Environnement

«Pour une reconversion industrielle et énergétique»

Entretien avec Barry Commoner *

Le 10 janvier 2007, la Commission des Communautés européennes publiait un rapport intitulé «Limiter le réchauffement de la planète à 2° Celsius. Route à suivre à l’horizon 2020 et au-delà». Avec audace, la Commission indique: «Le réchauffement climatique est une réalité. Il faut intervenir d’urgence pour le circonscrire.» Ce rapport a fourni l’occasion d’un entretien avec Barry Commoner. L’orientation explicitée, ici, par Barry Commoner participe de la réflexion d’une «minorité éclairée» qui envisage la crise environnementale globale comme ne dressant pas une «limite ultime» au système économique capitaliste, mais comme pouvant être, sous le fouet d’une nécessité impérative, une occasion d’un vaste «New Deal» et «Plan Marshall». – Réd.

L’étude de l’Union européenne émet l’hypothèse d’une catastrophe conduisant à 11'000 morts par année d’ici une décennie. Les prévisions deviennent toujours plus pessimistes, année après année. Les anciennes projections étaient-elles erronées ou volontairement sous-évaluées ?

Barry Commoner: L’attention s’était concentrée sur les conséquences graduelles du globalwarning (réchauffement climatique) comme si l’on faisait face à un mécanisme qui se développait de manière préoccupante mais régulière. Or, au contraire, on s’affronte à l’autre face de la médaille: des accélérations brusques. Des changements  précipités, imprévisibles dans leur dynamique exacte, qui suscitent la multiplication de vagues violentes de chaleur et des ouragans.

Peut-être y avait-il un retard culturel ? Nous étions habitués à des fluctuations «physiologiques» du temps et nous n’avions pas compris immédiatement ce que signifiait un changement du climat.

B.C.: Exactement. Il ne s’agit pas d’une saison touristique gâchée ou de quelques récoltes perdues. C’est l’énergie en jeu qui a changé: la chaleur supplémentaire retenue dans l’atmosphère modifie la portée de ces événements extrêmes en en augmentant le nombre et l’intensité. Les scénarios qui sont faits aujourd’hui par des institutions importantes comme la Commission européenne ne font que donner un visage plus précis à une tendance déjà claire il y a longtemps.

Pourtant, la capacité de réaction a fait défaut. Encore aujourd'hui, les cris d’alarme ne sont pas suivis d’une initiative concrète pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. Cela signifie-t-il que changer de direction est trop coûteux ?

B.C.: C’est le contraire qui est vrai. Déjà le rapport Stern [rapport de Sir Nicolas Stern, ancien économiste de la Banque mondiale pour le gouvernement britannique, rapport publié en octobre 2006] prévoyait une perte à hauteur de 20% du produit mondial brut à cause des changements climatiques. Alors que la révolution technologique qui irait en direction des sources d’énergie renouvelables déboucherait sur des gains. 

N’exagérez-vous pas un peu ?

B.C.: Non, ce sont des investissements qui ne génèrent pas de profit à court terme. Mais y compris un citoyen peut faire l’expérience que l’énergie solaire permet la réduction de sa note d’électricité. Et dans les pays «en voie de développement», le marché potentiel est énorme: l’avantage des énergies renouvelables est encore plus évident et immédiat pour celui qui habite un village qui n’est pas connecté au réseau électrique.

Le coût de base des technologies propres reste toutefois dans les mains des riches. Sans un investissement important des pays industrialisés, on ne réussira pas à réduire les gaz à effet de serre qui menacent la stabilité climatique.

B.C.: Il n’y a pas d’alternative: le diagnostic est clair. Pour sauver nos sociétés et leur économie, il faut sortir de la dépendance du pétrole et des énergies fossiles. Il faut développer le photovoltaïque [qui produit du courant électrique par transformation directe de l’énergie de la lumière en énergie électrique] et des énergies renouvelables. Il faut augmenter l’efficience énergétique et transférer le trafic autoroutier vers le ferroviaire.

En six années de présidence Bush, on n’est pas allé dans cette direction.

B.C.: Toutefois, malgré les résistances de la Maison-Blanche, les principales industries, y compris celles du pétrole et de la chimie, ont reconnu la nécessité de freiner le changement climatique. Et cette nécessité peut être transformée en une grande chance. Le système productif des Etats-Unis perd des points, il subit une concurrence à laquelle, utilisant les vieux schémas productifs, il n’arrive pas à faire face. Le tournant technologique imposé par les secousses climatiques est l’occasion pour un renouveau industriel.

Dans quel délai ?

B.C.: Ce qui manque, ce sont des programmes nationaux de reconversion industrielle et énergétique. Cela relève d’une décision politique. Le premier résultat peut être atteint en cinq ans.

Quel est votre souhait pour 2007 ?

B.C.: Que le nouveau Congrès américain [majorité du Parti démocrate] réussisse à mettre fin au chapitre de la guerre en Irak, liée à la vieille logique du contrôle du pétrole, et à initier la bataille contre les changements climatiques. (Trad. A l’encontre)

* Barry Commoner était qualifié à la fin des années 1960 et début 1970 «de militant écologiste». Il est né en 1917 à Brooklyn à New York. Il étudia l’écologie à Harvard. Ses livres sont devenus des références internationales, entre autres: Quelle terre laisserons-nous à nos enfants (Seuil, 1969), L’encerclement. Problème de survie en milieu terrestre (Seuil, 1972), La pauvreté du pouvoir (PUF, 1980), Making Peace with the Planet (Pantheon Books, 1990), Energy and Human Welfare: The Social Costs of Power Production (Macmillan, 1975). Cet entretien a été publié dans le quotidien italien La Repubblica.

(11 janvier 2007)


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