Tunisie

«Du pain, de l'eau, Oui. Mais non à Ben Ali»

Rédaction avec agences

Ce vendredi 14 janvier 2011, les manifestations ont repris à Tunis. «Non à Ben Ali», «Soulèvement continu, non à Ben Ali», ont crié les manifestants.

Au départ constitué de quelques dizaines de personnes, la foule des manifestants a rapidement commencé à gonfler pour atteindre plusieurs centaines. Elle a été bloquée par un barrage de police qui s'est vite formé au milieu de l'Avenue Bourguiba de manière à l'empêcher de marcher vers le siège du ministère de l'Intérieur ; barrage de police débordé.

Selon des agences de presse, les manifestants sont désormais (12 heures) plus de 5000 et sont parvenus devant le ministère de l'Intérieur. Ils réclament la démission du président.

«Le ministère de l'Intérieur est un ministère de la terreur» et «hommage au sang des martyrs» ou encore «non, aux Trabelsi (ndlr: la belle famille du président) qui ont pillé le pays», ont également scandé les manifestants.

Selon des journalistes, la police tire des gaz lacrymogènes sur les manifestants. Devant le ministère, Radia Nasraoui, avocate et activiste des droits de l'Homme était déjà présente pour demander des éclaircissements sur le sort de son mari, Hamma Hammami, dirigeant de la formation d'extrême gauche, le Parti des ouvriers communistes tunisiens (POCT). «Nous voulons des actes et non des paroles», a-t-elle déclaré disant être toujours sans nouvelle de son mari depuis son arrestation mercredi.

Une grève générale de deux heures était prévue vendredi à Tunis à l'appel de l'unique centrale syndicale, l'Union générale du travail tunisien (UGTT).

Manifestations en province

Sidi Bouzid d'où est parti, il y a un mois (17 décembre 2010), le mouvement de contestation après «l'immolation par le feu» d'un jeune qui voulait protester contre la saisie de son étal de fruits et légumes, a aussi connu une manifestation hostile au président tunisien, «Ben Ali dehors» ont crié les manifestants, quelque 1500 personnes, tandis qu'à Regueb, une localité proche, quelque 700 personnes ont lancé des slogans hostiles au chef de l'Etat tunisien.

Dans cette localité où des habitants observent un sit-in de protestation pour la cinquième journée consécutive, des manifestants ont dressé des tentes place 7 novembre (date de l'arrivée au pouvoir de Ben Ali en 1987) et ont rebaptisé le lieu «Place des martyrs».

A Kairouan, une marche s'est déroulée aux cris de "Ben Ali dehors", alors que ce même slogan a été crié des manifestants à Gafsa, dans le sud-ouest, région d'une mobilisation populaire phare dans le basin minier en 2008.

«Du jamais vu»

A la mi-journée les forces de sécurité restaient toujours à l'écart de la manifestation, du jamais vu en Tunisie. Les forces de l'ordre ne chargeaient pas la foule, alors que ces derniers jours, ça a été systématiquement le cas. Mais surtout le fait que jamais il n'y avait eu de manifestation autorisée sur l'avenue Bourguiba et devant le ministère de l'Intérieur.

Le symbole est très fort. Les Tunisiens le disent tous : «c'est du jamais vu puisque c'est dans ce même ministère que les gens sont arrêtés et interrogés».

D'ailleurs beaucoup comparent ce qui se passe aujourd'hui à la prise de la Bastille en France, en disant que finalement c'est une sorte de révolution pour la Tunisie, d'avoir tant de gens qui osent dire tout haut qu'ils ne veulent plus du président Ben Ali. Les gens scandent: « Du pain, de l'eau, Oui. Mais non à Ben Ali». Ils disent aussi: «Ben Ali, assassin, Ben Ali doit partir». Ils chantent l'hymne national.

Depuis plusieurs heures maintenant, ils sont en fait plusieurs milliers, cinq mille, peut-être dix mille… à défiler pacifiquement sur cette avenue.

C'est une marche populaire. Toutes les catégories sociales et d'âges sont représentées, et globalement toutes les personnes interrogées demandent le départ de Ben Ali, mais aussi et surtout des élections anticipées.

Pour eux 2014, c'est trop loin. Ben Ali était là pour trop longtemps. Tous disent également que les promesses d'hier ne vont pas assez loin, et ont du mal à y croire. Ils pensent que c'est une mascarade. Ils disent que le président n'a pas compris que les problèmes sont plus profonds, qu'il ne s'agit pas du prix du pain et de la libéralisation des médias, mais qu'il faut beaucoup plus, qu'il faut qu'il parte, et qu'il faut des élections anticipées et un gouvernement d'union nationale.

*****

Complément
Police et armée à la rescousse. L'Etat d'urgence est décrété

A Tunis, dès 15 h, des chars de l'armée ont pris place ce vendredi 14 janvier 2011 devant le ministère de l'Intérieur, où la police a dispersé à coups de grenades lacrymogènes des milliers de manifestants qui réclamaient le départ du président Ben Ali. Au même moment où les unités antiémeutes traquaient les jeunes manifestants jusque dans les cages d'escaliers des immeubles alentour, les blindés de l'armée ont été déployés devant le ministère de l'Intérieur.

Auparavant, la police venait de charger les manifestants pour les empêcher de se fondre à un autre groupe de protestataires. Il n'aura fallu que quelques minutes aux forces de l'ordre pour vider l'avenue Habib Bourguiba de la foule des manifestants. Certains ont lancé en direction des policiers des pierres et aussi des chaises récupérées sur les terrasses des cafés.

Alors que les manifestants descendus dans la rue ont été dispersés par la police, le président Ben Ali a limogé son gouvernement. L'état d'urgence est décrété. L'armée est dans Tunis.

(14 janvier 2011)


A l'encontre, case postale 120, 1000 Lausanne 20 Soutien: ccp 10-25669-5