Guadeloupe L’ héritage colonialiste et esclavagiste Rosa Moussaoui * A la Martinique comme à la Guadeloupe, la mémoire des luttes des esclaves imprègne les consciences et les luttes sociales, dirigées contre la mainmise des descendants des colons sur l’économie. «Nous avons adopté la position verticale.» Parole de Guadeloupéens en lutte, en forme de clin d’œil à Césaire, qui se définissait comme un «Nègre vertical», émancipé de la position de l’esclave à l’échine courbée. Comment comprendre la référence à l’histoire esclavagiste, omniprésente dans le mouvement social qui secoue depuis un mois les Antilles ? C’est que cette histoire lourde, longtemps taboue, a forgé, dans ces îles les consciences, les mentalités et les rapports sociaux. «L’ancêtre africain, puis hindou, a été arraché à sa terre lointaine pour féconder de sa sueur et de son sang d’esclave le sol martiniquais. L’ancêtre européen a été le «conquistador» qui a marqué le pays de sa forte empreinte de domination (…). L’aujourd’hui martiniquais ne peut se comprendre pleinement sans plonger le regard dans ces deux siècles de colonisation qui ont précédé l’abolition de l’esclavage», écrit l’historien communiste Armand Nicolas dans son Histoire de la Martinique. L’histoire de l’esclavage a marqué ces îles au fer rouge. Au point que cent soixante et un ans après l’abolition, les descendants des colons blancs esclavagistes conservent une mainmise quasi-totale sur les économies de la Martinique et de la Guadeloupe, perpétuant des rapports de domination et d’exploitation hérités d’un autre âge. En contrepoint, et malgré le tabou que constitua longtemps son évocation, la mémoire des luttes des esclaves imprègne les consciences et les luttes sociales. «Cela fait 400 ans qu’ils vivent sur notre dos. Cela doit cesser, maintenant», résume Elie Domota, secrétaire général du syndicat UGTG, porte-parole du collectif «Lyannaj Kont Pwofitasyon» (Collectif contre l’exploitation outrancière) à l’origine de la grève générale guadeloupéenne. Emmurés dans un monde à part, au sommet d’une hiérarchie sociale qui maintient les Noirs au bas de l’échelle, les békés, qui détiennent le quasi-monopole du commerce, sont les principales cibles de la révolte contre les «profiteurs». «Les békés, pour eux, rien n’a changé. Ils se croient toujours en 1635. Comme patrons, lorsque nous les avons face à nous, ils nous méprisent et nous insultent. Ils vivent en autarcie, dans leur bulle, et nous, nous sommes là à travailler pour eux comme des bêtes de somme», explique Ludovic, agent de sécurité, syndicaliste UGTG. Cette aberration historique attise un douloureux sentiment d’injustice. Comme si quelque chose, dans cette histoire, n’avait pas été réparé, en dépit de la reconnaissance de l’esclavage comme crime contre l’humanité, en 2001. «L’histoire de l’esclavage et de la colonisation est fondamentale pour comprendre nos souffrances et nos révoltes. Beaucoup de choses ont été défaites en nous. Je n’en veux pas aux békés, mais 160 ans après l’abolition il faut sortir enfin de ce rapport de domination. Il est anormal que les descendants des esclavagistes trustent encore l’économie de nos pays», affirme la Martiniquaise Suzy Singa, metteur en scène, comédienne et musicienne. Au-delà du maintien de cette oligarchie, c’est le regard suspicieux de la plupart des Blancs sur les Noirs et le racisme hérité de la colonisation que dénoncent Martiniquais et Guadeloupéens. «Nous sommes descendants d’esclaves. Nos ancêtres ont construit ce pays et la France. Pour tout salaire, ils recevaient des coups de fouet. Il reste des traces de ce mental colonialiste, chez les békés comme chez de nombreux métropolitains blancs. C’est cela qui explique la discrimination raciale dont nous sommes victimes, sur le marché du travail mais aussi dans tous les domaines de la vie», estime Mylène, secrétaire médicale au chômage, habitant dans un quartier populaire à Pointe-à-Pitre. Ce climat, relèvent de nombreux acteurs du mouvement, a été alourdi ces dernières années par les envolées d’un président de la République prompt à fustiger «la repentance» ou à exalter les «aspects positifs» de la colonisation. «En parlant ainsi, Nicolas Sarkozy contribue à maintenir ce rapport de domination et à libérer la parole raciste. Ces discours-là, nous ne les supportons plus», confie Suzy Singa. Pour l’artiste, c’est le rapport même de la France à elle-même qui est en cause. «Je ne renie pas la part française qui est en moi. C’est l’histoire. Mais nous sommes différents. Que l’on nous laisse être ce que nous sommes, métissés, avec notre histoire. La France ne nous accepte pas comme tels. Ce pays a un lourd problème avec ses couleurs, avec la multitude qui la constitue.» * Cet article a été publié par le quotidien français L’Humanité. (23 février 2009) A l'encontre, case postale 120, 1000 Lausanne 20 Soutien: ccp 10-25669-5 |
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