Europe

Pour des salaires minimaux en Europe

Michel Husson *

Pourquoi pas un salaire minimum européen ? Dans un débat sur FR3, François Bayrou a balayé cette idée en disant qu’elle était irréalisable à cause des différences de salaires entre les différents pays. Grande découverte ! C’est à ce genre de remarques de bon sens que l’on mesure l’ignorance et l’absence d’imagination des européens «sociaux». La réponse à cette objection est tellement évidente que même Strauss-Kahn [ex-ministe des finances de Lionel Jospin, membre du PS français] en a eu l’idée en avançant l’année dernière le principe d’un «revenu minimum européen dont le niveau serait calculé dans chaque Etat membre en fonction du revenu moyen de cet Etat» (1).

Ce même principe pourrait être appliqué au salaire minimum et permettrait de résoudre la quadrature du cercle de l’harmonisation, en établissant une règle commune et en même temps adaptée à des réalités économiques certes très différenciées. Il donnerait un contenu concret à ce droit à une «rémunération décente» depuis longtemps énoncé, par exemple par la Convention n°131 de l’OIT, qui date de 1970. Dès 1961, l’article 4 de la Charte sociale européenne affirmait que «tous les travailleurs ont droit à une rémunération équitable leur assurant, ainsi qu'à leurs familles, un niveau de vie satisfaisant» (2). La Charte sociale de l’UE de 1989 (celle que Delors n’a pas réussi à incorporer au traité de Maastricht) stipule dans son titre 1er que tous les travailleurs doivent recevoir une «rémunération suffisante pour leur permettre d'avoir un niveau de vie décent», proportionnée aux données propres à chaque pays.

La Commission européenne elle-même invitait, dans un avis de 1993, les Etats membres à prendre des mesures appropriées permettant de garantir le droit à un salaire décent. La même année, le Parlement européen se prononçait lui aussi en faveur de mécanismes permettant de fixer des salaires minimaux légaux en fonction du salaire moyen de chaque pays.

Ce droit à un revenu décent a totalement disparu de la Charte des droits fondamentaux, et donc du projet de Traité constitutionnel, sous prétexte sans doute que les rémunérations ne font pas partie des compétences de l’Union. Cet «oubli» renvoie surtout à la clause «à l’exclusion de toute harmonisation» plusieurs fois rappelée. Il s’agit donc là d’un changement total de méthode, qui constitue un recul par rapport aux (bonnes) intentions formulées il y a une dizaine d’années. L’urgence est pourtant criante: en 2001, 15 % de la population de l’UE était menacée par la pauvreté, c'est-à-dire qu’elle vivait dans un ménage ayant un revenu disponible inférieur à 60 % du revenu médian du pays (3). Et c’est encore plus vrai avec l’entrée de nouveaux pays à bas revenus: l’indexation des salaires minimaux sur les revenus moyens est une mesure indispensable si l’on veut réellement freiner le «dumping social» et enclencher une harmonisation par le haut.

On peut imaginer un système articulé d’indexation, qui pourrait par exemple être formulé ainsi: un salaire minimum égal à 50 % du PIB par tête, et un revenu minimum égal à 75 % de ce salaire minimum. Un tel système renverserait la logique de la dégringolade libérale, où l’austérité salariale se répercute en cascade sur les bas salaires et sur les revenus sociaux. En outre, l’indexation au PIB par tête équivaut à une indexation sur la productivité qui garantirait la progression des bas revenus et pousserait vers le haut l’ensemble des salaires, ce qui, soit dit en passant, soutiendrait la demande et l’emploi. Ce principe général pourrait évidemment être appliqué selon des modalités diversifiées, combinant un salaire minimum légal interprofessionnel et des minima conventionnels de branche.

C’est sur ce type de propositions que réfléchissent depuis longtemps les Marches européennes (4). Plus récemment, un réseau de chercheurs allemands, français et suisses, proches du mouvement syndical, ont élaboré des «thèses pour une politique européenne des salaires minimaux» (5). Ces contributions montrent que le problème ne réside pas dans la prétendue absence d’alternatives mais renvoie plutôt à certaine tentative de les rendre anti-constitutionnelles.

1. Construire l’Europe politique. 50 propositions pour l’Europe de demain. http://www.gauche-en-europe.org/doc_lib_agee/construireleuropepolitique.pdf
2. http://ecocritique.free.fr/chaturin.pdf
3. «Pauvreté et exclusion sociale dans l’UE», Eurostat, Statistiques en bref n°16, 2004 http://hussonet.free.fr/europauv.pdf
4. http://www.euromarches.org/francais/04/0319_5h.htm
5. http://hussonet.free.fr/thesemin.pdf

* Michel Husson, membre de la Fondation Copernic a publié cet article dans Politis (5 mai 2005)