N° 1 octobre 2001

Folie meurtrière et désordre impérial (II)

Durables grandes manœuvres

Dans le premier de cette série d’articles (à l’encontre N° 0, septembre 2001), nous avons indiqué combien les attentats meurtriers du 11 septembre se situaient en opposition complète avec les formes et les objectifs de lutte des masses exploitées du monde. Ils ne souffrent d’aucune justification.

L’administration Bush a exposé, sur l’instant, les "coupables": un secteur de forces islamistes politiques organisées, entre autres, dans le réseau Al-Qaeda (La Base) d’Oussama Ben Laden.

Ce faisant, elle désignait des groupes que les cercles dirigeants américains ont courtisés et appuyés. Cette assistance, au-delà des manipulations tactiques, reposait sur une compréhension que ces courants, idéologiquement réactionnaires, n’offraient aucune solution alternative aux profondes crises multiformes que connaissaient les pays du monde "arabo-musulman", marasme aiguisé par le déchaînement de la mondialisation du capital.

Cependant, l’écho rencontré par ces attentats dans de larges secteurs de la population des pays de la périphérie — et pas seulement au Moyen-Orient ou dans les pays islamiques — renvoie à l’humiliation et à la détresse dans lesquelles ils se trouvent plongés; mais aussi à une réalité, ainsi qu’à son image largement diffusée, celle d’une terreur étatique entraînant la mort de milliers de civils en Irak, en Palestine, en Turquie ou en Colombie. Comment est-il possible d’ignorer que là résident des facteurs qui mobilisent une "haine", présentée hypocritement et fallacieusement comme le "résultat naturel" d’une "culture" ou d’une "religion"?

Une compréhension des grandes manœuvres engagées par les Etats-Unis depuis le 11 septembre doit partir des caractéristiques de l’impérialisme américain, bien documentées au plan historique. Les projets hégémonistes de cet impérialisme, avec leur volet militaire décisif, dressent la toile de fond de la situation au Moyen-Orient. Le budget de la défense adopté par l’administration républicaine de G.W. Bush anticipait, en quelque sorte, la démonstration actuelle de puissance armée meurtrière.

Face à l’"union nationale" mise à l’ordre du jour dans les pays impérialistes, il est nécessaire de faire ressortir une autre unité: celle qui doit se forger, internationalement, contre les injustices sociales et, dès lors, contre les projets impérialistes. Ces derniers conduisent, d’une part, à accentuer toutes les formes de recolonisation de la périphérie et, d’autre part, à accroître l’exploitation des salarié.e.s. à l’échelle mondiale.

Dans ce deuxième article (voir aussi éditorial, en page 2), nous cherchons à mettre en lumière: 1° des évolutions perceptibles depuis la guerre du Golfe qui s’expriment plus distinctement aujourd’hui; 2° les fondements de la suprématie des Etats-Unis et les contradictions qui en découlent; 3° un des objectifs des opérations militaires actuelles: une présence américaine en Asie centrale, l’Afghanistan constituant une escale.

Charles-André Udry

Mise en perspective, la guerre du Golfe (1990-1991) apparaît comme un moment charnière dans la mise en œuvre par les élites dominantes des Etats-Unis de leur actuelle politique impérialiste.

Guerre du Golfe: un nouvel envol

Certaines prémices des initiatives militaires, politiques et diplomatiques qui prennent forme aujourd’hui peuvent y être décelées.

Des Républiques indépendantes. Tout début 1991, les vaines tentatives de médiation de Evgueni Primakov — alors que l’opération "Tempête du désert" avait les traits d’une programmation inéluctable — attestaient déjà l’effacement de l’URSS comme "superpuissance". Son évanouissement allait modifier toute la configuration internationale d’une vaste région. Prennent fin les jeux d’alliances que développait l’URSS avec divers Etats du Moyen-Orient. Mais, surtout, sur les frontières de nombreux pays — de la Turquie à l’Iran — surgissent des "Républiques indépendantes", celles d’Asie centrale.

Elles vont constituer un enjeu à venir non négligeable. Ce chamboulement est d’importance, d’autant plus qu’il modifie des agencements territoriaux mis en place bien avant l’ère soviétique. Cette région constitue, actuellement, un des centres possibles du redéploiement américain.

Au même titre, une analyse de la guerre contre la Serbie (1999) ne pouvait faire l’économie d’une prise en compte des visées impériales sur les divers "corridors" (routes, fleuves, voies ferrées, pipelines…) en direction de l’Eurasie. Ces "corridors" et leurs tracés sont parfois l’objet d’oppositions d’intérêts entre puissances impérialistes, car ils restent toujours des "routes pour le capital" réellement existant1.

