Union européenne (UE)
La directive des travaux forcés: 65 heures hebdomadaires !
Jean-Marie Harribey *
Les «avancées sociales» de l’Union européenne sont invoquées par la social-démocratie helvétique comme le paradis l’est par un pécheur récidiviste, absous grâce à la confession. Autant dire que la social-démocratie plane dans «les cieux», qui sont fort éloignés de la vie quotidienne des salarié.e.s.
Les ex-staliniens helvétiques, qui cherchent à camoufler leur péché originel, sont, eux, tout simplement ignorants des lignes de force sociales et économiques qui structurent l’avenir du capitalisme européen. Il est vrai que pour des élections communales dans le canton de Vaud – avec l’espoir de faire un 10% à 12% grâce à une alliance à tout casser – l’horizon doit être cadré par le Jorat, la Venoge et le château de Chillon.
Pendant ce temps (perdu par la gauche et la gauche toute à gauche), l’imbrication entre les directives européennes et les accords bilatéraux (entre autres le «paquet» soumis au vote le 25 septembre) entre la Suisse et l’UE se fait toujours plus évidente. C’est le gende d’évidences qu’il est difficile de reconnaître. Car le risque que le château de cartes biseautées s’écroule est grand. L’article publié ci-dessous s’ajoute aux nombreuses contributions que les lectrices et lecteurs trouveront sur ce site. – Réd.
Le débat sur le traité constitutionnel européen [la nouvelle Constitution] se déroule parallèlement à celui sur certaines directives adoptées ou projetées par la Commission européenne qui, s’il en était besoin, éclairent crûment le sens à peine caché du dit traité.
Ainsi, la directive Bolkestein a inventé le principe du pays d’origine (PPO) permettant à un prestataire de services de s’établir dans un pays avec une législation sociale faible, puis d’aller faire travailler ses salariés sous le régime de celle-ci. Mais ce n’est pas tout.
La Commission envisage de modifier la directive concernant le temps de travail. Celle en vigueur date de 1993 (93/104/CE), complétée en 2003 (2003/88/CE). Elle fixe la durée hebdomadaire maximale de travail à 48 heures, y compris les heures supplémentaires (art. 6). Elle «ne porte pas atteinte à la faculté des Etats membres» d’accorder des dispositions plus favorables à la sécurité et à la santé des travailleurs (art. 15). Et elle fixe la période de référence pour le calcul de la durée moyenne de travail hebdomadaire à un maximum de quatre mois (art. 16).
Cependant, il est permis de déroger à ce maximum de 48 heures si l’employeur obtient l’accord du travailleur (art. 22). Cette possibilité de dérogation connue sous le nom de «opt-out» [de l’anglais: possibilité de ne pas opter pour une règle, une directive] a servi de banc d’essai.
En effet, la Commission (2004/0209 COD) propose de réviser cette directive de fond en comble.
D’abord, la durée hebdomadaire maximale serait portée à 65 heures, une fois obtenu l’accord écrit du travailleur, sauf convention collective différente, sans que l’on sache si la possibilité d’aller encore au-delà est interdite ou non (art. 22 modifié).
Ensuite, la période de référence resterait fixée à quatre mois, mais chaque Etat pourrait la porter à douze (art. 16 modifié).
Enfin, le projet de directive introduit deux notions nouvelles pour redéfinir complètement le temps de travail (art. 2 modifié). La première est celle du «temps de garde: période pendant laquelle le travailleur a l’obligation d’être disponible sur son lieu de travail afin d’intervenir, à la demande de son employeur, pour exercer son activité ou ses fonctions». La seconde est celle de «période inactive du temps de garde: période pendant laquelle le travailleur est de garde, mais n’est pas appelé par son employeur à exercer son activité ou ses fonctions». La période inactive du temps de garde ne sera alors pas considérée comme du temps de travail (art. 2 bis modifié).
Le texte du projet de directive est dépourvu de toute ambiguïté: le cap est mis sur le pôle libéral. Mais il est intéressant de lire l’exposé des motifs. Après un laïus qui ne mange pas de pain sur le «niveau élevé de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs», la Commission indique qu’il faut «donner aux entreprises et aux Etats membres une plus grande flexibilité dans la gestion du temps de travail».
Benoîtement, elle fait état que «sur le contenu d’une telle proposition, les avis sont partagés», mais donne raison aux représentants patronaux (UNICE – Union of Industrial and Employers’ Confederations and Employers] face aux syndicats [CES - Confédération européenne des syndicats, pourtant sous l’ombre portée de la Commission européenne] tant sur la durée, sur la période de référence que sur la définition du temps de travail.
Si de telles dispositions étaient arrêtées, comment ne pas voir qu’elles colleraient parfaitement au traité constitutionnel ? Celui-ci ne conçoit des droits sociaux qu’«en tenant compte de la nécessité de maintenir la compétitivité de l’Union» (art. III-209).
La main-d’œuvre doit «s’adapter» à l’économie (art. III-203). Le plein-emploi est subordonné au respect de l’orthodoxie monétaire et budgétaire (art. III-179). Toute harmonisation sociale, sous-entendu par le haut, est exclue (art. III-210). Le droit du travail, notion absente du traité, laisse la place au «droit de travailler» et à la «liberté de chercher un emploi» (art. II-75). Et, pour couronner le tout, le droit de grève est reconnu aux salariés (on ne peut faire moins) et... aux employeurs (art. II-88).
La liberté des capitaux et des marchandises est mise sur le même plan que celle des humains (art. I-4). Non seulement le traité entérine les politiques libérales menées depuis 50 ans et, tout particulièrement, celles qui font de l’Europe une pièce maîtresse de la mondialisation capitaliste, non seulement il entend les pérenniser en leur donnant une légitimité que leur conférerait une Constitution, mais il est accompagné de directives qui organisent la désagrégation progressive du droit du travail partout où celui-ci existe et son interdiction partout où il n’existe pas.
Le patronat européen a déjà pris les devants pour rallonger le temps de travail pendant que les profits font des bonds extravagants. Et il est donc logique que, pour que cela dure, il faille organiser les travaux forcés (à perpétuité, puisque l’âge de la retraite est partout repoussé).
Travailleurs, travaillez ! Sans rechigner. Et vous pourrez consommer. En silence. Alors, le traité et les directives ? Non, merci .
Mars 2005
* Jean-Marie Harribey est professeur d’économie à Bordeaux et membre du Conseil scientifique d’attac