Mexique «L’APPO et les formes traditionnelles de faire la politique» Entretien conduit par Hernan Ouvina
Flavio Sosa est l’un des membres de «la direction collective provisoire de l’Assemblée populaire des peuples d’Oaxaca» (APPO). Bien qu’il soit, dans les circonstances actuelles, une des figures les plus en vue de l’APPO, il insiste sur le fait que «notre mouvement est un mouvement de base et non de dirigeants». Ce qui suit est formé de quelques extraits d’un long entretien que nous avons conduit avec lui, et avec d’autres camarades, dans le campement de Santo Domingo, bastion de la résistance «communarde» d’Oaxaca. Question: Comment est née l’APPO ? Depuis l’époque pré-hispanique, il existe dans la région d’Oaxaca une grande tradition d’assemblées. Dans les communautés indigènes, l’assemblée populaire est l’autorité suprême. L’APPO naît en se voulant être l’assemblée des assemblées qui prend en compte les Zapotecos, les Mixtecos, les Mixes [Zapotèques, Mixtèques, Mixes, quelques-unes des différentes communautés indiennes du Mexique] et le reste des populations indigènes, y compris la population d’origine africaine. L’APPO apparaît comme la mise en œuvre d’une démocratie des différents peuples, communautés et organisations qui ont intérêt à participer au mouvement. Question: L’APPO est intégrée par 350 organisations ? Oui. Dans un premier temps y ont participé des organisations communautaires, de quartier, en passant par des syndicats, des fronts, jusqu’à des organisations de la société civile, y compris des associations professionnelles [professions dites libérales]. Pour cette raison, nous disons que l’APPO a différentes facettes. Du 10 au 12 novembre se tiendra notre premier congrès de fondation, afin de nous donner une structure organisée et plus solide pour ce qui a trait à une plate-forme définissant des principes. Dans un premier temps, l’APPO a été une réponse populaire face à l’agression contre les enseignants [le corps enseignant d’Oaxaca revendiquait une amélioration de ses conditions] et qui recherchait l’objectif commun de faire tomber Ulises Ruiz Ortiz [le gouverneur de l’Etat d’Oaxaca, membre du PRI]. Par la suite, l’idée s’est développée qu’il ne s’agissait pas de rechercher simplement la chute d’Ulises mais aussi de se diriger vers une transformation des conditions de vie que nous connaissons et d’établir les fondements d’une nouvelle relation société-gouvernement. Dans cette perspective, on a réalisé des expériences de débat multiples, très intéressantes, avec la participation y compris d’universitaires, d’intellectuels, de religieux et de membres d’autres organisations. Au cours de ces rencontres, on a débattu des réformes dont avait besoin Oaxaca et jusqu’où devait aller le type de gouvernement que nous voulions. Cela constitue comme une voie sur laquelle avance l’APPO. L’autre voie est celle de la lutte dans la rue qui finalement s’est transformée, au-delà d’un mouvement pacifiste, en un mouvement qui a montré sa capacité de répondre aux agressions dont nous avons souffert de la part de la Police fédérale préventive (PFP) [la PFP est intervenue dans la nuit du 27 au 28 octobre pour occuper Oaxaca]. Question: Pourquoi a-t-on changé le nom d’Assemblée populaire du peuple en Assemblée populaire des peuples (au pluriel) ? Cela fut fait au début du mois de septembre 2006. Nous avons le terme «les peuples» parce que se faisait jour une grande critique. Nous appelons assemblée populaire l’espace où s’organise la discussion dans la communauté. Où se débattent et se décident les affaires du peuple ? c’est dans l’assemblée populaire. Puis une réflexion s’est développée et nous avons décidé qu’il ne pouvait s’agir «du peuple», mais «des peuples», parce que nous sommes de nombreux peuples, de nombreuses ethnies. Nous avons des racines différentes et, dès lors, des caractéristiques différentes. Question: Comment est apparue la direction collective et quelles relations entretient-elle avec les bases ? La direction collective est le fruit d’une assemblée générale qui s’est tenue le 20 juin 2006. C’est une direction que nous qualifions de «collective provisoire». Maintenant, nous allons avoir un congrès où nous chercherons à donner à cette direction un caractère plus définitif. Nous viserons à établir une représentativité aussi bien des régions que des organisations les plus actives dans le mouvement, car il y a divers niveaux de participation. Il y a ceux qui y participent momentanément, puis se retirent un peu, puis participent à nouveau lorsqu’il y a des marches ou des campements. La participation diffère selon les engagements et les possibilités de chaque organisation. Il y a des organisations plus ancrées dans des régions déterminées, ce qui leur coûte un effort très important pour être présent de façon permanente dans la ville. L’Etat d’Oaxaca connaît une grande dispersion géographique de la population. Par exemple, pour arriver à la région de l’Istmo de Tehuantepec [cette région est une frange de terre étroite d’une centaine de mètres qui sépare le golfe du Mexique de l’océan Pacifique], nous devons voyager 10 à 12 heures. Il en va de même pour arriver à la Sierra. Pour cette raison, il ne peut y avoir des représentants dirigeants permanents [de ces régions] au niveau central. Nous avons fait de grands efforts. Mais pour l’instant la régionalisation de l’APPO n’est pas consolidée. Il faut que l’APPO atteigne toutes les communautés. C’est ce à quoi nous travaillons. Question: Que se passera-t-il avec l’APPO suite à son congrès de fondation ? Nous ne savons pas dans quelle direction cela ira. Parce que maintenant nous devons écouter ce que dit la base. Ce mouvement naît comme une réponse à une agression brutale. Mais, par la