• Chocs amortis. Que le pétrole ait été au centre de la guerre du Golfe, l’affaire est entendue. La perspective dans laquelle s’inscrit "cette guerre exceptionnelle, depuis la période initiée en 1945, menée pour des ressources économiques" mérite cependant un peu plus d’attention. Un des spécialistes israéliens de l’économie pétrolière, Paul Rivlin, écrit dans une étude datée d’octobre 2000: "L’Ouest a effectué un investissement énorme, politique, militaire et économique pour maintenir la stabilité de l’approvisionnement du pétrole en provenance du Moyen-Orient. Ce fait élémentaire est compris par tous ceux concernés par la politique ayant trait au pétrole dans la région et représente un changement de position par rapport à 1973. Les Etats-Unis disposent maintenant pratiquement d’une présence permanente dans le Golfe afin de dissuader l’Irak et l’Iran. Des chocs [guerres] comme celui qui s’est produit en 1991 (qui n’a conduit qu’à une hausse temporaire des prix du brut) sont nettement moins probables étant donné la présence américaine dans le Golfe." (Paul Rivlin, World Oil and Ernergy Trends: Strategics Implications for the Middle East, Université de Tel-Aviv, octobre 2000, p. 84)

La présence militaire (et économique) des Etats-Unis doit réguler flux et prix du pétrole sur la durée. Mais, simultanément, elle participe à nourrir des forces politiques islamistes — diversifiées — et des contradictions politiques dans plus d’un pays, ce qui concourt à fragiliser (un peu) sa mainmise2. Dans ce sens, soumettre définitivement l’Irak permettrait à Washington, à la fois, d’avoir la haute main sur des réserves pétrolières cruciales et de ne plus susciter les réactions de colère provoquées par un embargo criminel. Rien d’étonnant donc que l’Irak soit mentionné parmi les objectifs possibles de "la guerre contre le terrorisme".

Depuis le début des années 1990, la politique américaine dite de sécurité va intégrer — cette fois sans aucun camouflage — des éléments qui se trouvent au centre des préoccupations des grands groupes financiers et industriels sous l’égide desquels s’opère la mondialisation du capital: accès sécurisé aux ressources primaires; maîtrise des réseaux de transport (énergie, marchandises…) et de communications; ouverture de tous les marchés; protection des investissements, etc.3 On y reconnaît aussi les objectifs du FMI ou de l’OMC.

• Nouvelles guerres. Après la guerre du Golfe, le Département de la défense met l’accent sur des systèmes d’armement — capacités antimissiles de théâtre — qui permettent de mieux protéger les régions où se déploient les forces d’intervention alliées ou américaines contre de possibles ou supposées attaques de missiles. A cela s’ajoute la "sanctuarisation" des Etats-Unis, censée être assurée par le vaste programme de défense antimissile (NMD). La prééminence militaire américaine se renforce encore. Elle va de pair avec de fortes subventions pour la R & D allouées aux groupes industriels américains, particulièrement dans la haute technologie.

La neutralisation des "Etats voyous" remplace la "lutte contre le communisme" pour justifier ces projets d’armement. Assez vite, au cours des années 1990, derrière la liste (changeante) des "Etats voyous", se profilent, tout d’abord, la Chine, mais aussi la Russie, en tant qu’ennemis potentiels sur le moyen terme4.

Le "nouvelle guerre contre le terrorisme" — associée aux "interventions humanitaires" — va ajouter une pièce originale aux dispositifs militaires et (géo)politiques.

• Assurer l’hégémonie. En 1990, une "Grande Coalition" était patronnée par le général Colin Powell afin de "libérer le Koweït"… et de "partager" les frais de la guerre. Cette formule rappelle celle invoquée aujourd’hui par le même Powell ou par Rumsfeld, secrétaire à la Défense. La facture risque aussi d’être "coalisé".

Or, le terme de circonstance "coalition" camoufle, en fait, une tendance forte. Elle s’est concrétisée depuis 1991: les Etats-Unis ont sans cesse joué la carte OTAN (Organisation du Traité de l’Atlantique Nord) pour maîtriser les oppositions d’intérêts pouvant exister entre eux et des puissances impérialistes européennes (France, Allemagne). En même temps, cette option ne réfrène pas Washington dans l’utilisation à sa convenance de l’OTAN, telle que la situation présente le démontre.

Au risque de forcer de trait, nous mettrons en relief six éléments à ce propos.

1° Dès 1991-1992, Washington fait connaître son opposition à une "politique de défense européenne" qui affirmerait son autonomie et qui entrerait en concordance avec des rivalités au plan économique. En 1992, Paul Wolfowitz, aujourd’hui proche de Bush fils, a été l’auteur d’un des documents les plus virulents à ce propos, en tant que sous-secrétaire à la Défense et donc bras droit de Dick Cheney, actuel vice-président (Guardian, 18 mars 1992). L’hégémonie militaire américaine est étroitement liée à la consolidation et à l’expansion des intérêts économiques5.

