Pérou Ethnocide dans la jungle: un massacre délibéré Carlo Angulo Rivas * Les forces de police du Pérou, le 5 juin 2009, ont attaqué des Indiens dans le département amazonien de Bagua, au nord du Pérou. Le bilan provisoire établi le samedi 6 juin par la Defensoria del pueblo, un organe autonome de l'Etat péruvien, faisait état de 31 morts (22 policiers et neuf civils), 159 blessés (certains par balles) et 79 détenus. Les dirigeants du mouvement indigène affirmaient qu'entre vingt et trente manifestants ont été tués. Depuis des mois, les populations indiennes réclament la suppression de plusieurs décrets-lois relatifs à l'usage et à la propriété des terres adoptés par le gouvernement en 2008. Selon l'Association interethnique pour le développement de la forêt péruvienne (Aidesep), à la tête du mouvement, ces décrets mettent en péril l'identité culturelle des Indiens et leurs droits fondamentaux. Ils vont à l'encontre de la Constitution péruvienne et, aussi, de la Convention 169 de l'Organisation internationale du travail (OIT), selon laquelle les peuples indigènes doivent être «consultés chaque fois qu'une mesure législative est susceptible de les affecter directement». Après plusieurs manifestations en 2008, des milliers d'Indiens ont repris leur mouvement de protestation dès le 9 avril 2009,. Ils ont bloqué de nombreux axes routiers du nord et de l'est. Au 55e jour de grève, vendredi 5 juin 2009, la police a reçu l’ordre du gouvernement d’Alan Garcia d'intervenir pour «débloquer une route du nord de l'Amazonie». Des milliers de manifestants l’occupaient. L’attaque de la police a suscité une réaction, légitime, des Indiens, opprimés et exploités depuis des siècles. Ils se sont emparés d’une station de pompage de pétrole – l’exploitation du pétrole, avec ses «dommages collatéraux», est un des enjeux de la mobilisation des Indiens – et se sont défendus. Le simple fait qu’ils se défendent a été déclaré de scandaleux et «sauvage» (sic) par des médias. Tuer un Indien est un simple incident. Mais si les Indiens ripostent et tuent des policiers c’est un «crime horrible, révélateur de mœurs de sauvages». La pratique coloniale, son idéologie et sa phraséologie – en place depuis le XVe et XVIe siècle, – se retrouvent avec toutes leurs forces oppressives et racistes encore aujourd’hui. Mais – c’est un changement par rapport aux XIXe et XXe siècles – les Indiens ne sont plus prêts à les accepter. (Red.) ****** D'une tuerie à une autre la différence n'est pas très grande, seuls les êtres humains massacrés ont changé. La soif de sang d'Alan Garcia Pérez (Président du Pérou) ne peut être assouvie. Il répète encore et encore ce qu'il a déjà fait par le passé: ordonner des tueries humaines comme celles de El Fronton [répression extrêmement brutale dans la prison de El Fronton en 1986], Lurigancho [1997], Los Molinos [répression contre le groupe Tupac Amaru en 1997] et celles des communautés indiennes des Andes. Peu lui importe que des habitants ou des policiers meurent. Pourtant le peuple a fait preuve de beaucoup de patience. Durant soixante jours, dans tout le pays, les peuples autochtones de l'Amazone ont fait grève, et il y a eu des protestations nationales et un soutien global à ce juste combat, sans compter la sollicitude internationale. Ces exhortations étaient plus que suffisantes pour faire réfléchir n'importe quel dirigeant, sauf bien sûr lorsqu'il s'agit d'un génocidaire patenté qui n'écoute et n'écoutera jamais personne. Les contorsions effectuées hier au Congrès par l'APRA [Alianza Popular Revolucionaria Americana à son origine, dont le dirigeant historique fut Victor Raul Haya de la Torre, avec une forte composante anti-impérialiste et d’unification latino-américaine ; actuellement Alan Garcia a renommé cette formation politique: Partido Aprista Peruano qui a rallié la social-démocratie internationale] visaient surtout à ne pas traiter les problèmes de l'abrogation des décrets législatifs inconstitutionnels qui encouragent la déprédation de l'Amazonie, puisqu'ils ne respectent ni l'environnement, ni les rivières, ni les arbres, ni les animaux, et encore moins les droits