Russie
Il y a 90 ans, février-mars 1917.
Une révolution oubliée (document)
Nicolas Werth*
Nous publions ici un court extrait d’un ouvrage, malheureusement, pas suffisamment lu par les jeunes lectrices et lecteurs. Il a été publié en 1997 par les Editions Gallimard. Collection «Découvertes».
Nicolas Werth a participé à l’ouvrage collectif Le Livre noir du communisme, publié en 1997, aux Editions Robert Laffont, sous la direction de Stéphane Courtois. Il n’est pas certain qu’il partageât, effectivement, tous les objectifs de Stéphane Courtois. Il s'en est même distancié par la suite.
Les ouvrages sur l’URSS de Nicolas Werth méritent lecture. On pourrait citer La vie quotidienne des paysans russes, de la révolution à la collectivisation (1917-1939), Hachette 1984 ; Etre communiste en URSS sous Staline, Gallimard 1981 ; L’Ile aux cannibales. 1933, une déportation-abandon en Sibérie (Perrin, 2006) ; Les procès de Moscou: 1936-1938, Complexe (rééd. en 2006).
On peut débattre avec l’approche de N. Werth sur la «révolution d’octobre» ou sur d’autres points. Au même titre qu’avec l’œuvre de beaucoup d’historiens. Mais, il manifeste une intelligence de ce qui passait, par exemple, au printemps 1917 en Russie. La façon dont des institutions du pouvoir dominant (depuis des siècles) se délitent, dont une société se met en marche, dont des segments s’auto-organisent, dont les revendications surgissent en lien avec un contexte immédiat et une histoire longue.
D’aucuns diront que mettre en relief février-mars 1917 a pour but d’éteindre octobre 1917, ou d’en faire un simple «coup d’Etat». Ce n’est pas impossible. Mais avant de répondre à cette interrogation, il est préférable de savoir ce qui se passait ces premiers mois de la «Révolution russe». Car certains en «tuant Octobre» voulaient aussi «effacer février». (réd.)
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Gouvernement provisoire et soviet: le double pouvoir
Le compromis du 2 mars 1917 marque la naissance d’un «double pouvoir», la coexistence, émaillée de conflits, de deux conceptions différentes de la légitimité et de l’avenir de la société russe. D’un côté, le pouvoir d’un gouvernement provisoire, un pouvoir soucieux d’ordre, dont la logique est celle du parlementarisme, et l’objectif celui d’une Russie capitaliste, moderne et libérale. De l’autre côté, le pouvoir des soviets, qui se veulent une représentation plus directe, plus «révolutionnaire», même s’ils sont alors dominés par des socialistes modérés. Mais ce «pouvoir des soviets» est lui-même une réalité mouvante et changeante, au gré de l’évolution de ses structures décentralisées, bourgeonnantes, et, plus encore, des changements d’une opinion publique versatile.
Le premier gouvernement provisoire, formé le 2 mars, est présidé par le prince Georges Lvov, entouré d’une majorité de représentants éminents du parti constitutionnel-démocrate: Pavel Milioukov, aux Affaires étrangères ; Nikolaï Nekrassov, aux Transports ; André Chingarev, à l’Agriculture. Par ses talents d’orateurs, sa position à gauche de l’échiquier politique, Alexandre Kerenski, ministre de la Justice, seul représentant important du soviet à avoir accepté un poste ministériel, principal artisan du compromis entre le soviet et le gouvernement provisoire, occupe déjà une place à part.
La «révolution de la parole»
En ces jours euphoriques du printemps 1917, les nouveaux gouvernants rêvent de faire de la Russie «le pays le plus libre du monde». En quelques semaines, le gouvernement provisoire prend un train de mesures spectaculaires: libertés fondamentales, suffrage universel, amnistie générale, abolition de la peine de mort, suppression de toute discrimination de caste, de race ou de religion, reconnaissance du droit de la Pologne et de la Finlande à l’autodétermination, promesse d’autonomie pour les minorités nationales. Néanmoins, personne ne songe à mettre ces mesures démocratiques, authentiquement révolutionnaires dans un pays qui vient de rompre brusquement avec des siècles d’autocratie, au crédit du gouvernement: le seul triomphe de la révolution les a rendues, du jour au lendemain, évidentes.