2° Les initiatives de défense franco-allemandes, puis celles des principaux pays européens, au cours des ans, se sont clairement subordonnées au cadre stratégique défini par l’OTAN, dirigée par les Etats-Unis. Les déclarations de l’ex-secrétaire général de l’OTAN, le social-démocrate Javier Solana (Etat espagnol), sont là pour l’illustrer.

3° La suprématie militaire des Etats-Unis lors de la guerre contre la Serbie, de manière encore plus tranchée qu’à l’occasion de la guerre du Golfe, a éclairé les rapports de force en présence au sein de l’Alliance. L’emprise incontestée des Etats-Unis sur les systèmes d’armement est manifeste. Les forces armées européennes ont dû reconnaître, dans les faits, leur "soumission".

4° Dans le nouveau Concept stratégique de l’OTAN, adopté en avril 1999, une place de premier rang est donnée à l’interopérabilité des forces armées. Il s’agit, selon le langage officiel, de rendre plus fluides les missions des différents membres de l’Alliance au travers des GFIM (Groupes de forces interarmées multinationales). La concrétisation de cette "interopérabilité", dont les lignes de force ont été dessinées par les Etats-Unis, assure une primauté au complexe militaro-industriel américain. Cela réduit l’indépendance des programmes européens d’armement et tend, dans certains cas, à les intégrer à ceux des Etats-Unis. En outre, pour conquérir des marchés internationaux, des ententes transatlantiques prennent forme. C’est le cas, pour certains missiles, entre Boeing et MBDA (un groupe où se retrouvent l’européen EADS et l’anglais BAE Sytems). La conjoncture va stimuler ces accords (Wall Street Journal, 4 octobre 2001).

5° Les limites de la constitution, jusqu’en 2003, d’une force de déploiement rapide des principaux pays européens sont tracées par les diverses observations faites ci-dessus. En outre, malgré des contradictions interimpérialistes, un accord existe sur la substance: la défense des conditions cadre de la mondialisation du capital, avec sa dimension transatlantique. Une bonne illustration nous en est offerte par le Transatlantic Business Dialogue (TABD), créé en 19956. Il peut être défini comme un organisme de négociations et de décisions entre représentants privés et publics du capital concernant les intérêts américains et européens discutés dans le cadre de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Ainsi, les mandataires des grandes firmes américaines (le président du TABD est James J. Schiro de PriceWaterhouseCoopers) et européennes (le vice-président européen est Michael Treschow d’Electrolux) dialoguent, par exemple, avec les représentants de la Commission européenne et du Secrétariat au commerce des Etats-Unis. Le commissaire français Lamy, social-démocrate, entretient d’excellentes relations avec son équivalent républicain Zoellick. Concertation ne signifie pas toujours entente. Toutefois, un tel organisme participe à définir les intérêts transatlantiques au sein de l’OMC.

Enfin, malgré des convergences au sein de l’Union européenne (UE), l’hétérogénéité est encore suffisante pour qu’un proche allié des Etats-Unis, comme la Grande-Bretagne, puisse neutraliser des initiatives autonomes qui déplairaient à Washington. Que le discours guerrier de Tony Blair à la Conférence du Labour Party, le 2 octobre, soit transmis en live sur la chaîne américaine économique CNBC en dit beaucoup, autant sur le Labour que sur les voies pénétrables du grand capital.

6° Certes, la concurrence entre firmes transnationales, qui possèdent leur enracinement dans divers pays impérialistes, existe et parfois s’accentue. La formation d’un grand groupe de défense et d’aéronautique comme EADS — constitué par des firmes française, allemande, italienne et espagnole — exige des débouchés fournis par les gouvernements européens et participe donc aux projets de défense européens. Mais le marché américain de l’armement représente un segment tout à fait important aussi bien pour EADS que pour BAE (britannique).

Concurrence et partenariat se croisent. Par exemple, les Etats-Unis, par le truchement de l’OTAN, imposent leurs armements aux nouveaux venus: Pologne, Hongrie, Tchéquie… De la sorte, ils contrecarrent une dynamique politique future liée à l’expansion des groupes économiques allemands en Europe de l’est. Lorsque, devant le Bundestag allemand, Vladimir W. Poutine insiste sur la fonction de "centre important et effectivement indépendant de l’Europe dans la politique mondiale", il met le doigt sur des oppositions d’intérêts face aux Etats-Unis qui sont bien compris par des fractions de la classe dominante allemande. Mais il faut replacer cela dans le cadre présent des rapports de force militaro-politiques d’ensemble.

Ainsi, l’OTAN sert, entre autres, de vecteur et de bras de levier économiques pour les grandes firmes des Etats-Unis dans leurs relations avec leurs compétiteurs et, souvent, partenaires. L’Alliance complète et renforce la place prééminente de Wall Street au sein de la finance mondiale.

