N° 2 novembre 2001 Les PME, avenir du développement? Des sous-traitants tenus en laisse Au cours des deux décennies de plans dajustement structurel et de contre-réformes néo-libérales, une série dindustries para-étatiques (sucreries, raffineries, mines, plantations
) ont été largement privatisées et diverses activités relevant des services publics de lEtat ont connu le même sort. On peut citer la distribution de leau, lélectricité, le téléphone. Ces secteurs ont passé dans les mains de grands groupes français, allemands, sud-africains
La poste, qui ne rapporte rien, relève toujours de la compétence de lEtat. Les compagnies daviation ont été mises en faillite et vendues pour 1 franc symbolique. Le seul secteur qui reste apparemment dans les mains de lindustrie locale serait celui des travaux publics qui doit gérer les réseaux routiers et assurer leur entretien. Voyons ce quil en est réellement et examinons aussi la solution miracle pour le "nouveau développement": la création des petites et moyennes entreprises (PME). Le secteur des travaux publics Les travaux publics qui gèrent les réseaux routiers des Etats, selon des modèles différents liés à lhéritage colonial, relevaient dune structure centralisée. Pendant un certain temps, les institutions internationales la Banque mondiale en particulier ont cautionné le système et se sont évertuées à le consolider (par exemple lOffice des routes de lex-Zaïre). Ce nest quà la fin des années 1980 que la BM, suivie par les autres institutions internationales et les bailleurs nationaux, a changé de cap. Elle a réclamé le démantèlement des structures existantes ainsi que la privatisation des activités. LEtat ne conserve que la maîtrise duvre (le contrôle des travaux). Donc, ce qui avait été sauvé, et même renforcé, a commencé à être démantelé, afin de créer un "secteur privé dans les travaux publics". Avant de poursuivre, il convient de faire la mise au point suivante: tous les travaux de grande importance, tels que constructions et projets de nouvelles routes, financés en tout cas partiellement par les bailleurs de fonds internationaux, étaient déjà réalisés par le secteur privé international, sur appel doffres. Ils étaient pratiquement aux mains des grandes entreprises de travaux publics françaises, allemandes, italiennes, puis coréennes, brésiliennes, etc. Quand on parle donc de privatisation des travaux publics, on fait référence à lentretien des routes et des pistes, et partiellement à la maîtrise duvre. Les nouveaux dogmes Le principe qui va sous-tendre la privatisation des travaux publics est comme toujours le critère de profit, de rentabilité. Reste à savoir pour qui. Toute étude doit démontrer la rentabilité de la route à construire, cest-à-dire prouver la capacité de cette nouvelle infrastructure à dégager des avantages économiques supérieurs aux coûts de la route, en particulier supérieurs aux coûts de sa construction. A ce point, il faut revenir à la notion de réseau routier dans le cadre dun service public. Le réseau routier forme une toile plus ou moins serrée reliant les différentes régions ou provinces dun pays, les différents pôles économiques aux différentes villes et villages. Il contribue de la sorte à consolider la communauté nationale ou régionale, en prenant sa part au développement, en assurant les communications. Une telle fonction ne peut être remplie à partir dun critère de profit immédiat, et encore moins, comme cela tend à se passer aujourdhui, à partir dun profit immédiat calculé sur la base de chaque investissement. Cette notion de rentabilité, comme moteur des investissements pour un réseau routier et pour son entretien, ne peut que conduire à lidée du réseau routier prioritaire. Ce pas a très vite été franchi. En effet, les premières mesures prises afin de permettre la privatisation des études, des travaux de construction et de leur contrôle, ainsi que de lentretien routier ont visé à déterminer les réseaux de routes prioritaires, sur des bases de rentabilité et non plus de service public à léchelle de lEtat. Il en a découlé, très vite, une opposition entre le pays "utile" qui sera desservi et le reste du pays. Tout ce qui nest pas, ou plus rentable, sera confié à des ONG et à "lhumanitaire". Pour