N° 2 novembre 2001

Convention collective de La Poste

Une forte opposition

Agostino Soldini

La nouvelle Loi sur le personnel de la Confédération (LPers), adoptée le 26 novembre 2000, définit, dans les grandes lignes, les conditions de travail du personnel fédéral. Elle est complétée par des dispositions d’exécution, qui sont, elles, multiples. Pour l’administration générale de la Confédération, il s’agit d’une ordonnance édictée par le Conseil fédéral; aux CFF et à La Poste, d’une convention collective de travail (CCT).

De la loi aux CCT

La CCT des CFF est déjà en vigueur. A La Poste, un projet de CCT a été "négocié" entre la direction de l’entreprise et les responsables du Syndicat de la Communication (qui fait partie de l’Union syndicale suisse) et de Transfair (Confédération des syndicats chrétiens).

Les membres des deux syndicats qui travaillent à La Poste ont été appelés à se prononcer sur ce projet de CCT 1. Pour ce qui est de Transfair, 89% des votant·e·s ont dit "oui". Transfair est le syndicat nettement minoritaire à La Poste. Tout au long de son histoire, il n’a jamais manifesté une quelconque combativité. Son action présente ne fait pas exception. Rappelons, à titre d’exemple, qu’il a été le seul syndicat du secteur public à soutenir ouvertement la LPers. Quant au Syndicat de la Communication, l’organisation du personnel majoritaire à La Poste, l’issue de la votation parmi ses membres vient d’être rendue publique. Le projet de CCT a été accepté par 65,5% des votant·e·s (voir encadré ci-dessous).

Un résultat significatif

L’écart entre les régions linguistiques est énorme. Ainsi, en Suisse alémanique, le taux d’acceptation est très élevé: 83% des votant·e·s. Par contre, au Tessin, le projet de CCT n’a été accepté que par 52% des votant·e·s, tandis qu’en Suisse romande, il a été balayé par les deux tiers, avec des refus supérieurs à 70% parmi les membres des sections de l’Arc jurassien et du Valais romand. L’écart entre la Suisse romande et la Suisse alémanique est de près de 50 points!

Le résultat en Suisse romande et, dans une moindre mesure, au Tessin est l’expression d’une forte opposition à la CCT. Cela n’était pas acquis d’avance. Il suffit de rappeler que la CCT des CFF, au contenu similaire à celle de La Poste, avait été avalisée, y compris en Suisse romande, par plus de 90% des votant·e·s. De plus, la direction de La Poste n’a pas ménagé ses efforts pour faire avaler la couleuvre aux salarié·e·s. Il en va de même des responsables du Syndicat de la Communication, dont la litanie propagandiste a tourné autour de l’"argument" suivant: "Notre délégation a réussi à obtenir l’essentiel au cours de dures négociations. Il n’était pas possible de faire davantage." 2 Cela a été martelé, à satiété, dans l’organe de presse du syndicat, où le point de vue des opposant·e·s à la CCT, par contre, n’a que très rarement eu droit de cité…

Pourquoi un tel écart?

Des militant·e·s de solidaritéS ont contribué à la bataille contre la CCT de La Poste. Un tract appelant les salarié·e·s à voter "non" a été largement diffusé. En Suisse romande, des responsables de sections du Syndicat de la Communication ont participé activement à cette bataille qui a ainsi pu prendre appui sur le collectif militant de ce syndicat. Elle a été le prolongement, vécu comme tel par ce collectif également, de la campagne contre la LPers, qui était, elle-même, l’aboutissement provisoire de quelques mobilisations menées précédemment dans le secteur public. Les thématiques à l’ordre du jour (protections contre les licenciements, salaire "au mérite", etc.) avaient ainsi déjà imprégné la réflexion d’une partie des salarié·e·s de La Poste. La préparation du terrain a payé.

Rien de tel, nettement moins en tous cas, en Suisse alémanique, où la bataille contre la CCT s’est déroulée sur un terrain moins propice. En effet, les attaques précédentes contre les droits des salarié·e·s du secteur public n’avaient pas suscité d’oppositions, si ce n’est de manière marginale. Que l’on pense à la liquidation, dans presque tous les cantons, du statut de fonctionnaire ou à l’extrême faiblesse de la campagne menée contre la LPers. De surcroît, la bataille contre la CCT de La Poste n’a pas pu bénéficier de la collaboration de sections et/ou de militant·e·s du Syndicat de la Communication. Les différences sont ainsi de taille et permettent d’éclairer, certes de manière partielle, des résultats aussi fortement divergents d’un côté et de l’autre de la Sarine.

Une victoire des syndicats?

Les dirigeant·e·s des deux syndicats de La Poste n’ont pas vraiment de quoi pavoiser. L’issue de la votation parmi les membres du syndicat largement majoritaire indique en effet que "tout un groupe linguistique s’est opposé au résultat des négociations" 3. Le résultat au Tessin est également l’expression d’une très faible adhésion à la CCT. Ainsi, la politique de la direction du Syndicat de la Communication a été explicitement rejetée par une minorité significative de ses membres.