Une suprématie sans égale…et ses périls

Après les attentats du 11 septembre, nous nous trouvons donc face à une situation historique particulière. Jamais au cours du XXe siècle, on n’a assisté à un déploiement mondial, multiforme — militaire, sécuritaire, diplomatique, économique, financier — placé sous la houlette d’une seule puissance impériale: les Etats-Unis, qui sont sans rivale.

En outre, l’opération "Liberté immuable" prend son essor dans un contexte marqué par une récession de plus en plus "globale" et un krach boursier rampant, sur lequel va encore agir l’annonce des baisses de profits des grandes sociétés. Ce contexte économique ne restera pas sans répercussion sur la gestion conjointe du militaire, du policier, de l’économique et du "social".

• Les déficits du souverain. La suprématie des Etats-Unis trouve son fondement au plan économique, ou plus exactement dans la place occupée par le capitalisme américain au sein d’un système capitaliste international fortement hiérarchisé. Ici, s’intriquent économie et (géo)politique.

Il ne s’agit pas de passer en revue les causes de la croissance au cours de la dernière décennie et du retournement du cycle de l’économie américaine7.

Un point doit être souligné, car plus directement en rapport avec le déploiement mondial engagé par l’administration G.W. Bush. Business Week (8 octobre 2001) titre et sous-titre ainsi un article: "Les investisseurs étrangers se dirigent-ils vers la sortie? Ils n’ont pas fui les Etats-Unis, jusqu’à maintenant, mais cela pourrait changer." On peut comprendre l’inquiétude, lorsque le déficit annuel de la balance extérieure courante atteint le record de 445 milliards de $ en 2000. Cela mesure la contribution du monde à une économie qui jouit des passe-droits du souverain, sous la forme de différents déficits — extérieur, des ménages, des firmes — qui s’enchaînent les uns les autres. Les auteurs de l’hebdomadaire concluent que les Etats-Unis continuent d’avoir un "avantage structurel". Si les flux de capitaux vers les Etats-Unis perdurent: "Cela serait une victoire sur le terrorisme." En effet, les investissements nets en portefeuille, en provenance de l’extérieur des Etats-Unis, se sont multipliés par presque cinq entre 1993 et 2000. Alors que l’économie ralentissait, "les étrangers ont acheté pour 298 milliards de $ de titres jusqu’en juin. A la fin du premier semestre, ils détenaient 1117 milliards de $ d’obligations."

Par "avantage structurel", il est fait référence à cette aptitude à ponctionner et recueillir des capitaux provenant du monde entier (des pays du centre et de la périphérie), capitaux issus de l’exploitation des salariés, des paysans et de recyclages financiers plus ou moins obscurs.

De plus, par son volume exceptionnel, le marché financier américain est incontournable. De fin 1995 à juin 2001, les actifs financiers détenus par des "étrangers" aux Etats-Unis ont passé de 3500 milliards à 7800 milliards (Business Week, 15 octobre 2001). Enfin, les crises dans la périphérie (Amérique latine et Asie) ou au Japon nourrissent l’afflux de capitaux de placement: "Le fait est que le marché américain affaissé reste encore plus sûr que beaucoup d’autres." (Business Week, 8 octobre 2001)

Au cours de ses différentes étapes, l’opération dite de "guerre contre le terrorisme" prendra en compte la préoccupation de maintenir cet avantage comparatif des Etats-Unis par rapport aux autres puissances impérialistes. La tenue du dollar (par rapport aux autres devises) et l’étayage de ces flux vers les marchés américains seront une préoccupation permanente des cercles dirigeants; car ce flot de capitaux de placement a acquis une place déterminante dans la configuration de ce capitalisme dominant.

• Consensus pour banquiers. L’hégémonie des Etats-Unis — qui apparaît sans équivalent depuis le début du siècle — ne rime ni avec stabilité accrue dans les diverses régions du monde ni avec une sorte de maîtrise des processus économiques et sociaux. Au contraire.

Un ensemble de mesures structurant la contre-réforme néo-libérale a exacerbé des contradictions propres au système capitaliste international et provoqué des déséquilibres, des instabilités à l’échelle planétaire ainsi que des conflits armés.

Le "consensus de Washington" — selon la formule lancée en 1989 par l’économiste John Williamson — traduisait un accord entre les cercles dirigeants de Washington et, (physio)logiquement, le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale. Cette collusion était organisée autour: de la libéralisation maximale des échanges et des investissements directs à l’étranger; d’une déréglementation des marchés financiers; d’une vague de privatisations sans frontière et, conjointement, de mesures de protection accrue de la propriété privée; d’une politique budgétaire très restrictive et de la suppression d’une série de subventions à des biens de première nécessité; de dévaluation des monnaies des pays de la périphérie pour "accroître leur compétitivité à l’exportation" et pouvoir payer la dette (ou, pour certains pays, d’arrimage de leur monnaie au dollar, afin de rassurer les investisseurs-créanciers).

