Irak
L’Irak est dans une situation pire qu’il ne l’était avant la guerre
Seth Bornstein*
Nous publions ci-dessous un article, qui rapporte, d'un point de vue fort peu critique, les constats effectués par une agence gouvernementale américaine sur la situation en Irak. Sa lecture permet de mieux saisir le sens réel du terme "transfert de souveraineté" et de comprendre que, avec des explications diverses, républicains et démocrates (Bush et Kerry) envisagent une présence des Etats-Unis à long terme en Irak. Réd.
Dans une série de secteurs décisifs – l’électricité, le service judiciaire et l’ensemble des domaines liés à la sécurité – l’Irak que les Etats-Unis ont remis aux Irakiens le 28 juin est dans une situation pire que celle existant avant que la guerre ait commencé l’année dernière, selon les estimations du tout récent rapport de 105 pages publié par le General Accounting Office (GAO). Effectué par l’instrument d’investigation du Congrès, ce rapport offre un sombre jugement sur l'Irak après 14 mois d'occupation militaire états-unienne (le rapport peut être trouvé sur le site suivant: www.gao.gov/new.items/d04902r.pdf). Parmi les éléments mis en relief ont peut citer:
• Dans13 des 18 provinces irakiennes, l'électricité était fournie en moyenne un nombre d'heures inférieures à ce qui était le cas avant la guerre. Environ 20 millions d'Irakiens sur 26 millions vivent dans ces provinces.
• Seulement 13,7 milliards sur les 58 milliards de dollars promis à l'échelle internationale pour reconstruire l'Irak ont été dépensés, auxquels s'ajoutent 10 milliards qui doivent l'être à court terme. L'essentiel de cet argent a été utilisé pour assurer les opérations des ministères mis en place par les Américains.
• Le système judiciaire du pays est encore plus obstrué qu'il ne l'était avant la guerre et les juges sont souvent des cibles pour les tentatives d'assassinats.
• La nouvelle défense civile irakienne, la police et l'ensemble des unités de sécurité souffrent de désertions massives, sont mal entraînées et mal équipées.
• Le nombre de ce que la CPA [autorité provisoire dirigée par Paul Bremer] appelait des attaques significatives d'insurgés a crû de façon très rapide en passant de 411 en février 2004 à 1'169 en mai 2004.
Le rapport du GAO a été publié le même jour où des inspecteurs généraux de la CPA publiaient trois rapports mettant en relief les sérieuses difficultés de gestion de la CPA. Les rapports indiquaient que la CPA avait gaspillé des millions de dollars dans le Hilton de Koweït parce qu'elle ne disposait d'aucune réglementation pour savoir qui devait y résider; elle a aussi perdu le contrôle sur le nombre d'employés qu'elle avait en Irak et, enfin, elle ne surveillait pas les projets de reconstruction payés par des donneurs internationaux afin de s'assurer que ces projets n'étaient pas des doublons de ceux projeté par les Etats-Unis.
Aussi bien le rapport du GAO que les rapports sur la CPA soulignaient que cette dernière manquait de membres pour les tâches gargantuesques de reconstruction de l'Irak. Selon le rapport du GAO, il apparaît que la CPA aurait eu besoin de trois fois plus d'employés qu'elle n'en avait. Le rapport sur la CPA affirme que cette dernière croyait avoir à sa disposition 1'196 employés alors qu'elle était autorisée à en avoir 2'117. Mais l'inspecteur général affirme que les données de la CPA étaient si désorganisées qu'il était dans l'incapacité de vérifier le nombre réel d'employés.
Le rapporteur général, David Walker, du GAO, fait porter la responsabilité de nombreux problèmes en Irak aux attaques des insurgés: "L'environnement sécuritaire instable a provoqué un ralentissement de nos efforts de reconstruction et il est d'une importance vitale d'assurer une sécurité plus stable".
David Walker continue: "Il y a un nombre important de questions qu'il faut poser et auxquelles il faut répondre lorsque l'on veut faire face à la transition (vers la souveraineté)". "Beaucoup a été accompli, mais beaucoup reste à faire".
Le rapport du GAO est la première analyse gouvernementale américaine sur les conditions régnant en Irak à la fin de ce qui est nommé "l'occupation américaine". Il met en relief ce qu'il nomme "des défis clés qui vont affecter la transition politique" dans dix secteurs spécifiques.
Le GAO a donné un projet de ce rapport à différentes agences du gouvernement américain. Seul la CPA a émis un commentaire significatif. La CPA a déclaré que le rapport: "n'était pas suffisamment critique concernant l'effort de reconstruction du secteur judiciaire".
Peter W. Singer, un spécialiste universitaire des questions de sécurité auprès de la Brookings Institution, déclare: "La description faite [par le GAO] sur ce qui se passe, ne peut être un sujet de fierté, ni pour la CPA, ni pour l'administration Bush". Le GAO soulève un grand nombre de problèmes et pose un grand nombre de questions.
Un des principaux problèmes, souligne Singer, réside dans le fait que de la masse d'argent promis et alloué, peu a été dépensé. Le rapport du GAO montre que très peu de l'argent promis en provenance de fonds internationaux – la plupart desquels sont des prêts – a été dépensé ou alors la trace ne peut pas être trouvée. Les inspecteurs généraux de la CPA ont fait le même constat.
Singer affirme: "lorsque nous demandons pourquoi les choses n'ont pas été de la façon que nous espérions, la réponse, en partie, est la suivante: nous n'avons pas dépensé ce que nous avions en poche". Singer dit que les chiffres concernant l'électricité: "le feraient presque pleurer".
Steven Susens, porte-parole du Program Management Office, qui contrôle les accords passés pour la reconstruction de l'Irak reconnaît que beaucoup de régions de l'Irak ont moins d'heures d'électricité, maintenant, qu'elles n'en avaient avant la guerre. Toutefois, il affirme que le rapport du GAO, fondé sur des données vieilles d’un mois, sous-estime la production électrique actuelle. Il affirme que dans diverses régions la distribution d'électricité a été réduite parce que l'ancien système de distribution a été liquidé afin d'en reconstruire un nouveau.
Danielle Pletka, vice-présidente des études de politique étrangère et militaire auprès du conservateur Amercian Interprise Institute, affirme que d'autres questions sont plus importantes que la distribution d'électricité. Elle souligne que les Irakiens ne vivent plus dans la crainte de Saddam Hussein: "Il est préférable de vivre dans la nuit que de risquer que votre mère, votre père, votre frère, votre sœur, votre mari ou votre femme soit arrêté et ne réapparaisse plus" affirme Danielle Pletka.
Pletka déclare que selon le Pentagone, il y a une croissance du nombre d'abonnés au téléphone et aux services de distribution d'eau ainsi qu'une amélioration du système de santé et d'école en Irak.
Toutefois, le sénateur démocrate Joseph Biden, un leader du comité des relations extérieures du Sénat, qui a demandé le rapport du GAO, soutien que ce rapport met en lumière des problèmes majeurs. Il dit: "Alors que nous sommes entrain de transférer la souveraineté politique, nous n'avons pas transféré la capacité pratique de l'appliquer - c'est-à-dire la possibilité pour les Irakiens eux-mêmes d'assurer la sécurité, de défendre leurs frontières, de battre les insurgés, d'assurer les services de base, de mettre en place un gouvernement et de créer les fondements pour un progrès économique". Biden ajoute: "jusqu’à ce que les Irakiens puissent faire tout cela, il sera impossible pour nous de désengager notre responsabilité de l'Irak".
* Article écrit pour Knight Ridder Newspapers, 4 juillet 2004.