Guadeloupe

«Il est inadmissible que l’on veuille de nouveau décider pour nous»

Elie Domota

L’annonce a été faite par le gouvernement français que les «Etats généraux» – qui avaient été annoncés en février – en Guadeloupe et Martinique devraient commencer en avril et, par étapes, se terminer en mai. Nous publions ci-dessous l’intervention d’Elie Domota sur la tenue de ces Etats Généraux.

Ces «Etats généraux» sont structurés autour de huit thèmes décidés par le gouvernement français. 1° La «gouvernance: évolutions institutionnelles et adaptation des administrations centrales». 2° «La rénovation du dialogue sociale et formation professionnelle». 3° «L’égalité des chances, la,promotion de la diversité et l’insertion des jeunes». 4° «L’identité, la culture et la mémoire». 5° «Les grands projets structurants et les conditions du développement durable». 6° «L’insertion de la Guadeloupe dans son environnement régional». 7° «La formation des prix, les circuits de distribution et le pouvoir d’achat». 8°«Les productions locales et les conditions d’un développement endogène».

Une partie importante des organisations composant le LKP (Collectif contre l’exploitation outrancière) a été ignorée par la convocation lancée par le gouvernement et transmise par le préfet. Ce qui indique une opération de division. Lors de sa dernière visite en Guadeloupe, Yves Jégo, le secrétaire d’Etat, affirmait que les élus étaient les seuls habilités à représenter vraiment la population ! Ce qui correspond à la conception d’un gouvernement selon lequel «le pouvoir n’est pas dans la rue», mais dans le cercle restreint de ceux et celles qui étaient coupés – pour ne pas dire opposés – au mouvement social historique qui a changé la Guadeloupe et les Guadeloupéens. Les «secrétariats» des divers ateliers – qui doivent traiter des thèmes susmentionnés – sont contrôlés par des services de l’Etat. C’est à cette opération de division et de diversion que répond Elie Domota, lors d’une assemblée tenue le 2 avril 2009. (Réd.)

«Bonswa pèp Gwadloup,

Nous sommes bien contents de nous retrouver, et surtout nous sommes bien contents que l’Etat et les patrons nous donnent l’occasion de nous retrouver. Car si nous sommes ici ce soir, c’est aussi parce qu’il y a aujourd’hui entre 44 et 45 grèves en cours en Guadeloupe. Nou pa konpwann-on? !

Nous revenons de 44 jours de mobilisations, la grève générale a été suspendue... et il y a 44 ou 45 entreprises en grève; et il y des grèves qui éclatent chaque jour !

Et c’est dans un tel contexte qu’ils ont dit et annoncé la semaine dernière qu’ils allaient faire des Etats-Généraux ! Et dès lors pas mal d’individus ont fait leur apparition; des gens qui n’ont jamais honte. Car à chaque fois que l’Etat français dit «A table !», eh ben il y a beaucoup qui courent s’asseoir.

Ils ignorent ce qu’il y a au menu, ils ne savent pas qui a cuit le repas, ils ignorent le nom des invités et des convives... mais ils sont là, assis à table.

Nous ne serons pas très long sur ce chapitre... nous n’avons pas encore pris de décision. Car c’est samedi matin [4 avril 2009] que le LKP se réunira pour prendre une décision et dire ce qu’on en pense de ces Etats-Généraux. Mais à titre personnel je tiens déjà à dire que je ne mange pas n’importe quel manger, même si j’ai faim; et que je ne m’assieds pas à table avec n’importe qui.

Car il faut bien comprendre ce qui se passe et ce qui est en jeu, camarades. Pendant 44 jours, le peuple de Guadeloupe a fait les Etats-Généraux: nous avons posé des questions, nou monté nou désann (nous avons longuement marché); le peuple de Guadeloupe a dit ce dont il a envie et besoin, ce dont il ne veut pas ! Et pourtant, misyé SARKOZY a tout bonnement décidé de faire faire ses Etats-Généraux et il nous a dit: «Voilà les thèmes que j’ai choisis pour vous ! La nouvelle gouvernance, les modifications statutaires, les évolutions administratives et patiti local et patata national... [1]

Puis on nous a dit: la formation des prix... Puis on nous a parlé de la rénovation du dialogue social... Ils ont donc inventé toute une série de choses pour nous et dit en substance:«Puisque vous protestez, voilà ce que nous allons faire !»

