France
Et si les femmes votaient non ?
Michèle Dessenne
Nous publions ici un texte de Michèle Dessenne du Collectif français Les Pénélopes.
La vague médiatico-autoritaire du OUI, conduite par Chirac et Hollande (PS) utilise un argument: OUI pour éviter le chaos en Europe, un peu le même chantage qu'en Suisse avec «l'effet guillotine» qui créerait une prétendue catastrophe économique en Suisse. Face à cette démagogie, Michèle Desenne met en relief ce qu'est l'Union européenne (UE) réellement existante du point de vue du statut des femmes, au plan social comme du travail.
De plus, elle pose une question: qu'en sera-t-il du débat démocratique? Une question qui pourrait être posée en Suisse, où, tous les jours, le patronat et ses organisations font des dépenses publicitaires équivallant à des centaines de milliers de francs dans la presse pour des accords qui – selon les sommets syndicaux– seraient favorables aux salarié·e·s... Ces derniers, en Suisse, ne disposent même pas des droits sur la place de travail qui existent dans l'essentiel des pays de l'UE, avant son élargissement à 25.
Décidemment, en France, la pensée critique existe, alors qu'en Suisse le «consensus» l'a étouffée... sauf à l'occasion de quelques batailles électorales cantonales pour un poste ou un autre. Ces postes dont ceux qui dirigent la Suisse se moquent. En effet, ils savent que ce «pouvoir» en miettes ne pèse pas plus qu'un bout de coton dans le plateau sur lesquels se mesurent les vrais décisions stratégiques de la dite économie suisse, plus exactement celles prises par le pouvoir de plus en plus concentré de quelques grands groupes économiques. Réd.
Et si les femmes votaient NON ?
Non, au traité constitutionnel européen pour lequel un référendum sera organisé en France en mai, à la date qui conviendra à Monsieur Chirac. Le plus tôt possible sans doute, car plus le temps passe, plus le risque est grand que les Français-e-s lisent le texte et se prononcent contre ! Comme d'habitude, ce n'est pas à pattes de velours qu'il y va le président de la République. Lors de sa traditionnelle visite au salon de l'agriculture, le 26 février, il annonçait clairement la couleur: pour lui voter non «serait une connerie» ! Bravo pour le débat démocratique (voir à ce propos sur le site le Communiqué signé par de nombreuses organisations réclamant l'équité d'expression dans les médias).
Et pourtant, Monsieur Chirac, les femmes ont réellement de quoi voter con , je veux dire de quoi voter non: 448 raisons comme le nombre des articles de cette pseudo Constitution qui mêle déclarations d'intention et programme politique et économique, 100% libéral. Le fil rouge est lumineux: «la concurrence libre et non faussée» (article I-3). A partir de là, se déroule tranquillement une véritable machine de guerre anti-sociale. Ah ! Je sens que vous attendez des preuves, des arguments fondés. En voilà quelques-uns.
Tandis que la Constitution française affirme le droit au travail, l'européenne la remplace par le droit de travailler. Tandis qu'existent en France des services publics, déjà durement attaqués, la Constitution ne parle que de services d'interêt général. Elle prévoit, en outre dans de multiples articles (exemple III-167) que l'intervention des Etats ne peut fausser la concurrence en accordant des aides au financement de production de biens ou de services ! On se croirait à l'OMC (organisation mondiale du commerce). Tiens, cela concernerait-il les crèches, les centres de loisirs, la santé, la protection sociale, les transports, voire l'école, l'université, l'économie solidaire ? Pas de problème: les articles III-184 et 194 ont tout prévu. Les dépenses publiques doivent être réduites. Tandis que le texte mentionne 78 fois le mot marché, pas une seule fois le mot chômage n'est cité, alors qu'il caracole à 10% en moyenne en Europe et touche en particulier les femmes ! A la trappe également la reconnaissance du SMIC, les droits à un revenu minimum, au logement, à une pension de retraite, aux allocations de chômage. Ne lâchez pas, continuez de lire: la Charte des droits fondamentaux (qui accompagne la Constitution) oublie carrément les droits fondamentaux des femmes ! Certes, figurent les droits à la vie, au mariage et à fonder une famille, mais pas au divorce, à la contraception et à l'avortement. Manquent également l'interdiction de la traite des personnes à des fins de prostitution et le droit à vivre sans violence. L'article I-52, lui, reconnaît les églises et les organisations religieuses comme interlocutrices régulières. Pof, pof, la laïcité ! Comment, vous y voyez malice ? Un rapport de cause à effet ? Le Vatican, la Pologne, Malte (où le divorce est interdit), l'Irlande ?
