Palestine
«Il y a urgence: nous sommes pressés, Interview de Stépane Hessel [1], par Pierrette Iselin Le jeudi 8 octobre 2009 a eu lieu à Lausanne, à l’initiative du Collectif Urgence Palestine Vaud (CUP-VD), la 1re Conférence en Suisse du Tribunal Russell pour la Palestine (PRP) en présence de Stéphane Hessel, membre fondateur du TRP, de Luc Recordon, membre du comité suisse d’appui au TRP [2] et de Martine Brousse, directrice de l’ONG «La voix de l’enfant». La soirée a rassemblée env. 250 participants. Interviewé à l’issue de la réunion par Pierrette Iselin du CUP-VD, Stéphane Hessel a livré son analyse. Qu’est-ce que le Tribunal Russell ? Son créateur est un grand philosophe et humaniste, Lord Bertram Russell, qui, lors de la guerre du Vietnam [3] avait réuni des juristes, des philosophes, des diplomates, afin de constituer un Tribunal civil destiné à stigmatiser les exactions commises par les Etats-Unis contre ce petit pays. C’était une mobilisation de la société civile internationale. Son siège est à Londres et il n’a jamais cessé d’exister. Aujourd’hui, un Sénateur belge, Pierre Galand, a jugé nécessaire de faire usage de ce Tribunal pour la Palestine, afin de dénoncer les crimes connus à l’égard du peuple palestinien, notamment à Gaza, par Israël, mais aussi la passivité de l’Union européenne et des Nations Unies, concernant les violations répétées des conventions internationales. Il est grand temps d’établir les responsabilités des uns et des autres dans ce conflit. Il faut donc réunir des témoignages irréfutables. Le Tribunal Russell pour la Palestine mobilise déjà un nombre significatif de personnalités internationales [4]. Une session importante est prévue en mars 2010 à Barcelone, visant en premier lieu les responsabilités de l’Union européenne. Combien de temps le Tribunal va-t-il siéger pour pouvoir arriver à un résultat ? Il y a urgence. L’horreur de ce qui se passe en Palestine dure depuis 1948. D’autres sessions devront examiner les responsabilités d’Israël, de la Palestine, des Nations Unies, des Etats-Unis, des Etats arabes et des multinationales. Une session de synthèse est prévue si possible dès 2011. Est-ce que vous pensez que le Tribunal Russel va renverser la vapeur ? Nous devons être modestes. Les obstacles à la paix se sont accumulés en quarante ans. Qu’a fait le Tribunal Russell pour le Vietnam et en Amérique du Sud ? Il s’est adressé aux citoyens, aux électeurs des gouvernements concernés. Ce sera difficile. Mais mon expérience personnelle, au fil des ans m’a convaincu que ne rien faire est la pire des solutions. Le TPR peut être un mobilisateur de l’opinion publique. C’est une force qui s’affronte à celle des intérêts particuliers, du monde de la propagande et du communautarisme, à celle des intérêts politiques spécifiques. Il n’est pas sûr que nous réussissions, mais il faut en tout cas essayer. Pensez-vous que la société civile pourra détourner les accusations d’antisémitisme qui lui sont constamment opposées, lorsqu’elle dénonce les exactions du gouvernement israélien ? Vous avez raison d’insister là-dessus. Dès que l’on dit qu’Israël devrait faire autre chose, on passe pour antisémite. Il faut que les Juifs du monde entier qui ne sont pas forcément liés au gouvernement d'un Etat mais qui sont conscients de l'honneur des Juifs dans le monde puissent faire connaître leurs critiques. Nous autres Juifs, nous avons un très long passé d'honorabilité. Il ne faut pas que nous acceptions cette situation, parce qu’un gouvernement constitué par certains des nôtres se présente devant la loi internationale d'une façon qui nous exaspère et qui nous rend malheureux. Donc, il y a moyen de faire valoir, face à la façon très lâche, dont les gouvernements successifs se sont comportés, une opinion mobilisée qui peut faire naître un peu plus de sens de l'honneur et un peu plus de sens de responsabilité vis-à-vis d'un peuple qui depuis 60 ans est privé du droit qui figure dans la charte des Nations Unies, c’est-à-dire le droit à un Etat. Vous avez vous-même été un résistant pendant la guerre. Est-ce que c’est ce parcours-là qui vous a encouragé à soutenir la résistance palestinienne ? Il faut se méfier des analogies historiques. Ce qui s’est