The Economist, dans un supplément spécial consacré à "La mondialisation et ses critiques", titre: "Les anti-globalistes considèrent "le consensus de Washington" comme une conspiration pour enrichir les banquiers. Ils n’ont pas tout à fait tort" (29.9-5.10. 2001, Survey, p. 27). L’hebdomadaire de la place financière a, en grande partie, raison. Si ce n’est que les vues conspiratrices lui appartiennent plus qu’elles ne sont le propre des analystes-militants critiques de la mondialisation du capital.

Des cassures. Depuis quelques années, les effets, sur le moyen terme, des orientations du "consensus de Washington" et des formes d’expansion impérialistes provoquent des "troubles" qui inquiètent le grand Capital. En effet, ce dernier recherche aussi une relative stabilité afin d’assurer la rentabilisation (la valorisation) de ses investissements. En outre, les réponses aux crises multiformes provoquent des contrecoups inopinés.

Stephen Roach, l’économiste en chef de la grande banque Morgan Stanley, traduit cette inquiétude dans un article du Financial Times (28.09.2001). Après avoir noté que "[…] les puissances dirigeantes du monde semblent actuellement se rassembler d’une façon extraordinaire après l’attaque" du 11 septembre, il relève les inégalités croissantes entre les pays et les populations du centre et de la périphérie. Dans la foulée, il note que "ces nouvelles alliances peuvent échouer dans un domaine important. Elles peuvent enfoncer un coin encore plus grand entre le monde développé et le monde en développement. De telles cassures géopolitiques pourraient renforcer des différences économiques qui fermentent depuis longtemps et isoler de manière croissante le monde en développement." Après avoir passé en revue des revers de l’internationalisation du capital au cours d’un siècle et demi, S. Roach conclut: "Les préconditions de ces reculs précédents — une disparité accrue des revenus et des tensions géopolitiques — semblent nous hanter aujourd’hui. Non seulement l’histoire nous enseigne qu’il n’y a rien d’intrinsèquement stable dans la globalisation, mais elle met aussi en lumière que cette dernière sème les éléments de sa propre perte. Malheureusement, cette fois, cela pourrait ne pas être différent."

Il est moins question de valider cette analyse sur l’avenir de la "globalisation" que de rendre attentif aux préoccupations de véritables mandataires des dominants. Ces derniers réfléchissent aux conditions d’ensemble de valorisation du capital et donc de reproduction du système.

Certes, pour certains, à court terme, dans le contexte d’une véritable recolonisation économique de la périphérie, la mise en place de "protectorats" peut sembler une réponse. Au fond, c’est ce que proposent, aujourd’hui, les Etats-Unis pour l’Afghanistan. Cela est déjà le cas pour le Kosovo. L’historien propagandiste Paul Jonhson, dans le Wall Street Journal (4.10.2001), ne manque pas de proposer que, sous l’égide du Conseil de sécurité, soit remis en place le système des mandats de la Ligue des nations: "une forme respectable de colonialisme… qui a servi dans l’entre-deux guerres… en Syrie et en Irak". Il poursuit: "[avec le soutien qu’ont les Etats-Unis], il ne devrait pas être difficile d’imaginer une nouvelle forme de mandat de l’ONU qui place les Etats terroristes [lesquels? — réd.] sous une supervision responsable". Sous un certain angle, l’embargo à l’encontre de l’Irak (du peuple irakien) et les bombardements réguliers représentent une réalisation de cette "supervision responsable". Le prix humain en est connu; de même que le coût politique pour l’impérialisme au Moyen-Orient.

De manière plus substantielle, ce qui "hante" Stephen Roach et ses pairs sont les contradictions propres à la présente mondialisation du capital. Le constat est fait de la vulnérabilité croissante d’un ensemble d’économies présentées comme "émergentes": Mexique, Sud-Est asiatique, Russie, Brésil et à nouveau Argentine, Brésil… Les crises-chocs n’ont cessé de se répéter; soit elles sont plus fortes, soit elles laissent des marques bien plus profondes que celles pronostiquées en 1999 (Asie du Sud-Est).

Une des manifestations (et non des causes) de ces crises réside dans le départ massif et rapide de capitaux. Dans son dossier intitulé "Un monde nouveau", Business Week (8.10.2001) écrit: "Beaucoup des traits les plus prometteurs de la mondialisation sont en train d’être mis en question. Pour les marchés émergents, la très large ouverture des marchés financiers promue au cours des années 1990 apparaît comme un danger permanent dans la mesure où — comme une fois de plus — les investisseurs retirent brutalement les fonds du Brésil, de Corée ou d’autres pays qui sont à des milliers de kilomètres de lower Manhattan." Ces arrivées et départs de capitaux traduisent la domination impérialiste. Ils accentuent une crise économique qui, elle, fait obstacle à l’appropriation systématique de la richesse produite dans ces pays par les capitalistes du centre et leurs partenaires locaux.