Et ils ont alors cherché en tout premier lieu à casser le LKP ! Comment ? !

L’UGTG (Union générale des travailleurs guadeloupéen), la CGTG (Confédération général des travailleurs de Guadeloupe), la CTU (Centrale des travailleurs unis), FO (Force ouvrière) et la CFDT (Confédération française des travailleurs) – cinq organisations syndicales membres du LKP – ont reçu une lettre du sous-préfet de Basse-Terre, M. Gautier, nous disant que le préfet SAMUEL en charge des Etats-Généraux nous invitait à une réunion le vendredi 20 mars à 14H00. Point ! L’UGTG a reçu cette convocation pour 14h00, FO en a reçu une pour 14h45, la CGTG pour 15h30... Enfin, toutes les 45 minutes, chaque organisation était reçue pour une «audition».

Ils ont fait la même chose avec les partis politiques: UMP, PS, GUSR (Guadeloupe unie, socialisme et réalités)

LKP et le peuple de Gwadloup ont posé des problèmes; mais ce qu’ils cherchent à faire aujourd’hui c’est de casser la légitimité du peuple et de casser la légitimité du LKP !

A réception de ce courrier, nous nous sommes dit qu’il y avait un sérieux problème. Comment ces messieurs pouvaient nous appeler à une rencontre et pas les autres ? Nous avons donc décidé de ne pas nous y rendre !

En ne nous voyant pas, SAMUEL et DESFORGES (actuel préfet de Guadeloupe) nous ont alors appelés. Nous lui avons dit qu’il y avait un problème: nous avons reçu un courrier nous convoquant à une réunion à 14H00. Point à la ligne. Nous n’allons pas à des réunions de la sorte ! Nous ne souffrons pas de réunonite !

Lorsque nous recevons un courrier nous invitant à une réunion, il faut pour que nous nous déplacions que nous sachions au moins qui a convoqué, sur quoi et pour quoi. Et nous avons dit à SAMUEL que si justement ils avaient un minimum de respect pour le peuple guadeloupéen, ils nous auraient adressé un véritable courrier nous disant qui il était (lui SAMUEL), qui l’accompagnait, qui l’avait missionné, dans quel cadre et pour faire quoi, et ce que c’est que les Etats-Généraux... ! De nous l’expliquer avant que nous ne venions à une réunion en petit comité ! ! !

Sa réponse a été de nous dire que oui; il était d’accord pour recevoir le LKP, mais que malheureusement il ne le pourrait pas car il s’en allait en Martinique avec Jégo ! Et qu’il allait demander au préfet (pourtant assis à ses côtés lors de l’échange téléphonique) de nous écrire et de nous recevoir si nous le souhaitions !

Le préfet nous a donc adressé un courrier samedi dernier (28 mars 2009), nous disant ce qu’étaient que les Etats-Généraux, qu’il y avait 8 thèmes, et nous indiquant qu’il était prêt à nous recevoir lorsque nous le souhaitions. Nous lui avons répondu que nous lui ferions connaître notre position la semaine prochaine... Puisque c’est samedi (le 4 avril) que nous analyserons la situation.

Mais en attendant, comment peut-on comprendre qu’après tant de problèmes soulevés par nous, qu’avec tous les problèmes qui se posent en Guadeloupe aujourd’hui, on puisse trouver des Guadeloupéens pour aller s’assoir dans des ateliers des Etats-Généraux et qui souhaitent faire des Etats-Généraux en 10 jours ! Car c’est exactement ce qu’ils font ! Ils ont prévu de se rassembler la semaine prochaine entre eux pour savoir ce qui se passe en Guadeloupe ! Puis la semaine du 13 avril, ils comptent dresser un état des lieux ! Ils comptent discuter entre eux et après, mòso SARKOZY sera là (le fier à bras de SARKOZY). Il viendra dans la semaine du 20 avril 2009 pour ouvrir officiellement les Etats-Généraux et pour faire des consultations publiques ! Et cela s’achèvera à la dernière semaine du mois de mai... puisque les élections européennes vont démarrer après.

Et lorsqu’il y a des élections européennes, il ne doit rien y avoir d’autre, puisqu’on est précisément en période électorale. Cà, nous le savons tous.

