France

Grève des sans-papiers:
une lutte avec ses avancées et ses problèmes

Rédaction

Depuis des mois, diverses mobilisations de sans-papiers se sont développées en France. Une des mobilisations les plus visibles fut celle qui aboutit, le 27 mai 2010, à occuper l’esplanade devant l’Opéra-Bastille à Paris. La grève des travailleurs et travailleuses sans papiers avait commencé le 13 octobre 2009. Parmi les modalités d’action ressortait l’occupation de divers lieux, occupation d’entreprises, d’agences de travail temporaire, de chantiers. Partout, la police est intervenue et a expulsé les travailleurs et travailleuses sans papiers. Ainsi, le 27 mai était organisée une sorte de centralisation des occupations qualifiée de piquet des piquets de grève. Les marches de l’Opéra-Bastille, à Paris, étaient alors occupées. La revendication pouvait se résumer ainsi : exiger des «critères clairs» de régularisation. Le 3 juin, la police est intervenue pour déloger les travailleurs et travailleuses sans papiers grévistes, aussi bien des escaliers de l’Opéra-Bastille que des locaux de l’Organisation internationale de la francophonie, située dans le 7e arrondissement de la capitale française (voir sur ce site les articles en date du 4 juin, du 14 juin et du 20 juin).

Toutefois, la mobilisation, soutenue par 11 organisations syndicales et associations – parmi lesquelles la CGT, la CFDT, SUD Solidaires, la FSU ainsi que la Cimade, la Ligue des droits de l’Homme, Droits devant –, a continué et a choisi comme orientation de chercher l’appui de secteurs du patronat favorables à une régularisation des travailleurs. Peu parmi les patrons ont soutenu cette démarche.

Le 11 juin, une délégation a été reçue au Ministère de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du développement solidaire d’Eric Besson. Les grévistes exigeant des critères clairs étaient au nombre de 6250. La démarche s’inscrivait dans le dispositif de régularisation pour motif professionnel, tel que le ministre de l’Intérieur Brice Hortefeux l’avait envisagé dans l’article 40 de la loi de novembre 2007.

Le 18 juin, après réunion au Ministère de l’Immigration, la possibilité de régularisation est obtenue. Elle est conditionnelle. Les travailleurs immigrés «en situation irrégulière» devront disposer d’une promesse d’embauche et cela dans un secteur qui manifeste un besoin de main-d’œuvre. De plus, ils devront faire la preuve de 12 mois d’activité au cours des 18 derniers mois de présence en France. Pour celles et ceux engagés par des firmes de travail intérimaire, le délai est de 24 mois. Mais les firmes de travail temporaire doivent donner l’assurance de fournir un volume de travail équivalant à 12 mois sur la période des 18 mois prochains. Une condition particulière est faite aux «employés de maison» et aux travailleuses et travailleurs du secteur des «services à la personne» (en particulier, le soutien à des personnes du 4e âge). Parmi ces catégories – auxquelles il faut ajouter celle du nettoyage – il est possible de faire valoir des engagements d’embauche en provenance de plusieurs employeurs. Il est exigé que la promesse d’embauche doit être de 20 heures par semaine et doit s’accroître pour arriver au niveau du Smic. Le salaire minimum brut mensuel pour 35 heures aux alentours de 1850 francs suisses, au taux de change actuel euro / CHF.

La lutte a mené à une avancée. Toutefois les régularisations sont non seulement conditionnées, mais individuelles, liées à un dépôt de dossier qui ouvre le droit à une autorisation provisoire de travail de 3 mois. Pour l’heure, la durée de la validité de cet accord n’est pas claire. Il semble que les dossiers ne seront recevables que durant de la période allant du 1er juillet 2010 au 31 mars 2011. A cela s’ajoute le fait qu’il ne tient compte que de la durée liée à une activité salariée et non pas la durée de séjour en France. Toute la dimension du travail au noir, clandestin (très fréquent dans la sous-traitance qui s’élargit dans toutes les branches de l’économie), qui est le sort de très nombreux migrant·e·s est ainsi évacuée.

Une des responsables de la CGT, Francine Blanche, déclarait le 22 juin : «Le sujet maintenant, c’est de trouver les voies et moyens pour que les grévistes puissent reprendre le travail. Pour le moment, on ne lève pas les piquets de grève, il en reste 25 et c’est le seul endroit où les salarié·e·s sans papiers sont en sécurité tant qu’ils n’ont pas leur autorisation provisoire de séjour.»

Suite à presque 9 mois de lutte, dans un climat de crise socio-économique, il faut certes appréhender les limites de ce qui a été obtenu. Mais il ne faudrait pas sous-estimer une dimension importante : l’appui reçu, beaucoup plus large qu’initialement prévu, de la part de larges secteurs de la société à une lutte de migrant·e·s. Dans le climat politique et social actuel dans plus d’un pays d’Europe, cette lutte indique que des secteurs de ladite opinion publique peuvent être ralliés par des migrant·e·s. Leur situation et leur message se retrouvent dans les témoignages vidéo que l’on peut retrouver sur ce site (en date du 4 juin et du 20 juin).

(22 juin 2010)


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