ce dernier, qui bien souvent sert de vitrine aux pays riches du Nord, point nest besoin de route, il y a toujours lhélicoptère! La solution miracle à la privatisation: les PME Une fois décidée la privatisation de lentretien des routes, il fallait mettre en place de nouveaux mécanismes et institutions. En effet, les importants chantiers juteux restent dans les mains des grandes entreprises internationales, ce qui permet de rapatrier, sous forme de profit, une bonne partie des fonds daide bilatéraux. On nest jamais si bien servi que par soi-même! Pour les fonds français des entreprises françaises, pour les fonds européens, des entreprises de la Communauté européenne, etc. On a donc réservé aux PME nationales africaines les travaux dentretien, travaux indispensables, mais de moindre rapport financier. Eh oui, il fallait y penser. Et la BM y a pensé. Seulement, il y avait un hic. Ces bonnes PME nexistaient pas. Le travail se faisait directement par les services des travaux publics, en régie. Voilà qui tombait à pic. On allait pouvoir démanteler les services productifs des travaux publics et créer à partir du personnel de la fonction publique mis à pied ou à la retraite anticipée les futures PME tant réclamées. On passe dun credo libéral, pur et dur, selon lequel en toutes circonstances surgissent lesprit dentrepreneur, lentrepreneur et lentreprise, à la création volontariste dun secteur entier de léconomie, tout en conservant les sacro-saintes lois de la concurrence à tous crins, le non-soutien aux PME naissantes par des crédits spéciaux
LUnion européenne, en mai 1996, a organisé un symposium à Yaoundé (Cameroun) sur le thème: "Les PME et lentretien routier". Pour tout participant clairvoyant, la conclusion était limpide: il faut des PME, mais pas question de crédit préférentiel, de protection au cours des premières étapes de leur constitution, de facilités dachat de matériels. En quelque sorte, comme nont pas hésité à le dire un certain nombre de participants, le rôle des PME doit être restreint à celui de tâcherons pour les petits travaux annexes. Le devoir des grandes entreprises est de leur sous-traiter ce type de travaux. Il ne sagit pas de mettre sur pied un secteur pouvant concurrencer les entreprises des pays développés établies en Afrique. Comment créer ces PME? Mise en perspective, la solution miracle de création des PME apparaît déjà moins attirante. Toutefois, examinons les problèmes auxquels doivent faire face les PME lors de leur création. On peut les synthétiser sous quatre rubriques: 1° trouver les cadres techniques qualifiés nécessaires; 2° se procurer les équipements mécaniques; 3° disposer dune crédibilité bancaire pour cautionner les travaux; 4° disposer de fonds pour se préfinancer. Or, à ces quatre types de problèmes aucune réponse na encore été effectivement donnée, alors que lavenir du développement
ce sont les PME! Les cadres techniques devaient être fournis par ceux qui quittent ladministration et se recyclent dans le privé. Cela sest partiellement produit, mais pas de la manière prévue, en tout cas officiellement. Les cadres de ladministration assurent bien le travail pour les PME: rédaction de leurs offres, direction de leurs travaux
Mais ils font tout cela en parallèle avec leur fonction officielle. Ils assurent donc la maîtrise duvre (rôle de lEtat) et les travaux. Vive la "concurrence loyale"! De fait, presque toutes les PME sont aux mains soit de ministres, de hauts fonctionnaires, ou de prête-noms, soit de commerçants prospères, généralement dans les transports et la quincaillerie, qui voient dans ces nouvelles activités un moyen de faire prospérer leurs activités traditionnelles (vente de ciment, location de camions, etc.). Toutes les PME sont de fait "maquées", et nous employons le terme volontairement, avec les agents de la fonction publique qui y voient un moyen de multiplier leurs salaires, et probablement de gagner en fait plus que les techniciens du privé. Et nous ne parlons pas du sort des ouvriers, soumis au travail à la tâche, sans réelle protection sociale. Sans mentionner le système de sous-traitance systématique de toutes les tâches, sans contrôle effectif de ce qui se fait. Force toutefois est de remarquer que la