N° 2 novembre 2001 La parole dun militant du camp de réfugiés de Balata Le retour à des principes Le long entretien dont nous publions ici quelques extraits a été conduit par Toufic Haddad, éditeur responsable avec la Dr Tikva Honig-Parnass du mensuel "Between the Lines". Toufic Haddad sentretient avec Husam Khader, membre du Conseil législatif de la ville de Naplouse. Cest un des dirigeants connus du Fatah qui vit dans le camp de réfugiés de Balata, le plus grand camp de Cisjordanie. Il a été déporté de 1986 à 1994, date à laquelle il a pu revenir dans les territoires occupés. Il a créé et dirige le Comité de défense pour les droits des réfugiés palestiniens. En décembre 1999, avec des dirigeants communautaires connus des territoires occupés, il a signé la "pétition des 20". Ce texte traduisait les préoccupations de militants des territoires occupés face à la trajectoire de lAutorité palestinienne dans le processus de négociations. Cet entretien a été conduit en langue arabe au début du mois doctobre. Le 28 septembre marque le premier anniversaire du début de lIntifada dal-Aqsa [par référence à la provocation de Sharon qui est entré sur lesplanade de la mosquée al-Aqsa]. Quel bilan effectuez-vous; où en sommes-nous? Husam Khader Dun point de vue général, cette Intifada est un bienfait, une bénédiction. Elle a replacé les enjeux de la question palestinienne à leur juste place, permettant déchapper à un état de désespoir profond concernant le processus politique [des Accords dOslo]. Désespérance quIsraël utilisait pour échapper à tous ses engagements. LIntifada a aussi surgi comme lexpression du refus par la rue palestinienne des conditions humiliantes qui lui étaient infligées par lapplication desdites clauses de sécurité des Accords dOslo. La rue a aussi réagi à dautres conséquences négatives du "processus dOslo" au sein même du contexte palestinien, que ce soit labsence de lois, dordre et de transparence dans nos institutions publiques ou encore le haut niveau de corruption au plan administratif, financier et politique. Dans ce sens, laccomplissement de lIntifada est important. Lesprit de la résistance, y compris armée, a repris sa place dans le dictionnaire politique palestinien, alors que cela était, de diverses manières, rendu "illégal" dans la phase précédente. De plus, et ceci est important, lIntifada a redonné une place de relief au "courant nationaliste de libération" au sein de lAutorité palestinienne aux dépens du "courant économique" qui a lié son sort aux Accords dOslo et qui, au cours des sept années passées, a négocié avec les Israéliens tout en recherchant, simultanément, des avantages économiques personnels en échange dune sécurité pour Israël. Selon diverses déclarations de lAutorité palestinienne, il apparaît quelle est prête à négocier dans le cadre contraignant issu des Accords dOslo et repris par le rapport Mitchell1. Quelle est votre réaction concernant cette orientation? Lannée qui sest écoulée a confirmé ce dont nous étions conscients par le passé. Le "processus de paix" [Oslo] est une totale illusion. Bien que quelques gains aient été obtenus par la voie de négociations. Nous essayons de toutes nos forces de les protéger alors quIsraël tente de les éliminer. Oslo est terminé. Je crois que nous devons redéfinir et revenir au principe de ce que nous voulons, si nous désirons retourner, ou ne pas retourner, à la table de négociations. Voulons-nous accepter les conditions de négociations imposées par Israël? Ou désirons-nous, sur la base de convictions fortes de libération nationale, engager un processus de paix en nacceptant rien dautre comme point de départ que lapplication des résolutions de lONU 242, 338 et 1942? Ny a-t-il pas une division entre la volonté de la direction de négocier dans le cadre du rapport Mitchell et la volonté de la rue? Oui, cela ne fait aucun doute. Et je suppose que ceux qui dans la direction de lAutorité palestinienne croient au cadre dicté par les Accords dOslo le croient parce quils y voient la possibilité den tirer des bénéfices personnels et de mettre en place une exploitation économique du peuple palestinien. La plus grande tragédie, le plus grand échec consisterait à ce que cette Intifada se termine par lobtention dune partie de nos buts et que ce "résultat bâtard" se consolide. Quelle est la stratégie à létape actuelle? La population souffre beaucoup, paie un prix élevé pour vivre sans même parler du coût de la résistance. Au moins dans la situation présente, je ne pense pas que se dessinera une claire stratégie du côté palestinien. La direction traditionnelle a toujours agi, dès le début, de façon réactive. Jamais cette direction na adopté une orientation entreprenante, anticipative, apte à dégager une forte autorité, à établir un plan pour le futur. Au cours de son histoire, la direction na pas été capable de produire une telle stratégie. Dès lors, on constate une