suite, cela commence à mettre tout en question: le sont les moyens de communication et divers d’entre eux en prennent plein la figure et font avec. Ce mouvement interroge les formes traditionnelles de faire la politique et revendique la mise en place de nouvelles formes de faire la politique. Il met en question les partis politiques et empêche qu’un parti politique le dirige. Il met en question y compris les dirigeants eux-mêmes et fait surgir une direction collective. Il met en question un mauvais gouvernement et se propose de l’écarter. Dès lors, il commence à devenir un mouvement anti-systémique qui alarme la classe politique. Les politiciens s’interrogent: «Comment est-il possible que la lutte dans la rue puisse mettre en question pratiquement le statu quo ante, la forme de faire la politique ?» Et si c’est les gens qui mettent en question les formes traditionnelles de faire la politique, nous pensons qu’il leur revient aussi d’inventer quelque chose de nouveau dans ce congrès. Question: Que peux-tu dire à propos du dialogue qui doit commencer ce lundi 6 novembre dans la cathédrale de la ville ? Dans un premier moment, nous pensions établir un espace de dialogue entre l’APPO et la société civile, parce que nous pensions qu’il fallait arrêter les agressions [de la police]. La PFP est arrivée et a commencé à fouiller les habitations et à arrêter divers dirigeants populaires dans quelques quartiers. C’est alors qu’est apparue l’idée d’un dialogue dans la cathédrale. On a discuté avec l’autorité ecclésiastique à Oaxaca et elle nous a posé une série de conditions. Au début, nous avons dit oui, bien que nous pensions qu’elles étaient excessives, mais nous étions conscients que la paix pour Oaxaca était une nécessité urgente. Puis, dans un second moment, après la bataille dans la cité universitaire [l’APPO s’était réfugiée à l’université et l’a défendue], notre position s’est modifiée étant donné que le rapport de force avait changé tout autant que le sentiment des gens. Y compris au niveau national, il y a eu un changement d’approche pour ce qui a trait à Oaxaca. Comme nous avons battu dans la lutte la PFP, il y a une situation politique qui, y compris, met en question l’existence même de la PFP. Cela nous positionne dans une situation très importante au plan de la lutte politique nationale. Bien que nous pensions que si la question de la paix est au mieux urgente, toutefois nous ne sommes plus autant sur la défensive et conditionnés. Pour cette raison, nous considérons que nous pouvons passer à l’offensive. Dans ce contexte intervient de plus la très grande marche que nous préparons pour ce dimanche 12 novembre. C’est dans cet échange de points de vue entre les divers organismes de la société civile, avec lesquels nous avions pensé dialoguer au début, qu’il nous demande que nous leur offrions l’opportunité de travailler dans le cadre d’un espace de dialogue qui commencera le lundi 6 novembre. Question: Quel est le but de la grande marche de ce dimanche ? Faire la démonstration de la force et du soutien populaire dont dispose le mouvement. De même, démontrer le rejet de la PFP et la recherche de solutions pacifiques au conflit. Question: Pensez-vous articuler votre lutte avec les autres grands mouvements qui existent au Mexique, comme le mouvement zapatiste ou celui de la résistance civile face à la fraude [mouvement dirigé par le candidat battu aux élections Lopez Obrador]. Il est triste de le dire, mais pour l’instant ce n’est pas une priorité, même si nous avons un engagement avec la transformation démocratique du pays. Nous allons voir de quelle façon nous allons le rendre effectif. A Oaxaca, le tissu social s’est déchiré d’une manière terrible: les gens ont perdu leur emploi, les enseignants ne donnent plus de cours, nous avons des problèmes dans les communautés indigènes, le secteur de la santé est paralysé. Nous devons le reconnaître. Nous faisons face à une situation d’urgence et nous devons d’abord résoudre la question locale. Mais en aucune manière nous ne nous préoccupons pas de la problématique nationale. De fait, nous considérons nécessaire de nous lier à L’Autre campagne [celle du front zapatiste] et à la Convention nationale démocratique [instaurée par Lopez Obrador] et diverses organisations qui participent au mouvement sont partie prenante de ces initiatives. Question: Les membres de l’APPO disent que sa caractéristique n’est pas d’être un mouvement de dirigeants mais des bases. A quoi faites-vous référence ? Celui qui te parle est l’une des figures les plus visibles de l’APPO. Supposons que je décide de passer un accord avec Ulises. Alors, on va me mettre de côté et le mouvement va continuer. Ici, je ne prends pas les décisions. Il me revient une responsabilité: parler avec la presse, et diffuser quelques positions, mais je n’ai pas de pouvoir de commandement dans l’APPO. Mes opinions quelquefois ont un succès dans les assemblées et quelquefois ils disent «ce monsieur est fou» et simplement ils ne me prennent pas en compte. Ce n’est pas un mouvement d’un parti. Au même titre, il ne peut exiger une discipline, parce que ce n’est pas une armée. Par exemple, hier, la «direction provisoire» a dû faire un travail très important pour obtenir un accord dans l’assemblée générale, bien qu’elle mît en avant une proposition de type consensuel ; cette proposition consistait à ce que l’on dégage les principales rues. On a tout juste réussi à obtenir cette décision. Mais, pour que cet accord puisse arriver jusqu’en bas, cela va exiger du boulot, bien que l’on ait expliqué aux camarades les avantages de la proposition. A l'encontre, case postale 120, 1000 Lausanne 20 Soutien: ccp 10-25669-5 |
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