Oh, j'entends déjà les arguments des tenants du oui, en particulier du Parti Socialiste, qui prétendent nous rassurer. Pas de panique, Mesdames, le droit français, en ces domaines, continuera de s'appliquer pour vous. Mesdames, ce serait tellement toquard, ringard, voire souverainiste de dire non à cette belle avancée, à cette idée généreuse qu'est l'Europe. Attendez deux minutes, là, les socialistes. C'est quoi une Constitution européenne qui oublie les Européennes ? Ces millions de femmes qui revendiquent le droit de divorcer, de choisir le moment de la naissance de leurs enfants, d'avorter si elles veulent ? Des femmes qu'on renvoie aux pressions des églises et du conservatisme des gouvernements qui les administrent ? Elle est où, la belle idée généreuse, il est où le progrès ? Pourtant, dans d'autres domaines, les directives européennes n'ont pas manqué de s'appliquer au nom, soit disant, de l'égalité hommes/femmes, comme la levée, en France, de l'interdiction du travail de nuit pour les femmes. Ah, quand il s'agit de l'économie libre et non faussée et des intérêts financiers, pas d'hésitation: application générale. Mais, pour l'émancipation des femmes, question secondaire, que chacun-e se débrouille. On verra plus tard. En Pologne, 60% de la population est favorable à l'avortement. Le gouvernement, en pleine connivence avec le Pape, refuse. Donc, le traité constitutionnel européen n'y peut rien.
Alors, à quoi sert-il, si ce n'est à organiser un immense marché libre où pourront se délocaliser (droit reconnu dans le texte) les entreprises multinationales, pour s'implanter là où le droit social, les salaires sont au rabais, la protection sociale balbutiante, les pensions de retraite inexistantes ? Qu'on pense aux femmes ouvrières dans le textile et l'électronique, dans des plateformes d'appel, qui subissent depuis ces dernières années des licenciements à tour de bras et survivent avec le RMI.
Enfin, il faut le dire, le rappeler, le marteler: toute modification du traité constitutionnel ne pourra se faire qu'avec l'unanimité des 25 pays composant l'Union. Autant dire que, comme l'annonçait fièrement Valery Giscard d'Estaing, qui se prend pour le père spirituel du texte, la durée de vie de la Constitution est a minima de 50 ans !
Alors, oui, nous avons 448 raisons et bien plus, de voter NON maintenant, lors du référendum.
Au nom des luttes féministes qui nous ont permis de conquérir des droits,
Au nom de la solidarité entre toutes les femmes d'Europe,
Au nom de la laïcité,
Au nom de l'égalité entre les peuples,
Pour nous donner les moyens de penser et de construire une Europe sociale et solidaire.
Si les femmes disent non en France, elles ouvriront un champ nouveau de résistances et d'alternatives sociales pour toutes les Européennes.
Elles démontreront que rien ne peut se décider sans elles, ou à leur place.
Cette fois-ci, le combat des femmes passe aussi par les urnes ! Ne soyons pas les grandes absentionnistes de ce scrutin. Militons pour le non.
Communiqué. Pour une information honnête pendant la campagne du référendum
Le président de la République et le gouvernement cherchent à réduire au minimum la campagne du référendum en avançant sa date. Ils le font en avouant ouvertement qu'il s'agit d'une manoeuvre anti-démocratique destinée à empêcher un débat qui profite au "non".
