Palestine

Ils devront payer pour le bain de sang dans la bande de Gaza

Gideon Levy *

Quand les canons se tairont finalement, le temps des questions et des enquêtes sera venu. Les nuages de fumée et de poussière se dissiperont dans le ciel noir de Gaza; la ferveur pour soutenir la guerre et l’acceptation formatée de la population seront à jamais oubliées. Alors, nous pourrions peut-être avoir une image claire de la bande de Gaza dans toute la réalité de la guerre qu’elle a subie. Ensuite, nous verrons l’étendue des tueries et des destructions, les cimetières surchargés et les hôpitaux débordés, les milliers de blessés et les handicapés physiques, les maisons détruites qui restent pour témoigner de cette guerre.

Les questions qui doivent être posées avec autant de précautions que possible sont de savoir qui est coupable et qui est responsable. La volonté exagérée du monde de pardonner à Israël est susceptible de se fissurer à ce moment-là. Les pilotes et les artilleurs, les équipes de tanks et les soldats de l’infanterie, les généraux et les milliers personnes engagées dans cette guerre chacun selon son empressement apprendront l’ampleur du mal et le caractère aveugle des frappes militaires. Ils n’auront peut-être pas à payer n’importe quel prix. Ils sont allés au combat, mais d’autres les ont envoyés.

Un examen public, moral et judiciaire sera appliqué à deux hommes (Olmert et Barak) et une femme (Livni) d’Etat israélien qui ont envoyé les Forces israéliennes en guerre contre une population impuissante, qui n’a même pas un endroit où se réfugier, dans la seule guerre peut-être dans l’histoire contre une bande de terre délimitée par une clôture.

Ehud Olmert, Ehud Barak et Tzipi Livni se tiendront dans le box des accusés. Le premier est déjà mis sous examen pénal et les deux autres sont candidats pour le poste de premier ministre.

Il serait inconcevable de ne pas leur demander de rendre compte du bain de sang à Gaza.

Olmert est le seul Premier ministre israélien qui a envoyé son armée en guerre par deux fois au cours de son bref mandat. L’homme qui a fait un certain nombre de déclarations courageuses sur la paix à la fin de son mandat a orchestré pas moins de deux guerres. Parler de paix et de guerre, le «modéré» et l’«éclairé» Premier ministre s’est révélé comme l’un de nos plus grands fauteurs de guerre. En comparaison de cela, ses délits de corruption («des enveloppes bourrées de billets» et les passe-droits «Rishon Tours»: voyages privés financés par cette agence de voyage) le feront apparaître blanc comme neige.

Barak, le chef du parti de la gauche (Parti travailliste) doit rendre compte des crimes des forces armées sous sa direction. Sa responsabilité est entière pour ce qui a trait aux bombardements et les tirs d’obus sur des lieux où la population est concentrée, aux centaines de morts et de blessés parmi les femmes et les enfants, aux nombreux tirs sur les équipes médicales, à l’utilisation des bombes au phosphore employées contre des zones civiles (voir article sur ce site de Sophie Shihab, 12 janvier 2009), au bombardement de l’école de l’ONU qui a servi de refuge à des résidents qui ont perdu leur sang jusqu’à en mourir et cela pendant des jours parce que les forces armées empêchaient leur évacuation en leur tirant dessus et en leur lançant des obus. Il doit porter la responsabilité même du siège imposé à Gaza pendant un an et demi et dont les implications sont effroyables dans la guerre d’aujourd’hui. Tout cela va compter comme crimes de guerre.

Livni, la ministre des Affaires étrangères et chef du parti centriste (Kadima), restera dans les mémoires comme celle qui a poussé et légitimé le silence sur tous ces événements. La femme qui a promis «une autre forme de politique» y est totalement impliquée. Cela ne doit pas être oublié.

Contrairement à ce qui a été affirmé, nous sommes autorisés à croire que ces trois dirigeants ne se sont pas lancés dans la guerre pour des considérations électorales. N’importe quel moment est bon en Israël pour faire la guerre. Nous avons engagé la précédente guerre, trois mois après les élections, non pas deux mois avant. Israël va-t-il les juger sévèrement à la lumière des images provenant de la bande de Gaza ? Peu probable. Barak et Livni sont effectivement en hausse dans les sondages. L’épreuve qui les attend n’est pas une affaire locale. Il est vrai que certains hommes d’État étrangers ont cyniquement applaudi aux bombardements israéliens. Il est vrai que les Etats-Unis ont gardé le silence, que l’Europe est restée muette, que l’Égypte a soutenu l’agression, mais d’autres voix vont se faire entendre une fois les crépitements du combat ayant pris fin.

Les premiers échos peuvent déjà être entendus. Ce week-end (10-11 janvier 2009), l’ONU et la Commission des droits de l’Homme à Genève ont demandé l’ouverture d’une enquête sur les crimes de guerre qui auraient été perpétrés par Israël. Dans un monde où les dirigeants bosniaques et leurs homologues du Rwanda ont déjà été mis en examen, une demande similaire est susceptible de porter sur les fauteurs de cette guerre. Les basketteurs israéliens ne seront pas les seuls à avoir honte dans les arènes sportives. Et les hauts dirigeants qui ont enclenché cette guerre ne seront pas les seuls contraints de se cacher dans les avions d’El Al de peur qu’ils ne soient arrêtés.

Cette fois, nos plus hauts responsables d’Etat, les membres du cabinet de guerre seront susceptibles de payer un prix personnel et national.

Je n’écris pas ces mots avec plaisir, mais avec tristesse et une profonde honte... en dépit de la tolérance internationale envers Israël, le monde pourrait voir les choses autrement cette fois-ci. Si nous continuons ainsi, peut-être qu’un jour un nouveau tribunal spécial sera créé à La Haye.

* Gideon Levy est un journaliste israélien connu. Il écrit régulièrement dans le quotidien Haaretz. Gideon Levy a écrit de très nombreux article sur la politique d’occupation des territoires palestiniens après 1967.

(15 janvier 2009)


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