Vote du 25 septembre 2005
 
 


Dans une rubrique «Débat», le texte ci-dessous est paru dans Le Courrier du 14 septembre 2005.
Enfin. Et bien tard. Tant le débat a été absent des colonnes de «L'essentiel autrement» et son engagement en faveur du OUI unilatéral. Mieux vaut tard que jamais ? ou Après l'heure, c'est plus l'heure ?

Il y a tromperie sur les mesures d'accompagnement

CONTRE · Paolo Gilardi * et Alain Gonthier ** s'opposent aux mesures d'accompagnement.

La Déclaration universelle des droits humains trace les contours d'un monde où un ensemble de droits fondamentaux, démocratiques et sociaux, seraient garantis et où, notamment, le droit de circuler librement (art. 13) serait le pendant du droit de vivre au pays, sans en être chassé par la misère ou la guerre. C'est pour un tel monde que nous luttons. Il importe de garder cette vision d'ensemble, car «les droits humains sont indivisibles. Aucun droit individuel ne peut être violé sans que tous les autres le soient du même coup.» [1]

Organiser l'abondance, contrôlée et sélectionnée, sur le «marché du travail»

Le capitalisme a toujours veillé à s'assurer une abondance contrôlée de maind'oeuvre, facteur de pression sur les salaires et de subordination des salarié-e-s. Le patronat suisse excelle en la matière: recrutement ciblé d'immigré-e-s, contingents, règlements et permis, en fonction de ses besoins. La «libre circulation» n'est qu'une adaptation de la même politique. Rudolf Stämpfli, président de l'Union patronale suisse, ne s'en cache pas: «[...] les étrangers venant des pays de l'Union européenne (UE) [...] délogent les migrants plus difficilement intégrables, issus de pays plus lointains. [...] Le regroupement familial de ceux en provenance des pays de l'UE est aussi plus réduit [...]. En cela la politique de migration va exactement dans la direction que la nouvelle Loi sur les étrangers (LEtr) profile et elle est conforme aux besoins de l'économie suisse.»[2]

Des «mesures d'accompagnement» reconnues nécessaires... mais creuses.

A cause d'un droit suisse du travail misérable et de syndicats faibles [3], «une plus libre importation de main-d'oeuvre» menace les salarié-e-s, quels que soient leur nationalité et leur statut, de dumping salarial et social. En insistant sur «l'efficacité des mesures d'accompagnement, qui permet d'approuver sans risque la libre circulation», les partisans du OUI le reconnaissent. L'examen de ces mesures est donc nécessaire.

Or il y a tromperie. Deux exemples: «Engagement de 150 inspecteurs supplémentaires» dit-on; mais la seule «précision» de l'arrêté soumis au vote est «un nombre suffisant», sans obligation. «L'extension des Conventions collectives sera facilitée»: certes; mais à condition que les patrons signataires soutiennent d'abord cette démarche... qu'ils ont si souvent refusée. Et surtout, selon Joseph Deiss [4], seul-e-s 500 000 salarié-e-s ont une CCT fixant les salaires, qu'il vaut la peine d'étendre. Pour les 3,2 millions restants, cette «conquête» ne peut rien! Les autres mesures sont à l'avenant.

Le bien de l'économie et le droit fondamental.

Reste comme argument principal celui de l'intérêt économique national: «L'accord avec l'UE étant bon pour notre économie, et donc bon pour les salarié-e-s, vous devez voter OUI». Le patronat, Micheline Calmy-Rey, Christoph Blocher et les dirigeants syndicaux le clament ensemble. Mais qui dirige cette sainte alliance? dans l'intérêt de qui? Joseph Deiss, en vantant «le pas considérable pour la flexibilité que constitue la libre circulation» [ 5] donne la réponse.

Plus à gauche, on justifie le OUI comme un vote contre la xénophobie. Les enjeux réels pour les salarié-e-s importeraient moins que l'origine du référendum! [6] La réalité, c'est que l'accord de «libre circulation» barricade la «forteresse Europe», exclut 95% de la planète et en particulier les «sans-papiers»! Que la position de Rudolf Stämpfli cité ci-dessus reprise à Arena le 9 septembre 2005 par Fulvio Pelli, président du Parti radical colle à celle du père de l'initiative 18%, Philipp Muller, d'un racisme peu camouflé! [7] Que c'est Christoph Blocher qui monte aujourd'hui en première ligne pour le OUI [8]! Schwarzenbach combattant Schwarzenbach, quel conte de fées!

Des droits pour l'unité des salarié-e-s.

Le 25 septembre n'est pas le dernier vote de l'histoire! Les employeurs ont besoin des accords bilatéraux. Au soir d'un NON, commencera donc une négociation pour assurer un OUI lors d'un second vote. Pour cela, des concessions devront être faites [9]. Lesquelles? Ni fermeture des frontières, ni lourdes mesures administratives. Mais quelques droits nouveaux pour les salarié-e-s comme l'extension des CCT sans l'accord des patrons et la protection contre les licenciements, particulièrement pour les représentant-e-s des salarié-e-s. [10]

Aujourd'hui, la crainte domine parmi les travailleurs. Ces droits peuvent la faire reculer, et permettre aux salarié-e-s suisses, immigré-es, frontaliers-ères et «libres circulant-e-s» unis de mieux défendre leurs conditions de vie et de travail. C'est la voie d'un syndicalisme renouvelé, d'un combat concret contre la xénophobie et d'un accueil solidaire de camarades de travail venus d'ailleurs.

* membre du Mouvement pour le socialisme (MPS), Genève,
** conseiller communal MPS, Vevey

1 Droits syndicaux humains, Amnesty International, ACAT, Pax Christi, Justice et Paix, décembre 2003.
2 Neue Zürcher Zeitung, le 25 août 2005.
3 Il est donc malhonnête de prendre des exemples (Suède, Luxembourg) où les taux de syndicalisation et de couverture par les CCT sont sans commune mesure avec la Suisse.
4 L'émission «Infrarouge», le 31 août 2005.
5 Le Temps, le 19 novembre 2004.
6 «Le débat que suscite cet accord est [...] à double fond. En surface, il énonce des enjeux économiques: à ce titre, il paraît porter sur la meilleure manière d'assurer les profits et les emplois [...]. Mais il faut rappeler pourquoi cette votation a lieu: elle a été provoquée par un référendum nationaliste et xénophobe [...].» solidaritéS, 16 août 2005.
7 «La libre circulation permettra d'améliorer la qualité de la main-d'oeuvre et donc de l'immigration. Une immigration plus suisso-compatible.» Le Temps, le 26 juillet 2005. «Il s'agit d'Européens majoritairement catholiques, qui posent moins de problèmes d'intégration». Le Courrier, le 17 août 2005.
8 En couverture du Blick, le 12 septembre 2005: «Son appel au peuple. "Mon oui à la libre circulation".» Voir aussi Le Temps du 15 septembre 2005
9 L'obligation d'obtenir la ratification du traité est une circonstance extraordinaire, qui permet d'obtenir ces concessions, malgré l'ordinaire des rapports de force défavorables.
10«Tant que les membres des commissions d'entreprise ne seront que très mal protégés contre les licenciements, il est irréaliste de croire à l'efficacité des mesures [d'accompagnement]». (Serge Gaillard, USS, le 23 novembre 2003.

Le texte pour le OUI dans la même rubrique    Autres documents sur le même thème