passé pendant la deuxième guerre mondiale et ce qui se passe aujourd’hui, c’est une tout autre chose. Mais on peut dire que l'expérience d'avoir été en France sous occupation étrangère, nous rend naturellement solidaires d'un peuple qui lui aussi est occupé. Il est occupé par un Etat qui se veut démocratique mais qui jusqu’ici n'a pas cessé d’occuper, d’opprimer et de rendre la vie des Palestiniens impossible. L’ONU vient de rendre public le rapport Goldstone sur Gaza. Qu’en dites-vous ? Le nombre de tentatives pour rendre attentif Israël aux nombres de violations commises est impressionnant. Ne nous faisons donc pas d'illusions : mais le rapport Goldstone tombe à un moment important. Au début de cette année 2009 et la fin de l'année 2008, les Israéliens se sont livrés à des actions particulièrement meurtrières, des actions qu'on peut considérer comme des crimes de guerre, des crimes contre l'humanité. Le rapport Goldstone dit cela et il le démontre par des faits avérés. Goldstone est un procureur intelligent et indépendant, on peut lui faire confiance. Il a dit tout ce qu'il devait dire sur Israël et aussi sur le Hamas, donc c'est un rapport dont on ne peut pas contester l’objectivité. C'est une étape de plus pour démontrer qu'il faut vraiment mettre un terme à l'impunité des responsables [5]. Vous vous êtes rendu à Gaza avec Madame Hessel en juin dernier, qu’est-ce que vous avez constaté ? Nous avons pu passer deux jours à Gaza du 17 au 19 juin 2009. Nous avons pu assister à deux situations contradictoires: D’une part, des destructions épouvantables, des familles totalement décimées, des enfants, qui ont été visés et des femmes qui sont mortes, beaucoup d’habitants qui vivent sous des tentes, dans le dénuement le plus total, des camps aux intérieurs misérables et exigus où s’entassent des familles plus nombreuses en raison des démolitions, de l’absence d’électricité et d’eau potable, ce qui constitue un problème majeur. Mais la vie continue à Gaza, grâce à l’incroyable courage de sa population, bien que nul ne se sente à l’abri d’atteintes aériennes, terrestres ou maritimes. Gaza reste debout face à la mer. Avec des hommes et des femmes décidés à préserver leurs capacités artistiques, créatrices et humaines. Cependant, aucun projet de développement n’est sérieusement envisageable, tant que le blocus continue. C’est la première et la plus urgente des exigences que les démocraties doivent imposer. La survie d’un million et demi d’êtres humains en dépend. 1. Stéphane Hessel est un diplomate, ambassadeur, ancien résistant et déporté français, qui a notamment participé à la rédaction de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme de 1948. 2. Luc Recordon est avocat et Conseiller aux Etats du canton de Vaud 3. Le 13 novembre 1966, dans un discours d’introduction à la première réunion du Tribunal Russell sur le Vietnam, Lord Russell affirmait : “Pourquoi mène-t-on cette guerre au Vietnam? Et dans l’intérêt de qui ? Nous avons, j’en suis convaincu, le devoir d’étudier ces questions et de nous prononcer sur elles, après une enquête rigoureuse, car ce faisant nous pourrons aider l’humanité à comprendre pourquoi un petit peuple de paysans endure depuis plus de vingt ans les assauts de la plus grande puissance industrielle de la terre, dotée des moyens militaires les plus modernes et les plus cruels”. (Editions Gallimard, année 67) 4. L’organisation du TRP est sous la responsabilité de son Comité Organisateur International. Le TRP est parrainé par des centaines de personnalités, parmi lesquelles Ken Loach, Jean Ziegler, Eric Cantona, Noam Chomsky, Albert Jaccard, Naomi Klein, José Saramago, Leila Shahid etc. Pour plus d’informations voir sous www.russelltribunalonpalestine.org 5. Après avoir été renvoyé dans un premier temps par le Conseil des droits de l’homme en mars prochain, ce Conseil a finalement adopté le rapport Goldstone le 16 octobre 2009 par 25 voix pour, 6 voix contre (dont Israël et les Etats-Unis) et 11 abstentions alors que cinq pays dont la France et la Grande Bretagne boycottaient le scrutin. (21 octobre 2009) A l'encontre, case postale 120, 1000 Lausanne 20 Soutien: ccp 10-25669-5 |
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