Dans ce climat d’euphorie libératrice, la politique envahit tout. C’est le triomphe du meeting permanent, le «mitingovanié», véritable fête de libération. «On ne pouvait pas acheter un paquet de cigarettes, prendre un fiacre, écrira dans ses souvenirs Constantin Paoustovski, sans être entraîné dans une discussion politique. Les serveurs de café et les domestiques vous demandaient des conseils sur la manière dont il faudrait voter. Tous les murs de la ville étaient couverts d’affiches annonçant un meeting, un congrès, une réunion, un programme électoral, et pas seulement en russe, mais en polonais, en lituanien, en yiddish… La perspective Nevski s’était transformée en une sorte de Quartier latin. Des vendeurs de livres occupaient le trottoir en rangs serrés, proposant à la criée des pamphlets sensationnalistes sur Raspoutine, Nicolas II ou Lénine, le programme agraire des socialistes-révolutionnaires qui expliquait combien de terre chaque paysan recevrait…»
En quelques semaines, des centaines de soviets, des milliers de comités d’usine et de quartier, des milices de «gardes rouges», des comités de paysans, de cosaques, de «ménagères», mais aussi des «comités de sûreté», organes plus conservateurs composés de notables, foisonnent. Autant de lieux de débats, d’initiatives, d’affrontements, où s’expriment des revendications, une opinion publique. Bien plus encore que la révolution de 1905, celle de février 1917 provoque une véritable libération de la parole. Ouvriers, soldats, paysans, intellectuels juifs, femmes musulmans, instituteurs arméniens envoient aux soviets, par l’intermédiaire de «leurs» organisations, des milliers de motions, pétitions, adresses, doléances qui disent toute la misère du peuple et l’immense espérance soulevée par la Révolution.
La révolution parmi le «peuple travailleur»
Entre mars et juillet 1917, il n’est pas une profession du monde du travail qui n’exprime ses revendications. On compte plus d’un million de grévistes. Artisans, blanchisseuses, coiffeurs, serveurs de café, domestiques, chauffeurs – autant de métiers qui n’auraient jamais eu l’idée d’exiger ouvertement – défilent maintenant sous quelque bannière, tout comme les ouvriers métallurgistes, vétérans des mouvements de grève.
Les ouvriers demandent – et obtiennent rapidement – la journée de huit heures. Parmi les autres revendications figurent les assurances sociales, le contrôle de l’embauche et des licenciements, la suppression des amendes et des mesures vexatoires, et, pour soulager la misère quotidienne, de modestes augmentations de salaire «afin de pouvoir acheter trois livres de pain par jour». De nombreuses demandes, symboliques, reflètent l’aspiration du «petit peuple» à plus de dignité. Les ouvrières du textile de Tver exigent la suppression des fouilles corporelles à l’entrée de l’usine ; celles de Kostroma demandent le renvoi des mouchards notoires et des milices patronales. A Moscou, les domestiques manifestent, réclamant qu’on cesse de les tutoyer «comme des serfs». A Petrograd, les garçons de café défilent sous une bannière où l’on peut lire: «Nous exigeons le respect envers les garçons de café. A bas les pourboires. Les serveurs sont des citoyens !»
Loin de se limiter à formuler des revendications, d’ailleurs généralement satisfaites en ces premières semaines révolutionnaires où les patrons se sentent débordés, les ouvriers des grandes entreprises et des grandes villes mettent sur pied, dès les premières semaines du nouveau régime, des comités d’usine et des unités de «gardes rouges».
