peut vous amener devant un tribunal militaire s'il se trouve que votre ami a été ou est terroriste»'17'.'

Dès lors, ainsi qu'il le fait sur le plan international en dictant et modifiant la liste des Etats «voyous», «terroristes», «protégeant les terroristes»', le gouvernement des Etats-Unis dispose, en vertu de des propres décrets, des instruments internes de criminalisation de toute opposition politique. La participation à des manifestations contre les guerres menées par le gouvernement et Pentagone pourrait être assimilée à une collusion avec l'ennemi et tomber sous le coup des lois antiterroristes. Il peut en aller de même pour des mouvements de solidarité avec des mobilisations populaires et des résistances armées, aujourd'hui en Colombie, demain en Argentine ou au Venezuela. On peut imaginer ce qu'aurait signifié l'application de tels décrets pour faire taire le mouvement de solidarité nord-américain avec les sandinistes au Nicaragua dès juillet 1979. Et cela alors que les actuels membres de l'administration Bush et particulièrement son représentant au Conseil de sécurité de l'ONU, John Negroponte, faisaient leurs premières armes en organisant l'agression militaire (la contra') contre le Nicaragua depuis le Honduras.'

Certes, toutes ces tentatives d'assimilation entre l'opposition politique et les services rendus à l'ennemi ne sont pas une nouveauté. Citons à ce titre les accusations de communisme lancées durant les années soixante contre Martin Luther King ou encore les campagnes médiatiques contre l'actrice Jane Fonda «coupable» de s'être rendue à Hanoï au moment où les bombardements américains sur le Vietnam du Nord atteignaient leur sommet. Ce qui est nouveau, par contre, c'est que la base juridique pour de telles accusations est soustraite à la justice pour être remise de manière discrétionnaire entre les mains du pouvoir exécutif.'

C'est en ce sens que les mesures prises après le 11 septembre déterminent une modification de l'architecture politique dans le sens où le décret du 13 novembre «fait de l'exécutif un législateur qui impose la loi, en décide l'interprétation et l'application»'18'.'

En suivant l'affirmation de Laurence Tribe, citée en ouverture de cet article, pour qui «cette concentration des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire dans les mains d'une seule personne ou du gouvernement est d'ordinaire considérée comme l'expression achevée de l'absolutisme»'19', on ne peut que comprendre le San Francisco Examiner' lorsqu'il parle de «retour du Roi Soleil»'20'. Plus concrètement, une fraction de la classe dominante américaine, après plus de vingt ans de contre-réforme conservatrice, traduit au travers de l'administration Bush une rapacité de propriétaire rentier voulant arrondir ses gains, que ce soit sur le marché interieur (voir Enron) ou à l'échelle internationale. Pour cela, elle a besoin d'ordre, surtout quand sa politique suscite le désordre socio-économique.''

(L'Europe n'est pas non plus à l'abri de mesures sécuritaires. Nous y reviendrons dans une deuxième partie de cet article dans notre prochain numéro.)'

1. Texte sur le site du Congrès américain.'

2. San Francisco Examiner,'7.12.01, Conn Hallinan, «Sun King Returns» («Le retour du Roi Soleil»).'

3. Wayne Madsen, «Homeland Security, Homeland Profits», www.corpwatch.org, 21.12.01.'

4. Janvier 2002, pp. 8 et 9.'

5. W. Madsen, article déjà cité.'

6. Id.'

7. Middle Atlantic-Great Lakes Organized Crimes Law Enforcement Network, base de données créée par l'ancien directeur de la CIA Edgar Hoover.'

8. Voir, entre autres, Il Manifesto,' 14.11.01.'

9. Amira Howeidy, in Al-Ahram Weekly online'. Voir le site www.alencontre.org, rubrique «Liens», sous Proche- et Moyen-Orient.'

10. Id.'

11. Id.'

12. Section 1.e, cité par L. Tribe dans sa déposition devant la commission judiciaire du Sénat.'

13. Tribe, id.'

14. San Francisco Examiner', 7.12.01, art. cité.'

15. Uniform Code of Military Justice, art. 852'

16. New York Times,' 26.12.01, W. Glaberson, «Critic's Attack on Tribunal Turns to Law Among Nations».'

17. Tribe, id.'

18. Id.'

19. Id.'

20. Art. cité, 7.12.01.'

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