France Les privilégié·e·s de la retraite Michaël Hajdenberg et Mathilde Mathieu * Raymond Soubie s'est oublié. L’architecte de la réforme des retraites n'a pas touché au système des pensions du Conseil économique et social et environnemental (CESE) où il a été nommé mardi 26 octobre 2010. Pierre Charon, la navigatrice Maud Fontenoy et tous les amis du président Sarkozy qui l'accompagneront peuvent dormir tranquilles: non seulement ils vont rejoindre une institution connue pour être une des meilleures planques de la République. Mais leur avenir est assuré. Car si les parlementaires les parlementaires ont fini par consentir à réviser leur régime de retraite, ils n'ont pas dit un mot de celui des membres du CESE, dont le régime est pourtant l'un des plus avantageux qui soit. Le fait que d'anciens ministres, députés mais aussi syndicalistes y siègent, expliquerait-il que le gouvernement les ait oubliés ? Il y a 1000 raisons de se retrouver un jour membre du CESE. On peut, comme Hervé Marseille, maire-conseiller général de Meudon, avoir laissé son siège d'administrateur de l'Epad (Établissement public pour l'aménagement de la région de la Défense) à Jean Sarkozy, fils de Nicolas Sarkozy. Ou alors, tel Yves Urieta, l'ancien maire socialiste de Pau, avoir rallié Nicolas Sarkozy pour faire obstacle à François Bayrou. On peut également, comme Pierre Charon, ancien conseiller du président, être nommé au CESE au titre du développement durable pour avoir pris particulièrement soin de la faune et la flore du château de Chambord. Ou encore, telles Danièle Dussaussois, avoir accepté de laisser son siège de conseiller général à Isabelle Balkany (proche de Sakozy) à Levallois-Perret. Bref. Outre leurs immenses mérites, tous ces futurs serviteurs du «dialogue entre les catégories socioprofessionnelles» au sein de cette assemblée consultative censée «suggérer les adaptations économiques ou sociales rendues nécessaires notamment par les techniques nouvelles», ont un point commun: les 233 toucheront 3768 euros brut mensuels pendant les cinq années qui viennent. Ou dix, voire quinze, si leur mandat est renouvelé, selon l'humeur et les besoins du prochain président. La Cour des comptes appelle à une «réforme de fond» du système Et après ? Il ne faudrait tout de même pas que la République oublie du jour au lendemain tous les sacrifices consentis: non seulement les réunions en section, une fois par semaine, mais aussi celles en Assemblée plénière (18 réunions en 2009). D'où, en récompense, un régime spécial de retraite, dès l'âge de 60 ans. Une pension additionnelle, bien sûr, puisque les ex-membres du CESE touchent déjà une retraite due à leur activité principale. Dans son Rapport annuel 2010, la Cour des comptes appelle donc à une «réforme de fond» du système de retraite du CESE. Elle juge «indispensable» que «soient reconsidérés les modalités et les paramètres de ce régime (âge de départ à la retraite et/ou montant des cotisations)» et souligne que la dépense pour 550 anciens conseillers, 228 pensions de reversion (pour les veufs et veuves des membres), et 11 pensions d'orphelin s'élève à près de 11 millions d'euros (avant le renouvellement de mercredi). Les dix plus fortes pensions vont de 7405 euros à 10'552 euros par trimestre. Seul problème: leur financement n'est pas assuré. En effet, pendant leur mandat, sur les 3768 euros brut de revenus mensuels, les membres du CESE acquittent une cotisation de 7,85% (contre 10,55% pour les fonctionnaires), soit 293 euros. Le règlement prévoit, sur un modèle proche de celui des députés, que les cinq premières années, l'affilié cotise double: 15,70 % (587 euros) au lieu de 7,85 %. Au bout d'un mandat de cinq ans, il valide donc dix annuités au lieu de cinq. Et touchera, à la retraite, environ 800 euros par mois; 1200 euros s'il fait deux mandats (contre une pension moyenne de 1122 euros pour les Françai·se·s). Vers un gouffre financier Grand seigneur, le CESE a accepté de voir le taux de reversion chuter à 50% alors que jusqu'en juillet 2009, il était équivalent à celui des parlementaires, soit 66,6%. En dépit de cet effort intense, la Cour des comptes n'a pas pu taire les difficultés financières qui attendent la Caisse de retraite. Le régime est en effet financé à seulement 14,52% par les bénéficiaires, ce qui le rend structurellement déficitaire: en 2008, les dépenses de la Caisse s'élevaient à 10 millions d'euros. Mais les cotisations des bénéficiaires n'ont fourni que 1,3 million d'euros. Les cotisations patronales versées par le CESE: 2,6 millions d'euros. 2,4 millions ont été pris de la poche du contribuable via une subvention de l'Etat. Enfin, environ 3 millions d'euros ont été prélevés sur le fonds de réserve de la Caisse. Comment faire alors pour sauver le système de retraite de ce Conseil dont Dominique-Jean Chertier, président du Conseil d'administration de Pôle Emploi, dans un Rapport rendu en janvier 2009 à Nicolas Sarkozy, jugeait qu'il travaillait «en vase clos», et à qui il reprochait d'être, «trop consensuel», de ne «pas refléter fidèlement la société contemporaine» et d'être «insuffisamment réactif»? Le président du CESE, Jacques Dermagne, qui sera très prochainement remplacé, a répondu à la Cour des comptes que «nombre de conseillers ont fait de réels sacrifices de leurs revenus professionnels durant et après leur mandat au CESE, en particulier les agriculteurs et les artisans». Dès 2008, selon lui, le CESE avait proposé une «solution»: que l'Etat rajoute un million d'euros pendant quatre ans au fonds de réserve, histoire de préserver le régime jusqu'en 2020. Tout simplement. * Journalistes pour le site Mediapart (29 octobre 2010) A l'encontre, case postale 120, 1000 Lausanne 20 Soutien: ccp 10-25669-5 |
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