ancestraux des peuples autochtones. Elles ont préparé le terrain pour pouvoir ordonner l'assassinat de ceux qui ne font que défendre leur droit à l'existence. A peine deux jours plus tôt, le Forum Permanent pour les Questions autochtones des Nations Unies, organe d’information du Conseil Economique et Social, avait lancé un appel préventif au gouvernement péruvien concernant les conséquences que pouvait entraîner le fait de continuer à harceler les autochtones avec des échanges dilatoires et des simulacres de décision. Cette instance de l'ONU a exprimé sa préoccupation au sujet des informations reçues au cours sa huitième session pour ce qui avait trait aux atteintes commises par Alan Garcia contre les droits des peuples indigènes et les communautés autochtones. La Présidente de cette instance, Victoria Tauli Corpuz, a fait parvenir une déclaration officielle au gouvernement péruvien pour lui rappeler son obligation de consulter les peuples indigènes et de les respecter, selon les engagements précisés dans la Convention 169 de l'Organisation Internationale du Travail - OIT. Dans son exposé des motifs, Victoria Tauli Corpuz a déclaré qu'en tant que pays signataire de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des Peuples indigènes, le Pérou est dans l'obligation de garantir le plein respect des droits des communautés autochtones sur leurs terres traditionnelles, leurs territoires et leurs ressources, et à ce qu’ils soient pleinement informés de ces droits. Elle a également exprimé sa profonde préoccupation au sujet de l'état de siège décrété depuis le 8 mai 2009 par le gouvernement de Garcia Pérez contre les organisations et les communautés indigènes. A ce sujet elle a déclaré: «L'état de siège entraîne la suspension des libertés individuelles et politiques des peuples indigènes dans la région amazonienne, la criminalisation des dirigeants indigènes et des défenseurs des droits humains ainsi qu'une militarisation croissante des territoires indigènes». En conséquence, le Forum Permanent pour les Questions indigènes a demandé au gouvernement péruvien de suspendre immédiatement cet état de siège. Mais malgré les exhortations et les appels, malgré le caractère illégal des décrets législatifs, le gouvernement d'Alan Garcia et du pantin Yehude Simon [Premier ministre péruvien] a opté pour l'ethnocide. En effet, plus de 20 indigènes et 12 policiers sont morts dans le premier affrontement d'une déflagration annoncée, alors que 100 autres personnes ont été blessées, la plupart par balles, conséquence de l'action policière menée depuis des hélicoptères, ordonnée par le gouvernement en Amazonie. Ce crime prémédité par le gouvernement n'a aucune excuse, car en défiant les raisons légales données dans toutes les langues, Alan Garcia prétend justifier le massacre en désignant de «pseudo-dirigeants» en tant que représentants des peuples autochtones. Et, il ajoute que «tout éclatement de violence en Amazonie serait de leur responsabilité». Lorsque la répression sanguinaire dont il est responsable dans la jungle a été connue, Garcia Pérez a affirmé, avec le cynisme qui le caractérise, que les autochtones étaient poussés à la violence et utilisés comme «chair à canon» par les leaders de l'AIDESEP [Association interethnique de la forêt péruvienne, qui regroupe 1350 communautés, 65 groupes ethniques et 600’000 personnes], principal collectif indigène dirigé par Alberto Pizango, dans une tentative de «jouer à la révolution.» Et il a ajouté: «Tout incident qu'on aurait à déplorer relève absolument de la responsabilité des pseudo-dirigeants et des pseudo-autochtones qui poussent les personnes les plus humbles à accomplir des actes illégaux et violents.» Ces propos d'Alan Garcia prétendant justifier l'ethnocide sont tout à fait incongrus, incompréhensibles et inadmissibles, surtout quand on sait qu'ils sont prononcés par une autorité qui est censurée et rejetée par 90% des citoyens péruviens. Ils le sont d'autant plus, lorsque ses vociférations insinuent que des dirigeants et des habitants se seraient déguisés en autochtones, car comment comprendre autrement cette allusion à des «pseudo-autochtones»? En