Union européenne
Directive «Bolkestein»: le précédent de la «directive portuaire»
Jean-Jacques Chavigné et Gérard Filoche
Le recul de la Commission européenne sur la directive Bolkestein est un simple recul temporaire, tactique, pour essayer de faire gagner le «oui» au référendum français du 29 mai 2005. La Commission aura ensuite tout le temps de faire adopter l’entièreté de cette directive. Le précédent de la directive portuaire doit nous servir de leçon: elle indique clairement ce qui nous attend en cas de victoire du «Oui».
«La directive sur les ports reste à quai» avait pu titrer Libération après le désaveu, en novembre 2003, de la Commissaire européenne aux transports, Loyola de Palacio [Etat espagnol, membre de la direction du Parti Populaire d’Aznar depuis 1988, vice-présidente de la CE, siège à la Commission, alors sous la direction de Romano Prodi, de 1999–2004], par le Parlement européen.
Le Parlement européen avait, en effet, refusé d’adopter son projet de libéralisation des services portuaires. Ce projet avait pourtant déjà été adopté par le Conseil des ministres. Il prévoyait d‘ouvrir à la concurrence les services portuaires (manutention, pilotage, remorquage, amarrage…). C’était dans le domaine portuaire, l’application avant la lettre de la «directive Bolkestein» puisque cette directive permettait d’organiser la concurrence entre les salariés de l’Union Européenne en utilisant une main-d’œuvre sous qualifiée à bord des navires ou embauchée par des agences d’intérim à quai.
Le rejet de cette directive par le Parlement européen ne devait rien au hasard, mais tout à la lutte des dockers et des agents portuaires dans toute l’Europe. Selon le quotidien Libération du 10 mars 2003, à Marseille la grève avait été suivie par les 1200 dockers et 80% des agents portuaires. Au Havre, 90 % des 1 500 agents du port autonome et les 1 700 dockers avaient arrêté le travail. Les ports de La Rochelle et de Bordeaux étaient également bloqués. En Allemagne, la grève touchait les ports de Hambourg (1100 dockers), Brême, Bremerhaven, Emdem et Nordenham. La grève entraînait la fermeture des ports finlandais pendant 48 heures. En Belgique, les ports de Zeebrugge, d’Ostende, de Gand et d’Anvers étaient également touchés par la grève alors que 2000 dockers manifestaient à Bruxelles. Cette «eurogrève» avait été organisée par l’International Docks Workers (auquel adhère en France, la CGT) et l’European Transport Federation (à laquelle adhèrent la CFDT et FO). Lundi 10 mars 2003, plus de 3 000 dockers venus de ports français, belges, espagnols et hollandais avaient manifesté à Strasbourg alors que le Parlement européen débattait de cette directive. Les dockers s’étaient, à plusieurs reprises, opposés aux forces de police. Le 20 novembre 2003, le Parlement avait fini par renoncer à adopter cette directive, désavouant à la fois la Commission et le Conseil des ministres.
Mais avant la fin de son mandat, la même Commissaire aux transports, Loyola de Palacio, proposait l’adoption d’une nouvelle directive «portuaire» qui n’était que la reprise, à peine modifiée, de l’ancienne. Le nouveau Parlement européen est beaucoup plus à droite que le précédent: Loyola de Palacio compte sur lui pour obtenir sa revanche. Cette directive est toujours à l’ordre du jour de la nouvelle Commission en place depuis quelques mois. L’actuel commissaire aux Affaires Maritimes est, d’ailleurs, le représentant de Malte, pays tristement connu pour son pavillon de complaisance. La directive «portuaire» sera donc de nouveau soumise au vote du Parlement européen.
Ce qui arrive à la directive portuaire indique très clairement ce qu’il adviendra de la directive «Bolkestein». D’autant que cette directive n’a, contrairement à la directive «portuaire», fait l’objet d’aucun rejet du Parlement européen. Elle n’a fait l’objet que de quelques bonnes paroles … accompagnées d’une déclaration officielle qui ne retire rien, et d’une mise au point de Jean-Claude Juncker, président en exercice qui déclare «la directive ne sera pas retirée» (AFP). Si le «Oui» l’emporte, le 29 mai prochain en France, la Commission attendra - peut-être - quelques mois, puis reprendra à son compte la totalité de la directive. De toute façon, ce sera la Présidence britannique, dès le 1er juillet 2005, qui «animera» l’UE et Tony Blair y est favorable! Non seulement le projet de Constitution ne s’y oppose pas, mais il contient les articles clefs contre «toute entrave à la liberté d’établissement» qui fondent juridiquement Bolkestein.
Voter «Non» au référendum est donc le seul levier qui existe pour empêcher le Conseil et le Parlement européen d’adopter la directive «Bolkestein».
Ce vote créerait, en effet, le rapport de force permettant de renégocier une Constitution qui rende anticonstitutionnelle toute directive «Bolkestein» ou assimilée.
Cela signifie que la Constitution européenne modifiée devrait inclure:
1° La reconnaissance explicite et précis de vrais services publics et de leur droit à l’existence, indépendamment de la «concurrence libre et non faussée».
2° La reconnaissance du droit de chaque Etat à protéger son environnement, la sécurité de ses salariés et de sa population, sans que ce droit soit considéré comme une discrimination à l’égard des autres Etats de l’Union européenne.
3° La reconnaissance du droit pour chaque Etat d’imposer, en toutes circonstances sur son territoire, l’application de son droit du travail et de ses conventions collectives, sous le contrôle de son Inspection du Travail.
4° La levée de l’interdiction de l’harmonisation des législations sociales et fiscales, expressément prévues par l’actuel projet de Constitution.
Sans ces modifications de la Constitution, nous n’aurions aucune garantie de ne pas voir resurgir, à un moment ou un autre, la directive «Bolkestein» ou son double.
S’ils se refusaient à apporter ces modifications, les dirigeants européens prendraient alors, délibérément, le risque d’un nouveau «Non» à un nouveau référendum français.
24 mars 2005