Etats-Unis L’aide militaire étatsunienne William Fisher * Guerres avec engagement direct en Irak et Afghanistan, appui massif à des armées-gouvernements comme ceux de Colombie ou du Pakistan, redéploiement d’une présence militaire dans une série de pays en Europe de l’Est ou en Asie centrale, parfois sous le couvert de l’OTAN, menaces contre l ‘Iran de concert avec Israël, voilà des thèmes traités, de manière plus ou moins biaisée, par les grands médias. L’est beaucoup moins, la relation entre, d’une part, l’aide politique et militaire des Etats-Unis – une aide remboursée de diverses manières ou payée comptant – et, d’autre part, les opérations de marketing humanitaire ou d’établissement de liste de pays «en faillite» effectué par des instances officielles de l’administration et de l’appareil d’Etat. Certes, ces listes de pays «ne respectant pas les droits de l’homme» peuvent toujours servir, demain, à justifier une politique d’attaque politico-militaire contre eux et/ou de changement d’alliance, si la situation change en défaveur des Etats-Unis. Que l’officialité de Washington dénonce l’enrôlement des enfants soldats est bien reçu par des nombreux médias. Par contre, moins souvent l’accent est mis sur les quasi-adolescents engagés dans l’armée étatusunienne, en respectant toutes les formes. Ils sont intégrés très vite dans les troupes combattantes. Ces adolescents, sous l’effet de la drogue du «combat» et de «l’esprit de corps», se transforment en assassins, puis rentrent aux Etats-Unis avec des blessures physiques et psychiques. Une récente étude, publiée dans le Wall Street Journal du 25 mars 2008, indique que le pourcentage de veterans (anciens soldats) qui n’a pas d’emploi – soit parce que traumatisés et ne cherchant plus un emploi, soit parce qu’ayant repris leurs études, soit parce que ne trouvant pas un job – a plus que doublé entre 2000 et 2005. Pour les veterans âgés de 20 à 24 ans, le taux de chômage s’élève à 12%, soit plus du double du taux officiel de chômage. Le 27 mars 2008, le journal des forces armées, Stars and Stripes, indiquait, qu’au total, 18% des veterans étaient au chômage ; un nombre croissant ne reçoit pas les soins promis. La colère monte dans leurs rangs. Pour terminer, on ne peut certainement pas disjoindre la «politique de guerre» – avec toutes ses dimensions sociales, culturelles, médiatiques et de propagande – et la violence meurtrière qui se constate dans les tueries au sein des institutions scolaires. Comme ce fut à nouveau le cas, en févier 2008, à la Northern Illinois University, avec 6 tués et 15 blessés. Ce n’est évidemment pas la seule cause de ce «phénomène» répétitif . Les causes sont multiples et renvoient à la brutalité des rapports sociaux d’exploitation et de dominations d’une société capitaliste en déclin, marquée par les contre-réformes néo-conservatrices faisant exploser les inégalités déjà inscrites dans le code génétique du système. L’article publié ci-dessous, qui insiste sur le double langage et la pratique de la politique impérialiste des Etats-Unis, doit aussi être restitué dans ce contexte d’ensemble. (cau) ******** Une nouvelle enquête du Centre d'Information de la Défense (CDI – Center for Defense Information – Security Policy Resaerch) dont le siège est à Washington dénonce le fait que, même si des enfants sont fréquemment recrutés et utilisés par des groupes rebelles sur lesquels le gouvernement n'a pas beaucoup de contrôle, il existe d'autres cas où le recrutement est effectué directement par les gouvernements et par des forces paramilitaires soutenues par des gouvernements. Par exemple, le rapport du CDI révèle qu'au Tchad, les forces de sécurité gouvernementales [soutenues par Sarkozy] ont recruté et retenu des enfants soldats et ont contraint des adultes et des enfants aux travaux forcés ; le rapport ajoute que le gouvernement et d'autres groupes armés continuent à utiliser des enfants soldats. Dans la République Démocratique du Congo, le CDI indique que les unités militaires gouvernementales et les groupes armés continuent à recruter et à retenir des enfants dans leurs rangs. Il signale que les autorités militaires ne prennent aucune mesure contre les commandants qui utilisent des enfants soldats, et déclare que, malgré les accords conclus entre le gouvernement et les milices sur la démobilisation des enfants soldats, les groupes n'ont en général pas respecté ces accords. Au Soudan, toujours selon ce rapport: «Il y a eu de nombreux abus graves, dont la conscription militaire d'hommes mineurs et le recrutement d'enfants