réalité, ces propos sont les élucubrations d'un pseudo-gouvernement. La crise liée à la grève régionale de l'Amazone dure depuis soixante jours. Elle s'est graduellement aggravée à cause des manœuvres dilatoires et inconsistantes du gouvernement et une table de négociations dirigée par un Premier Ministre aussi faible que Yehude Simon, et qui tente de tromper les dirigeants autochtones. L'attente patiente de solutions acceptables était déjà épuisée par ces manœuvres. Et la situation est devenue incontrôlable lorsqu’hier [7 juin|], en plein Congrès, le Premier Ministre a à nouveau ajourné le débat sur le décret 1090 Ley Forestal y de Fauna Silvestre, qui fait partie d'un paquet de dix lois attentatoires à l'habitat indigène et aux ressources naturelles du pays. Comment expliquer que la Commission chargée de l'étude des décrets législatifs relatifs au secteur agraire déclare inconstitutionnelle cette législation alors qu'un peu plus tard, grâce à une combine et en l'absence de tout débat, la majorité du Congrès a accepté de les remettre sur la table de «dialogue»? Or c'est effectivement ce qui s'est passé. Toute une série de décrets ont été déclarés illégaux parce qu'ils contournent l'ordonnance constitutionnelle. Ainsi entre dans cette catégorie: les décrets législatifs 997 ; la loi 1071 d'organisation et de fonctions du Ministère de l'Agriculture; celle 1081, qui crée le Système National de Ressources Hydriques; celle 1083, qui favorise l'utilisation efficiente et la conservation des ressources hydriques ; et celle 1035, dite Loi d'adéquation à l'accord sur les mesures en matière d'investissements en relation avec les dispositions de l'OMC (Organisation mondiale du commerce). Il en est allé de même avec les décrets législatifs 1059, la Loi Générale de Santé Agraire; 1060, qui régule le Système National d'innovation agraire; 1080, qui modifie la Loi N° 27262, la Loi générale sur les Semences; 995, qui modifie la norme de la relance de la Banque agraire; 1055, qui modifie la Loi N° 28611, la Loi générale d'Evaluation de l'Impact sur l'Environnement, etc. Les dirigeants et des milliers d'autochtones qui restent mobilisés contre ces décrets abusifs et illicites, qui piétinent leurs droits territoriaux et sociaux, arrachent leurs terres et leurs ressources naturelles et celles du pays tout entier ne sont ni des figurants ni des faux ou des pseudo-autochtones, comme le prétend Alan Garcia Perez, mais des hommes en chair et en os, des familles entières abusées par le centralisme institutionnel et la tentative d'usurpation. C'est parce qu'ils n'ont pas été entendus qu'ils ont fait recours à la grève et à la rébellion. C'est aussi la raison pour laquelle les peuples aborigènes ont dénoncé la campagne de discrédit et de persécution dont ils sont l'objet et qui est conçue par le gouvernement central. Nous nous trouvons donc devant un massacre sanglant d'habitants humbles et ethniques. Dans la législation internationale, cela s'appelle génocide. La crise qui sévit dans l'Amazone ne peut être résolue qu'en obligeant le protagoniste criminel, Alan Garcia Pérez, à démissionner et d'être jugé pour ce nouveau crime de lèse humanité. Le seul remède à cette crise, qui rend le pays ingouvernable, est d'appeler à l'insurrection populaire jusqu'à la paralysie nationale, jusqu'à ce que le génocidaire Alan Garcia Pérez démissionne et soit mis à la disposition des autorités judiciaires pour les tueries et les vols commis par son gouvernement. Il n'y a pas d'autre solution. Les peuples du Pérou et leurs organisations sociales, politiques et syndicales ont la parole. * Carlo Angulo Rivas est l'ex-directeur de l’hebdomadaire Marka entre 1984 et 1987. Ses activités en défense des droits sociaux et humains lui ont presque coûté la vie, En octobre 1987, il a subi un attentat de la part d'éléments du Ministère de l'Intérieur. Exilé au Canada à la fin de cette année, il a poursuivi sa lutte pour un monde plus juste et équitable. (Traduction A l’Encontre) (11 juin 2009) A l'encontre, case postale 120, 1000 Lausanne 20 Soutien: ccp 10-25669-5 |
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