Les comités d’usine ont pour objectif premier de contrôler l’embauche et les licenciements, d’empêcher les patrons de fermer abusivement l’entreprise, sous prétexte de rupture d’approvisionnement, mais aussi de maintenir une certaine discipline du travail, de lutter contre l’absentéisme. Bref, de promouvoir le «contrôle ouvrier» sur la production, un mot d’ordre qui va devenir de plus en plus populaire au cours de l’année 1917, tandis que l’économie sombre, que le chômage augmente, que les usines ferment. Organes autonomes de «défense ouvrière» dans une conjoncture de crise économiques et d’oppositions de plus en plus acharnée des patrons, les comités d’usine vont progressivement se rallier à l’idée de «nationalisation» des entreprises, défendue par les bolcheviks. Quant aux unités de «gardes rouges», ce sont des milices ouvrières armées (grâce au pillage, à partir du 27 février, des arsenaux et des usines d’armements) prêtes à défendre l’usine contre toute tentative de lock-out, mais aussi à «sauvegarder la Révolution» si celle-ci était menacée. L’été 1917, on comptera plus de 20'000 ouvriers en armes à Petrograd, 12'000 à Moscou, mais aussi 3'000 à Ivanovo-Voznessenk, le «Manchester russe», 1'500 à Tver, 300 dans la petite ville de Toula. Autant de petites et grandes armées ouvrières, fermement décidées à défendre «leur» révolution, de plus en plus perméable à la propagande bolchevique qui exalte la lutte des classes.
Pour «défendre les conquêtes démocratiques», de nombreux citoyens de toutes catégories sociales s’engagent dans des «milices de quartier» ou des détachements chargés de garder tel ou tel bâtiment public. Pour beaucoup, l’engagement civique commence par l’instruction publique, gratuite et obligatoire. On fait ainsi défiler enfants et adolescents sous des bannières proclamant «Vive l’instruction du peuple !» Pour les ouvriers, la dignité citoyenne passe, souvent plus prosaïquement, par une amélioration des conditions de vie quotidienne. [N.W] |
La révolution aux armées
«Le principal facteur de décomposition de l’armée est le Décret nº1. Le second facteur, c’est la lecture des innombrables journaux qui entraîne les soldats à discuter continuellement des programmes des partis politiques, des revendications des uns et des autres, de la guerre et de la paix, au lieu de faire résolument la guerre.» Général Broussilov
Dans une lettre désabusée, mais ô combien perspicace, un jeune capitaine décrivait ainsi à son père, propriétaire foncier dans la province de Toula, la révolution dans son régiment: «Entre nous et les soldats, l’abîme est insondable. Pour eux, nous sommes et nous resterons des barines [des maîtres]. Pour eux, ce qui vient de se passer, ce n’est pas une révolution politique, mais bien une révolution sociale, dont ils sont les vainqueurs et nous les vaincus. Ils nous disent, maintenant qu’ils ont leur comité: “Avant, vous étiez les barines, maintenant c’est à notre tour de l’être !” Ils ont l’impression de tenir enfin leur revanche après des siècles de servitude…»
Dans le cours de la révolution de 1917, le rôle des soldats-paysans – une masse de dix millions d’hommes mobilisés – est décisif. La décomposition progressive de l’armée russe, gagnée par les désertions et le pacifisme, joue un rôle d’entraînement dans la faillite généralisée des institutions.
Pour le commandement, c’est le Décret nº1, instituant les comités de soldats, qui est à l’origine du mal. En effet, loin de se borner aux prérogatives, réelles mais limitées, que leur donne le texte, les comités de soldats en viennent à s’occuper de stratégie militaire, appellent à la désobéissance, récusent tel ou tel officier, prétendent en «élire» de nouveaux… Les unités sont progressivement gagnées par un «pouvoir soldat», qui fait le lit d’un «bolchevisme de tranchée» très spécifique, ainsi décrit par le général Broussilov: «Les soldats se laissèrent gagner peu à peu par un “bolchevisme de tranchée” qui semblait correspondre à leurs vœux. Ils n’avaient pas la moindre idée de ce qu’était le communisme, le prolétariat ou la Constitution. Ils voulaient la paix, la terre, la liberté de vivre sans lois, sans officiers ni propriétaires fonciers. Leur “bolchevisme” n’était en réalité qu’une formidable aspiration à une liberté sans entraves, à l’anarchie.»