soldats». Le recrutement d'enfants soldats reste également un problème grave dans la région soudanaise du Darfour. Même si une grande partie du recrutement a été réalisée par divers groupes insurgés anti-gouvernementaux, le CDI affirme qu'il y a des rapports fiables sur le fait que le gouvernement et des milices proches du gouvernement ont également conscrit des enfants pour servir comme soldats. Les rapports du Département d'Etat [Affaires étrangères] et du CDI arrivent alors que l'administration de George W. Bush est en train d'augmenter fortement son utilisation de l'aide militaire comme récompense aux pays qui coopèrent avec sa «guerre contre le terrorisme», malgré les inquiétudes concernant les droits humains et l'instabilité politique. Le CDI a trouvé une augmentation importante des ventes d'armes gouvernementales et commerciales des Etats-Unis dans les années récentes à 25 pays au Moyen-Orient, en Asie et en Afrique qui sont devenus des alliés contre le «militantisme islamiste» depuis les attentats du 11 septembre 2001. Le think-tank indépendant (nonpartisan) a déclaré que la moitié de ces pays étaient caractérisés par le Département d'Etat, en 2006, comme ayant des problèmes sérieux, graves ou significatifs dans le domaine des droits humains. L'analyse des informations étatsuniennes du Centre montre que les ventes d'armes de gouvernement à gouvernement des Etats-Unis à quelque 25 pays ont explosé, passant d'environ 400 millions de dollars en 2005 à 3,9 milliards de dollars en 2006. Rachel Stohl, coauteur de l'étude du CDI affirme: «Cette tendance à une augmentation continue à grimper fortement». Le CDI a également critiqué l'administration Bush pour son utilisation accrue de nouveaux comptes d'aide militaire qui, selon lui, permettent au Pentagone de contourner les restrictions légales sur l'entraînement ou l'armement de groupes qui violent les droits humains. Le CDI indique: «Les Etats-Unis sont en train d'envoyer à un niveau sans précédent de l'aide militaire à des pays qu'ils critiquent simultanément pour leur manque de respect des droits humains, et, dans certains cas, pour leurs processus démocratiques douteux.» «Même si certains de ces pays sont actuellement considérés comme importants pour les efforts de Washington dans sa "guerre contre le terrorisme", leur actuelle instabilité politique et militaire rend leur allégeance future aux Etats-Unis douteuse». Selon le CDI, les augmentations de l'aide militaire étaient dues en partie à la levée de sanctions et de restrictions contre certains pays après les attentats du 11 septembre 2001. Les ventes commerciales directes au cours desquelles des entreprises états-uniennes fabriquant des armes concluent des accords supervisés par le Département d'Etat se chiffrent à plus de 3 milliards de dollars pour les mêmes pays pendant la période allant de 2002 à 2006. Cela implique une nette augmentation par rapport aux sommes calculées pour les cinq années précédant les attentats du 11 septembre En même temps, le Center for Public Integrity (Centre pour l'intégrité publique - CPI) dénonce le fait que des lobbyistes étrangers sont en train d'exploiter la peur du pays après les attentats du 11 septembre pour obtenir des milliards de dollars en aide militaire états-unienne - et une bonne partie de cette aide est envoyée à des pays qui violent couramment les droits humains, participent à des «extraordinary renditions» [1] et recrutent et déploient des enfants soldats. Ces conclusions se trouvent parmi celles d'une étude d'une année par une équipe de reporters chevronnés, connue sous le nom de International Consortium of Investigative Journalists [Groupement international des journalistes d'enquête - ICIJ]. Le rapport de l'ICIJ, publié l'année passée et intitulé «Dommage Collatéral» conclut que «l'influence des lobbys étrangers sur le gouvernement étatsunien, ainsi que la focalisation à court terme sur des objectifs contre-terroristes au détriment des préoccupations plus larges au sujet des droits humains ont entraîné des coûts sidérants pour les Etat-Unis et ses alliés aussi bien sur le plan financier que sur celui du capital politique». Le rapport de l'ICIJ ajoute: «Les accords visant à fournir de l'aide militaire à des gouvernements qui sont souvent réputés corrompus et brutaux, ont constitué un revers dans les efforts pour promouvoir les droits humains et l'état de droit.» Depuis 1950, le gouvernement étatsunien a versé plus de 91 milliards de dollars à des militaires partout dans le monde à partir d'un seul fond. Or, comme il existe