Cela signifie qu’en 10 jours (avec Pâques, 1er Mai, 8 Mai) ils vont faire les Etats-Généraux de la Guadeloupe: la plus grande consultation du peuple dans l’histoire de la Guadeloupe, qui n’a jamais encore eu lieu et qui décidera de l’avenir de ce peuple. En 10 JOURS ! Voilà ce qu’ils nous proposent ! ! !

Et bien évidemment, on entend deux ou trois venir nous dire: «Ah oui, c’est une chance historique ! Il faut la saisir ! Il ne faut pas que vous pratiquiez la politique de la chaise vide, sinon on dira de vous que vous n’êtes qu’une bande de voyous !»

Comme l’affirme aujourd’hui Patrick KARAM [délégué interministériel à l’égalité des chances des Français d'Outre-mer] qui a couillonné les Martiniquais, Guadeloupéens et Guyanais du temps où il était président du Collectif DOM. 

Aujourd’hui plus personne ne veut en entendre parler ni même le voir, même pas en photo ! Il a dit dans cette interview qu’il connaît l’UGTG et qu’effectivement, il avait eu l’occasion de venir à notre local. Mais nous lui disons de ne plus jamais y foutre les pieds ! Et que si jamais il s’aventurait à gravir les 48 marches qui conduisent à notre local, il aurait à les redescendre la tête en avant ! Car nous ne fréquentons ni les minables ni les dirigonflistes (opportunistes qui vont à la soupe – au riz) [2].

Tout cela pour dire qu’il suffit à l’Etat de sonner la cloche du repas pour trouver des gens qui vont s’asseoir là et qui nous disent: «Non, non, c’est une chance historique, il faut y venir !»

Toutes les décisions qui vont être arrêtées dans les Etats-Généraux sont déjà prises !

Camarades, il nous suffit de prendre un exemple. Il y a un chantier [atelier] dirigé par le président du Conseil Economique & Social Régional (CESR), Misyé Jocelyn JALTON (Président du Conseil Economique et Social Régional) ! Le nom de cet atelier est: «La rénovation du dialogue social et la formation professionnelle». Deux thèmes qui déjà ne vont pas du tout ensemble ! Mais c’est bien évidemment un traquenard. Car tout le monde sait que la formation professionnelle est une question pour laquelle se battent toutes les organisations, et particulièrement les organisations syndicales, membres du LKP... Mais comme ils veulent à tout prix nous enchaîner dans le dialogue social, ils ont fait le choix de nous inviter à parler de la formation professionnelle pour tenter de nous brècher (hameçonner). Utiliser donc le thème de la formation professionnelle comme appât pour faire avancer le dialogue social... Et, comme depuis quatre ans, ils nous proposent de créer une Association de Promotion du Dialogue social.

Ils veulent voir comment ils arrivent à casser les grèves ici; comme ils l’ont fait en Martinique, tout en sachant qu’il n’y a jamais eu autant de licenciements en Martinique que depuis la création de cette association... la deuxième chose qu’ils veulent mettre en place c’est un Institut régional du travail (IRT).

Et la troisième chose qu’ils entendent créer c’est, là aussi comme en Martinique, une Agence Régionale pour l’Amélioration des Conditions de Travail (ARACT) ... Ainsi en cas de problème dans une entreprise, pour les salariés, point besoin de faire grève, point besoin de syndicat: il suffirait de saisir l’ARACT, qui viendra faire une médiation dans l’entreprise. Plus besoin de syndicat, finissons-en avec cette culture syndicale et de la grève...

Voilà ce qu’ils veulent faire, voilà leur conception du Dialogue social ! C’est cela que cet atelier est chargé de prendre comme décision: a création d’un IRT, d’une APDS (Agence pour le développement social), et d’une ARACT !

Leur invitation aux syndicats, aux travailleurs et au peuple de Guadeloupe ne vise qu’à légitimer leurs décisions ! Afin qu’ils puissent dire: «vous étiez là !»

Et pour le cas où vous veniez à dire demain que vous n’êtes pas d’accord... Les conclusions écrites de leurs synthèses, ateliers et chantiers commenceront par la phrase suivante: «Les participants – noms des participants – ont décidé de...» ! Vous n’étiez peut-être pas d’accord, mais vous étiez bien là.