Comme la plupart des combattants des pays belligérants, les soldats russes souhaitent avant tout la fin de la guerre, sans oser toutefois, du moins durant les premiers mois de la révolution, proclamer ouvertement leur désir d’une «paix blanche». En tant que paysans, ils ont d’autant plus envie de rentrer chez eux qu’ils ont entendu dire que des partages de terre se préparaient au village et que s’ils étaient absents, ils ne recevraient pas leur part. De mars à octobre 1917, plus de deux millions de soldats, fatigués de combattre ou d’attendre le ventre creux dans les tranchées et les garnisons, désertent. Leur retour au village alimente, à son tour, les troubles dans les campagnes.
La révolution au village
Dans de nombreux villages de la Russie profonde, la nouvelle de l’abdication du tsar parvient vers la mi-mars, parfois plus tard encore. Comme il est de coutume lorsqu’un événement important se produit, l’assemblée paysanne se réunit et fait rédiger par l’écrivain public, l’instituteur ou le pope une pétition exposant les doléances et les souhaits des paysans. Les archives des soviets de Petrograd ou de Moscou ont conservé un grand nombre de ces «cahiers de la révolution russe». On y trouve à la fois des revendications politiques et une vive aspiration à la fin prochaine de la guerre. «Proclamer la République», «hâter la réunion de l’Assemblée constituante», «instaurer le vote égal et l’instruction pour tous», et, plus souvent encore, «conclure au plus vite une paix juste et équitable» - voici ce que disent, maladroitement mais fermement, motions et pétitions paysannes.
Ces textes sont souvent révélateurs, inattendus, toujours intéressants pour l’historien en quête de la parole paysanne, une parole qui ne s’exprime par écrit qu’aux grandes occasions: «Nous, Russes, ne sommes pas des Tatars. Eux, ils ont toujours envahi la Russie avec leurs troupeaux et leurs tentes. Nous, nous ne voulons pas habiter en Allemagne, faire de ses habitants des esclaves, ni dépecer leur bétail ou leurs propriétés… Et cela pour deux raisons: 1. Que c’est contraire aux Evangiles. 2. Que c’est une arme à double tranchant: on sera vainqueur chacun à son tour et il n’en sortira que du carnage.»
Motions et pétitions paysannes contiennent toutes de vigoureuses revendications économiques et sociales. Les paysans exigent la saisie et la redistribution des terres d’Etat, des grands apanages, des grands propriétaires fonciers. De manière quasi unanime, ils exposent leur idéal de démocratie agraire, où chacun aurait son lot «en fonction des bouches à nourrir»: «On ne doit laisser aux grands propriétaires qu’un domaine qu’ils sont en mesure eux-mêmes de mettre en valeur, sans l’aide ni de salariés ni de prisonniers de guerre.» Parmi leurs autres revendications, figurent, pêle-mêle: la révision des baux à la baisse, le moratoire des transactions foncières jusqu’à la Constituante, la redistribution des pâturages et des bois, l’autorisation «exceptionnelle, vu les circonstances de la guerre», des coupes de bois dans les forêts domaniales, etc.
Plusieurs semaines durant, jusqu’à la fin avril, un calme apparent règne dans les campagnes. Les «désordres» restent très limités, surtout en comparaison avec ce qui s’était passé lors de la révolution de 1905. Mais les paysans s’organisent, des comités agraires sont mis en place, tant au niveau du village que du canton. Dirigés le plus souvent par l’«intelligentsia rurale», proche des socialistes-révolutionnaires, ces comités font encore confiance au gouvernement provisoire et aux soviets pour résoudre rapidement le problème agraire. Toutefois, à partir de la fin avril, l’impatience des paysans grandit: les propriétaires doivent faire face à un nombre croissant de «violations de la légalité»: de moins de cent en avril, leur nombre dépassera mille en juin, tandis que les comités paysans se radicalisent pour ne pas être débordés par leur base.
Depuis la fin du XIXe siècle, l’écart n’a cessé de se creuser entre des exploitations agricoles prospères et modernes, qui ont fait de la Russie le premier exportateur mondial de céréales, et une agriculture attardée, pratiquée par des dizaines de millions de petits exploitants. L’aristocratie faut échouer les tentatives de Stolypine (Premier ministre de 1906 à 1911), qui voulait encourager l’exploitation individuelle.