situation sest un peu améliorée sur le terrain depuis quelques années. Cela est-il dû à cette nouvelle structure de PME ou à linjection massive de fonds en provenance de la BM, de la Banque islamique de développement, du FED? Celles-ci avaient fermé les robinets lorsquil sagissait de liquider les structures étatiques et publiques. Elles ont réalloué des fonds, une fois la privatisation opérée. Dès lors, la réponse à la question est évidente. Toutefois, ce nest pas celle quavance aujourdhui la BM! La corruption, elle, na pas diminué; les mêmes agents sont en poste, représentant les mêmes intérêts. A notre avis, on a réussi dans ce secteur de léconomie, comme dans dautres, à mettre en place un véritable système mafieux, sans réaction de la population qui a été soumise à ce mode de fonctionnement et qui doit sy accommoder pour assurer sa survie. Quen est-il des trois autres conditions devant permettre lémergence de PME? Pour ce qui est des crédits bancaires, la réponse est simple. Les banques le disent clairement, ce secteur dactivité ne les intéresse pas. Il ny a pas de profits substantiels et les risques sont trop nombreux. Pour ce qui relève dune aide aux PME dans ce secteur des travaux public ou de leur "protection" pour décoller, lenquête est assez brève: rien nest entrepris, afin de ne pas faire obstacle à la saine concurrence. Que le meilleur gagne! Finalement, pour lacquisition de matériel lourd nécessaire aux travaux, la réponse est miraculeuse: Aide-toi le ciel taidera, et la concurrence aussi. Tu ne peux pas acheter, loue! Il ny a rien à louer, cherche bien! Des PME pour les élites La place et le rôle de PME dans le secteur réorganisé des "travaux publics" sont loin de correspondre au discours des institutions internationales ou des ministères daide au développement. La lenteur des circuits dappels doffres et dattributions des marchés en premier lieu celle des bailleurs de fonds couplée aux difficultés financières des PME et à leur manque de matériels a pour résultat quaucun programme de travaux nest lancé dans les délais et que presque tous ne respectent pas les termes de livraison. Certains travaux ne sont jamais terminés. Théoriquement, la concurrence, toujours elle, devrait éliminer les PME non performantes. Mais lorsque ces dernières appartiennent à la clique contrôlant les travaux publics, il va de soi que cette concurrence est mise en défaut. Le secteur public a donc licencié massivement des salariés, pour la plupart non reclassables dans cette économie de travail à la tâche et de sous-traitance, qui ne connaît aucune sécurité de lemploi. Il en découle que les salaires dans le secteur de lentretien des routes sont à la baisse, y compris ceux des cadres techniques. La paupérisation saccroît. La privatisation et la création des PME sintègrent au plan de contrôle des secteurs économiques rentables des pays du Sud. Lentretien du réseau routier, pour autant quil reste un secteur pas assez profitable, demeurera entre les mains de la mafia gouvernementale des travaux publics. Il permettra de distribuer des prébendes, tout en créant la fiction dune concurrence. Avant tout, cela aboutit à diminuer les salaires et la qualité des prestations, ce qui permet de dégager les marges nécessaires au "fonctionnement du système". Les grosses entreprises internationales de travaux publics sont toujours présentes. Au cas où le segment de lentretien prend plus dimportance et devient plus rentable, elles sen occuperont. On trouvera alors facilement des excuses (qualité à maintenir, fiabilité, etc.) pour opérer la redistribution. Largumentaire des experts de la BM est déjà prêt. La liste des gagnants de ce "nouveau projet de développement" est aisée à établir: 1° la hiérarchie des travaux publics qui a réussi à tout contrôler, de la maîtrise duvre à lexécution; 2° la clique dirigeante que la privatisation dautres secteurs de léconomie a privée de certains revenus; 3° cela permet à des fractions de la nouvelle génération de participer au partage du butin, sans remettre en cause la part des "élites nationales" qui avaient connu quelques frayeurs au cours du début des années 1990 de "contestation". (P. T.) Haut de page
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