Cependant, l’interrogation majeure au sein des cercles dirigeants impérialistes est la suivante: ces crises-chocs vont-elles rester circonscrites aux économies de la périphérie ou bien trouveront-elles une voie vers les économies du centre, vers les Etats-Unis en premier lieu? Alors, effectivement, une crise "globale" pourrait redessiner brutalement les traits de l’actuelle mondialisation.

Dans ce sens, la conjoncture économique, diplomatique, militaire actuelle représente un moment possible de redéfinition partielle de certaines options qui ont marqué les années 1990. Cela dépendra de très nombreux facteurs, parmi lesquels se trouvent, d’une part, l’éventail des capacités des salarié·e·s des pays impérialistes et des pays de la périphérie de développer une "résistance globale" et, d’autre part, la possibilité pour l’économie américaine de continuer à ponctionner des ressources de pays du centre et de la périphérie.

De l’Afghanistan à l’Asie centrale

Une fois dégagées les lignes de force de la réorganisation impériale américaine depuis la guerre du Golfe et de la suprématie des Etats-Unis — accompagnées des profondes contradictions produites par la conformation de la mondialisation — une question vient à l’esprit: le "réseau Al-Qaeda" et Oussama Ben Laden ainsi que ses supporters talibans d’Afghanistan représentent-ils la cible centrale de la campagne militaire des Etats-Unis?

• Kaboul, une escale? Certes, l’objectif proclamé est plus vaste: "le terrorisme international". Cette réalité reste difficile à circonscrire. Au sein de la vaste "coalition" mise en place, l’entente sur ce thème ne se fera pas aisément et ne durera en tout cas pas. Pour l’heure, l’administration Bush s’en sort: avec une déclaration sur le droit des Palestiniens à un Etat; avec un silence convenu sur les réseaux hyperintégristes enracinés en Arabie saoudite et qui contestent le clan au pouvoir, allié des Etats-Unis; et avec d’autres expédients diplomatiques, habituels pour une puissance accoutumée à exercer un droit d’ingérence qualifié — souvent à juste titre — de terrorisme d’Etat.

Avec unanimité, les porte-parole américains et britanniques annoncent que ce genre de "lutte anti-terroriste" sera long et complexe. Cela offre l’avantage de pouvoir travailler sur la concrétisation de plans qui avaient le statut de scénarios et, surtout, de préciser des desseins impériaux dans un contexte où Bush profite d’un appui peu imaginable précédemment.

Si l’objectif premier et prioritaire consiste à "déloger" Oussama Ben Laden et à écarter les talibans — tout en cooptant peut-être une fraction d’entre eux — du pouvoir à Kaboul, les efforts militaires et diplomatiques des Etats-Unis semblent quelque peu disproportionnés. Ou, alors, il s’agirait avant tout de faire une démonstration de force ayant une fonction politique interne — ce qui expliquerait son timing assez serré — en offrant quelques preuves imagées d’efficacité à "l’opinion internationale". Dans cette hypothèse, qui restreint le champ d’intervention à l’Afghanistan, les Etats-Unis bâtiraient une action de représailles, puis, certains buts déclarés atteints, se retireraient partiellement.

• Gaz et pétrole d’Asie centrale. Sans être contradictoire avec cette option, qualifiée d’immédiate, le champ des manœuvres de l’Etat-major américain pourrait être beaucoup plus ample. Examinons une première pièce de ce puzzle.

Comme indiqué plus haut, l’implosion de l’URSS a attribué aux Républiques d’Asie centrale (Ouzbékistan, Turkménistan, Tadjikistan, Kazakhstan, Kirghiztan) une position beaucoup plus en vue. Dans son ouvrage Le grand échiquier8, Zbigniew Brzezinski soulignait, dans un chapitre entier, l’importance de ne pas laisser aux seules Russie et Chine le contrôle des ressources de pétrole et de gaz de la mer Caspienne et de l’Asie centrale. La littérature sur ce thème — avec sa dimension parfois de politique-fiction propre au genre — comporte certainement des milliers de pages.

Cependant, après le 11 septembre, dans divers articles consacrés à l’appui reçu, milieu des années 1990, par les talibans — de la part des Etats-Unis, du Pakistan et de l’Arabie saoudite — rappel est fait des projets du consortium pétrolier américain UNOCAL de construire un gazoduc et un oléoduc, partant du Turkménistan, traversant l’Afghanistan, pour déboucher sur l’océan Indien9. Le projet capota, entre autres à cause de la situation très précaire en Afghanistan.