césure entre le discours politique officiel et celui de la population, avec ses revendications. On peut espérer que la volonté du peuple palestinien puisse avoir un impact sur le déroulement des affaires et prendre le dessus sur ceux qui ont tout parié sur Israël, lEgypte, la Jordanie et même la CIA. Dans les premiers jours de lIntifada, le caractère de masse du mouvement était plus fort. Il y a eu un recul après les premiers mois, alors que la militarisation de lIntifada saffirmait. Quel est votre sentiment à propos de cette transformation? La forme de lactuelle Intifada ne peut pas être comparée avec les étapes précédentes. Et cela est directement dû au caractère géopolitique de loccupation israélienne. Au cours de lIntifada précédente, loccupation militaire des Israéliens simposait au cur de nos villes, de nos villages et des camps de réfugiés. Il en découlait un affrontement direct et massif avec cette forme doccupation. Aujourdhui, comme sous-produit dOslo, le territoire palestinien a été divisé en zones A, B et C. Les zones B et C qui représentent 82% de la Cisjordanie se trouvent sous le contrôle militaire dIsraël. La volonté et la lutte populaires ont été confinées aux frontières des villes de la zone A, ce qui a pour résultat que la lutte ne peut aboutir à mettre fin à loccupation. LIntifada a eu recours à lalternative de la lutte armée pour tenter datteindre cet objectif. Je dois déclarer mon soutien clair, et je ne me gêne pas de cette opinion, à laffrontement militaire contre loccupation dans les territoires occupés depuis 1967. Cest un droit légitime. Je dois par contre indiquer mes réserves face aux opérations "de martyrs" qui visent des civils dans les territoires palestiniens occupés en 1948. Cette Intifada doit faire face à une réalité géographique imposée par la partition en zones A, B et C qui a fait surgir linutilité et linefficacité des formes antérieures de lutte telles que connues lors de la première Intifada. Aujourdhui, si vous voulez jeter une pierre contre des soldats israéliens, vous devez prendre un taxi et aller à plusieurs kilomètres de la frontière dune zone A pour lancer des pierres sur des soldats qui se trouvent si éloignés que vous ne les atteindrez jamais, alors que ces derniers sont très bien équipés et défendus et sont capables de vous tuer à tout moment. Cette division en régions A, B, C était fort bien pensée par les Israéliens. En même temps, cela révèle le manque dentendement de dirigeants palestiniens qui ont manifesté leur accord avec cette organisation territoriale et qui nont pas compris que ce plan visait à stériliser toute action populaire. Cela montre que les Israéliens pensaient des années en avance alors que lestablishment de lAutorité palestinienne pensait dabord aux privilèges et bénéfices personnels que les accords lui apporteraient. Il est faux de penser que cette Intifada est strictement militaire et pas populaire. Sa popularité se confirme à loccasion dévénements auxquels les gens peuvent participer, que ce soit lors de journées de commémorations, lors de funérailles ou lors de boycott. Toutefois, dès le début de lIntifada, javais souligné que la présence de lAutorité palestinienne et sa tentative de bloquer lémergence de structures qui dirigeraient la rue et lui feraient contrepoids ou qui saffirmeraient même comme une alternative aboutiraient à une situation dans laquelle nous ne disposerions pas dune "unité nationale", mais plutôt dun rassemblement de leaders de différentes fractions et de différents champs dopération. Ce nest pas lexistence dune stratégie de direction de lIntifada qui pousse le peuple à continuer à résister, mais cest la répression sanglante quotidienne à son encontre. Le mensuel Between the Lines peut être obtenu en écrivant à ladresse suivante: P.O. Box 681, Jérusalem, e-mail: btl@palnet.com 1. La résolution 242, adoptée en novembre 1967, demande le retrait des territoires occupés. LEtat israélien joue sur la version anglaise qui donne une acception limitative du terme de retrait qui "permettrait" de conserver certains territoires occupés. En octobre 1973, la résolution 338 demande lapplication immédiate de la résolution 242. La résolution 194, adoptée en décembre 1988, prévoit le droit au retour des réfugiés palestiniens ou le droit à des compensations. Sa mise en uvre avait été acceptée par Israël comme condition de son admission aux Nations unies (résolution 273 du 11 mai 1949). Ces résolutions ont toujours été considérées comme des bouts de papier par lEtat sioniste et leur non-application a toujours été acceptée par les Etats-Unis et leurs alliés. 2. Le rapport Mitchell présenté au début mai aux conseillers de George Bush présente un gel de lextension des colonies juives de peuplement et lincarcération des "terroristes palestiniens" pour mettre fin "à huit mois de violence". Haut de page
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