nombre d'autres fonds, le montant total doit être substantiellement plus élevé. La plus grande partie de cet argent provient du Département de la Défense et du Département d'Etat. Joanne Mariner, directrice du Programme de Terrorisme et Contre-terrorisme de Human Rights Watch a déclaré à IPS: «Le fait que, dans certains cas, l'aide militaire se déverse sur des gouvernements répressifs est préoccupant. A notre avis, l'aide devrait être plus strictement conditionnée pour assurer que des abus ne soient pas commis avec un financement américain». Dans leur enquête, 10 reporters de ICIJ sur quatre continents ont exploré la politique de contre-terrorisme étatsunienne depuis les attentats de 2001. Ils ont découvert que la pression politique étatsunienne après les attentats du 11 septembre, le lobbying à Washington et les dollars d'aide, ont contribué à remodeler les politiques envers des pays qui vont de Djibouti dans la Corne d'Afrique, en passant par le Pakistan et la Thaïlande en Asie à la Pologne et Roumanie en Europe, ainsi qu’à la Colombie en Amérique du Sud. Le rapport de ICIJ indique que beaucoup de destinataires de cette aide sont des pays suspectés de s'être rendus coupables d'abus dans le domaine des droits humains. Par exemple, il dénonce le fait que des pays recevant de l'aide militaire des Etats-Unis ont participé à des «extraordinary renditions» autrement dit à l'enlèvement des personnes suspectées de terrorisme ou à transférer des prisonniers dans des pays connus pour pratiquer la torture et d'autres pratiques inhumaines et dégradantes. Des informations fiables montrent que les vols affrétés par la Central Intelligence Agency (CIA) étatsunienne ont fait escale au moins 76 fois en Azerbaïdjan, 72 en Jordanie, 61 en Egypte, 52 en Turkménistan, 46 en Ouzbékistan, 40 en Irak, 40 au Maroc, 38 en Afghanistan et 14 en Libye. La majorité de ces pays reçoivent de l'assistance militaire de Washington. Par exemple, selon une évaluation très critique par le Comité Contre la Torture des Nations Unies, en Ouzbékistan: «La torture et les mauvais traitements restent répandus» et continuent à être appliqués «dans l'impunité». L'Ouzbékistan reçoit actuellement bien plus que 100 millions de dollars en aide militaire états-unienne. Depuis les attentats du 11 septembre, le Pakistan est devenu un des pays qui reçoit le plus d'aide militaire des Etats-Unis: environ 10 milliards de dollars, selon certains rapports. La Commission des Droits Humains du Pakistan (HRCP) a dénoncé le fait que la torture y soit une pratique courante. Elle signale qu'aucun fonctionnaire n'a été puni pour s'être livré à de tels excès. La HCRP ajoute que des détentions illégales ont lieu assez régulièrement et que, le plus souvent, elles ne sont pas communiquées. Le rapport de l'ICIJ dit aussi que l'Indonésie utilise la fondation charitable d'un ancien président indonésien pour payer des lobbyistes afin de faire pression sur le Congrès pour assurer que des fonds étatsuniens continuent à être versés. Selon ce même rapport, le gouvernement indonésien a entrepris un effort concerté de lobby sur le Congrès [américain] après les attentats du 11 septembre, en utilisant de «puissants colporteurs d'influence», dont un ancien sénateur républicain et candidat présidentiel de 1996, Bob Dole. (Traduction A l’Encontre) * William Fisher, journaliste depuis de longues années, travaille, entre autres, pour l’agence de presse IPS (Inter Press Service International Association) basée à New-York. Il suit particulièrement la situation au Proche et Moyen-Orient. 1. Le terme extraordinary rendition ou « reddition extraordinaire » - désigne une initiative illégale présumée prise par la CIA. Ce terme a été utilisé, pour l’essentiel, au cours des dernières années. A propos de l’enlèvement de personnes (présumées «terroristes») qui sont transportées dans des pays où la torture la plus dure – avec l’aide américaine – est appliquée lors d’interrogatoires. Ces enlèvements ont été pratiqués (et le sont encore), en utilisant, pour des étapes intermédiaires du transfert, des aéroports de divers pays européen, y compris l’espace aérien Suisse et peut-être un aéroport. L’Egypte et l’Afghanistan (base de Bagram) ou des bases américaines extraterritoriales, dont celle de Guantanamo est le symbole, sont des lieux de la mise à exécution de cette internationalisation, sous hégémonie étatsusienne, de la torture. (Red.). (19 avril 2008) A l'encontre, case postale 120, 1000 Lausanne 20 Soutien: ccp 10-25669-5 |
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