Un des spécialistes reconnus des affaires pétrolières pour le Moyen-Orient, Fareed Mohamedi, dans un article du Middle East Report (juillet-septembre 1997), relevait déjà l’importance, à moyen terme, des ressources en pétrole et en gaz de cette région d’Asie centrale. Il indiquait que des familles saoudiennes participaient à des investissements dans les hydrocarbures au sein de certaines nouvelles Républiques indépendantes.

Paul Rivlin (voir plus haut), en octobre 2000, faisait la recommandation suivante: "Toute assistance qui peut être donnée aux pays dans la région [Asie centrale] afin de développer leurs économies et de trouver des voies de coopération où il y aurait des gains mutuels rendrait plus aisées la mise en place des pipelines et l’exportation du gaz et du pétrole." (p. 85) Une société israélienne — Merhav Group — possède des intérêts importants au Turkménistan. Au cours des derniers mois, une lecture du sérieux hebdomadaire Oil & Gas Journal (OGJ) suffit à démontrer les intérêts — dans les diverses acceptions du terme — qui entourent les ressources en gaz (et en pétrole) de cette région. Le 13 août 2001, l’OGJ notait: "La Russie continue à dominer l’approvisionnement en gaz des marchés européens." Le 10 septembre, la même publication écrit: "L’Asie centrale représente aujourd’hui une des plus importantes zones frontières dans le monde pour des recherches géologiques et des analyses, offrant des possibilités pour l’investissement dans les découvertes, le transport et le raffinage d’énormes quantités de ressources en pétrole et gaz… Ceux qui contrôlent les voies [du pétrole et du gaz] de sortie de l’Asie centrale auront une influence sur l’ensemble des destinations et des flux ainsi que sur la distribution des revenus des nouvelles productions."

Dans cette "zone frontière", les enjeux recoupent donc aussi bien le contrôle des ressources et de leur transport que les relations stratégiques entre les Etats-Unis et la Russie, mais aussi la Chine, pour ne mentionner que les "acteurs" principaux. Patrick Cockburn, le 19 septembre, correspondant du quotidien anglais The Independent à Moscou, résume ainsi la situation: "La semaine passée, le ministre de la Défense, Sergueï Ivanov, a affirmé catégoriquement que même dans le cas de figure le plus hypothétique, la Russie ne voulait pas que les Etats-Unis utilisent les bases en Asie centrale pour sa campagne contre l’Afghanistan. Il s’avançait peut-être un peu trop. Abdoul Kamilov, le ministre des Affaires étrangères de l’Ouzbékistan, est apparu peu après en disant que son pays laisserait aux Etats-Unis l’utilisation de son territoire." Cockburn poursuit: "Cela place Moscou devant un dilemme. Il pourrait offrir des corridors aériens aux Etats-Unis sans réduire son influence. Mais que se passerait-il si les Etats d’Asie centrale commençaient à passer des accords avec l’Amérique qui, dans les faits, évincent la Russie?… Pour la première fois depuis l’implosion de l’URSS, les positions des Etats de l’Asie centrale acquièrent une certaine importance. Moscou est quelque peu décontenancé par de tels intérêts internationaux dans son arrière-cour."

Poutine a opté pour la collaboration avec les Etats-Unis. De la sorte, non seulement la Russie pourra poursuivre la guerre en Tchéchénie — avec la bénédiction ou le silence de tous — mais en étant sur le terrain (ou en coparticipant), sa tâche de surveillance de la situation en Asie centrale pourrait être facilitée. Ce choix était quelque peu contraint. En effet, les cliques au pouvoir dans divers Etats jouaient déjà la carte d’un rapprochement avec les Etats-Unis. Pour l’Ouzbékistan, cette option s’insère dans une politique d’ouverture aux investissements étrangers dans le pétrole qui s’est encore accentuée suite aux décrets d’avril 200010. Le président Islam Karimov peut, en outre, être assuré d’un appui à sa féroce répression des "islamistes".

• Une installation dans l’arrière-cour russe. Cette projection américaine vers l’Asie centrale avait été éclairée, sous l’angle d’une modification dans la chaîne de commandement des forces armées des Etats-Unis, par Michael T. Klare. En mai-juin 2001, dans la revue Foreign Affairs, ce spécialiste reconnu écrivait dans un article intitulé "La nouvelle géographie du conflit": "En octobre 1999, dans une exceptionnelle modification de sa géographie militaire, le Département de la défense a déplacé le commandement suprême des forces américaines en Asie centrale de celui de la région Pacifique vers le commandement central. Cette décision n’a provoqué aucun titre de presse, ni d’autres signes d’intérêt aux Etats-Unis, mais elle représente toutefois un changement significatif dans l’orientation stratégique américaine. L’Asie centrale était auparavant considérée comme le sujet d’une préoccupation périphérique, une région limitrophe pour le commandement du Pacifique par rapport à ses principales régions de responsabilité: la Chine, le Japon et la péninsule coréenne.