De surcroît, l’entrée en vigueur de la CCT n’a été soutenue que par 13,5% des salarié·e·s de La Poste. En effet, 56510 salarié·e·s seront soumis·e·s à la CCT 4. Or, si l’on additionne les "oui" à la CCT parmi les membres du Syndicat de la Communication (5359) et parmi ceux de Transfair (2264), on arrive à un total d’à peine 7623 voix.

Faute de disposer d’une carte syndicale, la majorité des salarié·e·s de La Poste n’a pas été interpellée. Quant aux membres des syndicats, alors même que la consultation était décisive, une majorité d’entre eux s’est abstenue. Il ne fait pas de doute que cette abstention est liée au découragement ressenti face au démantèlement sans fin de leurs droits et à l’absence totale de riposte de la part des syndicats.

"L’apothéose". Pour qui?

La CCT a été signée le 16 octobre dernier. A cette occasion, les différentes délégations étaient "assises face à face écoutant une polka de Tchaïkovski, exprimant leurs sentiments et leurs attentes, s’applaudissant mutuellement et signant, en guise d’apothéose, les documents dorés autour d’une table fleurie!" 5 Un tel tableau, illustrant à merveille les connivences entre les responsables syndicaux et la direction de La Poste, pourrait prêter à sourire. Mais l’entrée en vigueur de la CCT représente un recul majeur du point de vue des intérêts des salarié·e·s (voir encadré ci-contre). Elle sera un instrument pour baisser les salaires, sauf ceux des "top managers", et pour licencier le personnel sous n’importe quel prétexte. De plus, elle provoquera une individualisation extrême des conditions de vente de la force de travail et, donc, une atomisation accrue du collectif des salarié·e·s de La Poste.

Ce recul s’ajoute aux défaites subies ces dernières années, notamment le démantèlement des PTT, avec privatisation partielle des télécoms. Toutes ces contre-réformes ont été avalisées non seulement par la direction de Transfair, mais également par celle du Syndicat de la Communication. Pire encore: cette dernière a été l’un des vecteurs pour les faire passer auprès des salarié·e·s. L’exemple de la CCT de La Poste n’est que le dernier de la liste. Une question devrait dès lors interpeller les collectifs militants au sein du Syndicat de la Communication: vont-ils continuer encore longtemps à subir les choix imposés par la direction nationale de leur syndicat, qui se traduisent par une défaite après l’autre pour les salarié·e·s de La Poste?

1. En fait, il s’agit de deux CCT, la deuxième, calquée sur le Code des obligations, étant réservée au personnel "auxiliaire" de La Poste. La votation parmi les membres des syndicats n’a cependant porté que sur un seul objet.

2. Hans Ueli Ruchti, secrétaire général du Syndicat de la Communication, comTEXTE, Numéro spécial CCT La Poste, 4 mai 2001.

3. comTEXTE, 12 octobre 2001.

4. comTEXTE, 24 août 2001.

5. Le Personnel, Journal des Syndicats chrétiens du personnel fédéral, 25 octobre 2001.


Le contenu de la CCT

La CCT de La Poste, qui entrera en vigueur au 1er janvier prochain, se traduira par une nette aggravation des conditions de travail du personnel.

Une CCT pour licencier

La direction de La Poste aura la possibilité de licencier les salarié·e·s sous n’importe quel prétexte. Par exemple, pour "mauvaise volonté" ou au nom d’"impératifs économiques". C’est la porte ouverte à l’arbitraire, mais aussi aux licenciements en nombre. Pour le personnel, l’insécurité sera permanente.

Une CCT contre la vie sociale

L’entrée en vigueur de la CCT se traduira par la soumission complète des horaires de travail aux intérêts de l’entreprise. Les salarié·e·s paieront le prix de cette flexibilité sans limite dans leur vie sociale et familiale, mais également avec leur santé.

Une CCT pour réduire les salaires

La CCT prépare la baisse des salaires, sauf pour les "top managers". D’un côté, diminution des salaires des ouvriers/-ères et des employé·e·s, de l’autre des paies de ministre qui prennent l’ascenseur! De plus, une partie du salaire sera désormais variable, en fonction du "mérite". Adieu les garanties de salaire, nécessaires pour organiser sa vie! Place à l’arbitraire et au copinage!

Une CCT antisyndicale

La CCT introduit l’obligation pour les syndicats de "respecter la paix absolue du travail" et de "s’abstenir de toute action". Les mobilisations seront interdites! Cette clause soumettra ainsi les salarié·e·s, pieds et mains liés, aux décisions de la direction de La Poste.

Une CCT contre les services publics

La CCT va à l’encontre de la défense des services publics. Les pressions accrues sur les salarié·e·s vont entraîner des conséquences néfastes sur les prestations aux usagers/-ères. De plus, la CCT prépare la privatisation des secteurs rentables de La Poste. L’esprit solidaire du service public — garantir à toutes et à tous, quels que soient leur revenu, leur âge, leur lieu de domicile, un accès à des prestations de qualité — sera sacrifié sur l’autel de la rentabilité et du profit.


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