Alors que personne ne peut nier la progression du "non" dans l'opinion ni exclure qu'il devienne majoritaire, les émissions de radio et de télévision, comme nombre d'organes de la presse écrite, privilégient de manière scandaleuse les représentants des courants de pensée favorables au "oui"
Le déséquilibre est flagrant. Le journal Les Échos, par exemple, du 17 au 23 février 2005, a publié 23 articles, brèves, entrefilets, chroniques relatifs au référendum. Le "oui" a été mentionné 18 fois (78 %). Le "non" est systématiquement traité à partir du camp du "oui" ; il est présenté comme un risque ; il serait négatif et tournerait le dos à l'Europe ; il est associé à la "grogne sociale". Quand il est mentionné, il est quasiment toujours représenté par le "non" de droite ou d'extrême droite. Le journal Le Figaro, pendant la même période, n'a mentionné qu'une fois le "non", représenté par Charles Pasqua. L'émission "Question directe", sur France Inter, depuis septembre 2004, a invité 16 fois le Parti socialiste (dont 4 membres favorables au "non") ; 15 fois l'UMP ; 6 fois l'UDF ; 2 fois le PCF ; 1 fois les Verts (dont le représentant était favorable au "oui") ; 1 fois Philippe de Villiers. Au total: 34 personnalités favorables au "oui" et 6 favorables au "non". L'émission "Respublica", sur France Inter, depuis mai 2004, a invité 9 fois le PS (dont 2 représentants favorables au "non") ; 11 fois l'UMP ; 3 fois l'UDF ; 2 fois le PCF ; 3 fois les Verts (tous les représentants étaient favorables au "oui") ; 1 fois le MRC ; 1 fois la LCR. Au total: 24 personnalités favorables au "oui" et 7 favorables au "non". Ces quelques exemples témoignent d'une parodie de débat démocratique et d'un mépris affiché des millions d'électrices et d'électeurs qui ont ou vont décider de voter pour le "non", qui sera peut-être le choix de la France.
C'est la raison pour laquelle les premiers responsables des organisations signataires iront manifester, le vendredi 4 mars 2005, à 14h00, devant le Palais de l'Élysée. Ils demandent:
• que le "non" antilibéral, dans lequel se reconnaît un très grand nombre d'organisations, de syndicats, d'associations, puisse enfin s'exprimer dans le débat public ;
• que le temps d'antenne, sur les radios et télévisions, avant et pendant la campagne officielle, soit équitablement réparti entre partisans du "oui" et du "non" ;
• que pendant la campagne officielle, des organisations non politiques puissent bénéficier d'un temps de parole sur les radios et les télévisions ;
• qu'une table ronde soit organisée par le Conseil supérieur de l'audiovisuel avec les signataires ;
• que des débats contradictoires soient organisés entre partisans du "oui" et du "non" sur les radios et télévisions ;
• que le statut de l'émission "France Europe express" soit clarifié pendant cette période ;
• que le traité constitutionnel soit adressé dans les plus brefs délais aux citoyens ;
• que les messages de propagande en faveur du "oui", diffusés par le gouvernements sur les radios, soient annulés.
Les signataires Action Consommation, Les Alternatifs, Alter - 100 % altermondialistes, Alternatives Citoyennes, Attac France, Collectif de Pratiques et de Réflexions Féministes "Ruptures", Comité Valmy, Confédération Paysanne, Convergence Citoyenne pour une Alternative de Gauche, Coordination Nationale Gauche Républicaine (CNGR), Le Cactus Républicain, Fédération Nationale des syndicats du spectacle, de l'audiovisuel et de l'action culturelle (FNSAC-CGT), Fondation Copernic, Forces Militantes, Ligue Communiste Révolutionnaire (LCR), Mouvement pour une Alternative Républicaine et Sociale (MARS), Mouvement Républicain et Citoyen (MRC), Parti Communiste Français (PCF), Pour LA République Sociale (PRS), Les Pénélopes, Raisons d'Agir, Réseau Féministe "Ruptures", Syndicat Français des Artistes interprètes (SFA), Syndicat National de la Radio Télévision (SNRT), Syndicat National des Techniciens et Réalisateurs (SNTR), Syndicat National des Professionnels du Théâtre et des Activités Culturelles (SYNPTAC), Syndicat Français des Réalisateurs (SFR), Syndicat Général des Travailleurs de l'Industrie du Film (SGTIF), Syndicat National des Artistes Plasticiens (SNAP), Syndicat National de l'Enseignement Supérieur (SNESUP), Union des Familles Laïques (UFAL), Union Syndicale Solidaires, Voir et Agir.