La majeure partie des paysans russes, incapables d’acheter la terre, vit sous le régime de la communauté villageoise, qui impose une redistribution périodique des terres en fonction des «bouches à nourrir» dans chaque famille et fixe le calendrier agricole. Avec l’entrée de la Russie dans une guerre longue, la mobilisation de plus de la moitié des hommes adultes a profondément perturbé une agriculture, peu mécanisée, qui repose avant tout sur un effort humain collectif.
Au début de l’année 1917, ce sont les assemblées traditionnelles de starostes («aînés») qui rédigent les premières doléances de la communauté villageoise. Puis apparaissent des comités de représentants paysans au niveau du canton [volost], du district [ouezd], de la province [goubernija], qui, à partir du mois de mai, prennent des mesures immédiatement applicables, court-circuitant administrations et ministères. Parallèlement, foisonne une hiérarchie de soviets paysans, qui tiennent leur premier congrès panrusse en juin 1917. Témoignant de la métamorphose qui s’opère parmi la paysannerie, un des représentants de Penza la décrit ainsi, en juillet 1917: «“Pitié, Ivan Petrovitch, ma famille meurt de faim, donnez-moi une demie dessiatine [hectare]” Non, il ne s’incline plus et vous dit: “A propos, dites-moi, combien de dessiatines pouvez-vous cultiver par vos propres moyens ? Passez à notre réunion, ce soir, nous y partagerons la terre que vous possédez !”» [N.W] |
Les débuts de l’émancipation des nations
La révolution de février donne une impulsion décisive aux mouvements nationaux bridés par la politique russificatrice de l’autocratie tsariste. Pour les intellectuels finlandais, polonais, baltes, géorgiens, arméniens, tatars, ukrainiens, la chute du tsarisme est une promesse d’autonomie, et bientôt d’indépendance.
A Kiev, la Rada, association d’organisations culturelles ukrainiennes, salue en des termes enthousiastes la Révolution: «Ukrainiens, citoyens, camarades ! Ce jour heureux est arrivé où l’Ukraine, soumise depuis des siècles, commence une nouvelle vie. Soutenez le nouveau régime car c’est lui qui apporte la liberté à l’Ukraine. Préparez-vous à l’Assemblée nationale constituante, où la voix du grand peuple ukrainien doit retentir à l’unisson pour défendre l’autonomie de notre terre natale et la constitution d’un Etat fédéral.» Bientôt, la Rada parle au nom de tous les Ukrainiens, réclamant non plus seulement l’autonomie interne, mais l’indépendance.
Des revendications similaires se développent en Pologne, en Finlande, dans les pays Baltes, au Caucase. Les musulmans de l’ex-Empire ne sont pas en reste, mais, ici comme ailleurs, la révolution fait remonter à la surface des clivages anciens: les musulmans se divisent en «progressistes», qui soutiennent les premiers mouvements d’émancipations des femmes de l’Islam, et «conservateurs», en «unitaristes» qui espèrent réaliser l’unité sous l’égide des Tatars, et en «fédéralistes», animés par les Bachkirs, les Ouzbeks et les Azéris.
Face à ces aspirations diverses, contradictoires, porteuses d’une menace de désintégration pour l’Etat, le gouvernement provisoire, pris de court, se borne à des gestes de bonne volonté: les mesures discriminatoires qui frappaient, individuellement, les allogènes sont abolies. Ils ont désormais le droit de se déplacer librement, d’exercer toute profession, d’utiliser leur langue nationale dans leurs écoles, d’être électeur. Mais ces conquêtes importantes ne leur rendent pas encore la dignité collective que seule leur apporterait la reconnaissance d’une véritable «personnalité» nationale.
Reconnaissance du principe d’autodétermination, développement de l’instruction dans la langue allogène et droit de constituer des unités militaires séparées figurent parmi les premières revendications nationales. Le congrès de l’armée ukrainienne, réuni à Kiev le 31 mai 1917, précise que «le sort de l’Ukraine ne saurait dépendre d’une Assemblée constituante russe». (N.W) |
* Nicolas Werth, historien, est directeur de recherche au CNRS et à l’Institut d’histoire du temps présent (IHTP).
(20 mars 2007)
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