Mais cette région qui s’étend des montagnes de l’Oural aux frontières ouest de la Chine a acquis maintenant une importance stratégique à cause des vastes réserves de pétrole et de gaz naturel qui se trouvent sous et tout autour de la mer Caspienne. Dans la mesure où le commandement central contrôle déjà les forces dans la région du Golfe persique, il en découle que son contrôle sur l’Asie centrale signifie que cette région va recevoir une attention soutenue de la part des personnes qui ont la tâche première de protéger le flux de pétrole vers les Etats-Unis et leurs alliés… Derrière ce changement stratégique, il y a une nouvelle importance donnée à la protection de l’acquisition de ressources vitales, spécialement le pétrole et le gaz naturel."

L’ensemble de ces données laisse donc penser que — au-delà de l’engagement immédiat en Afghanistan — commence à se mettre en place un dispositif qui marque un changement important dans l’extension de la présence américaine dans cette zone stratégique. Des heurts futurs pourraient en découler, d’autant plus que les imprévus caractérisent le déroulement des guerres, surtout "nouvelles".

Le quotidien The Wall Street Journal a suivi l’affaire de près. Vladimir Socor vient d’enfoncer le clou: "Le Kremlin affirmait que l’Asie centrale — avec ses cinq Républiques anciennement dirigées par l’URSS et maintenant indépendantes — doit être traitée comme une sphère d’influence russe. L’Amérique et plusieurs de ces pays sont en désaccord avec cette déclaration de propriété sur une région stratégique vitale. Malgré des tentatives très dures, la Russie a été incapable d’empêcher l’Ouzbékistan et le Kazakhstan de rallier une coalition volontaire antiterroriste dirigée par les Etats-Unis. Et la Russie a échoué à faire basculer la position neutre du Turkménistan… Le déploiement [américain] devrait être le premier pas en direction de la construction d’un système de sécurité effectivement international pour la région, avec un engagement américain actif et à long terme." (5-6 octobre 2001)

Voilà une façon d’arbitrer, demain, que la banque française BNP-Paribas n’imaginait pas encore cet été: "La construction de nouvelles voies d’acheminement des hydrocarbures vers les marchés internationaux est perturbée par le grand jeu des puissances mondiales ou régionales (Etats-Unis, Russie, Chine, Turquie), qui rend délicat l’arbitrage entre les logiques commerciales et géopolitiques." (Conjoncture, juillet-août 2001)

L’Afghanistan est placé aujourd’hui au centre des grandes manœuvres militaires. Une fois de plus, le peuple afghan — victime depuis fort longtemps de conflits où des Etats régionaux et des puissances internationales n’ont jamais hésité à utiliser par procuration "des combattants de la liberté" — va payer un prix effrayant. Mais l’armada "antiterroriste", sur le moyen terme, va servir à bien d’autres buts dont l’intérêt est fort éloigné des rations alimentaires qui accompagnent les bombes. (5.10.2001,Cliquez pour la suite de l'article).

 

1. Voir sur ce point l’ouvrage du chroniqueur économique du quotidien italien Il Sole/24 Ore, Alberto Negri, La pace e la guerra, Il Sole, 1999.

2. Voir à ce propos Middle East Report, automne 2001, N° 220, "Shaky Foundations. The US in the Middle East".

3. Voir Claude Serfati, La mondialisation armée. Le déséquilibre de la terreur, Editions Textuel, 2001.

4. Voir Gilbert Achcar, La nouvelle guerre froide. Le monde après le Kosovo, PUF, Actuel Marx, 1999.

5. Voir David N. Gibbs, "Washington’s New Interventionism", in Monthly Review, septembre 2001.

6. Voir Pollack et Shaffer, Transatlantic Governance in the Global Economy, Rowman & Littlefield Publishers, 2001.

7. Voir François Chesnais, Gérard Duménil, Dominique Lévy, Immanuel Wallerstein, Une nouvelle phase du capitalisme, Editions Syllepse, 2001.

8. Zbigniew Brzezinski, The Grand Chessboard: American Primacy and its Geostrategic Imperatives, Basic Books, 1997.

9. Voir Institude for Afghan Studies, étude de Fahrad Adad, What Benefits would Piplines provide for Afghanistan. A Business Case Study, 28 juillet 2001 (sur le Net), et Libération, 17 septembre 2001.

10. Voir "Uzebkistan proposes attractive conditions for direct foreign investments oil and gas sector ofeconomy"(www.oaric.com/ouzpetrole.htm).


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