Voilà leur manière de fonctionner. Car bien, évidemment, ils nous prennent pour des couillons, car bien évidemment ils prennent les Guadeloupéens pour un peuple d’imbéciles ! Car ces gens-là fonctionnent selon le même principe que celui dicté par un de nos proverbes: Kon malpwop ki vwè térinn nèf ! (excités comme les malpropres à la vue d’une bassine neuve). C’est exactement ce qui se passe !

C’est pourquoi nous profitons pour lancer un appel à tous ces gens aussi afin de leur dire: Essayons de nous respecter un tant soit peu ! Essayons d’avoir au moins un minimum de respect envers les Guadeloupéens ! Cessons de nous précipiter toutes les fois où on nous donne à manger ! Cuisons nous-mêmes notre repas ! Aimons un peu notre pays ! Décidons ensemble de ce qu’il faut à notre pays ! Car il est inadmissible que l’on veuille de nouveau décider pour nous ! Car ce qu’il y a d’important c’est ce dont nous nous avons envie; et non pas ce dont les autres ont envie pour nous !

Et à ceux qui seraient tentés de dire qu’il y aura du désordre, nous tenons à les rassurer: il n’y aura jamais plus de bordel qu’il n’y en a eu hier et aujourd’hui, car ce pays il y a longtemps qu’il est en bordel ! Et c’est à nous précisément de le remettre bien !

Deux mots sur l’Accord Jacques BINO [accord du nom du syndicaliste qui a été tué]

Le jeudi 26 février dernier, un accord était signé par 6 organisations patronales. Cela représentait à peu près entre 17 et 20 mille salariés.

Camarades, depuis le 26 février, les camarades des différents syndicats – qu’il s’agisse de FO, de la CGTG, de l’UGTG, de la CTU, de la CFDT, CFTC, FSU... – s’activent sur le terrain des luttes sociales pour que les patrons signent l’accord Bino.

Et aujourd’hui, c’est plus de 25'000 salariés supplémentaires qui y ont droit ! Cela fait au total plus de 45'000 salariés concernés, bénéficiaires en Guadeloupe; et ceci, dans tous les secteurs d’activité: cliniques privées [l’accord a été signé dans ce secteur], sécurité privée, hôtellerie, grande distribution, banques, immobilier... Autant d’entreprises adhérentes du MEDEF [l’organisation patronale française, dont la section de Guadeloupe a refusé de signer l’accord] !

Ils ont signé car nous leur avons clairement signifié que s’ils ne signaient, les travailleurs resteraient en grève chez eux. Et que s’ils venaient à ouvrir malgré tout, avec la complicité de l’Etat et de ses manblos [gendarmes], aucun Guadeloupéen n’entrerait y acheter !

Et disons le haut et fort: aujourd’hui nous restons sur cette même position ! Nous resterons en grève totale et générale tant qu’ils n’auront pas tous signé l’Accord Jacques Bino ! Et nous leur disons tout aussi fort afin qu’ils puissent l’entendre jusqu’au ministère: demain, vendredi 3 avril 2009, ils réunissent à nouveau une commission sur l’extension de l’accord Bino. Camarades salariés, nous ne comptons pas sur leur extension ! C’est le MEDEF qui dicte à l’Etat sa politique et qui décide de ce que le gouvernement décidera. S’ils veulent faire l’extension, ils commenceront par retirer le préambule [3], car ils n’aiment pas lire ou entendre la vérité. Et ils enlèveront aussi l’article 5 portant la clause dite de convertibilité; afin que dans un an nous perdions 50 euros et 200 euros dans trois ans !

Cela signifie camarades que quelle que soit la décision qu’ils prendront demain, nous devons nous mettre en grève partout où ils n’appliquent pas l’Accord BINO !»

1.- Sarkozy avait annoncé la tenue des Etats-Généraux dans les colonies de Guadeloupe & Martinique; mais sans en préciser la date.

2.- Mot-valise tiré de de riz & gonfler

3.- La patronne du MEDEF, Laurence Parisot affirmait que le préambule de l’accord rendait sa signature impossible: « Le protocole d’accord énonce des principes qui sont contraires aux valeurs fondamentales de la République française et auxquelles nous ne pouvons souscrire d’aucune façon. On y lit que l’économie de la Guadeloupe serait une “économie de plantation”. Cela veut dire une économie esclavagiste» (Le Parisien, 9 mars 2009).

(5 avril 2009)


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