Brésil 2007, une année plus chaude que les précédentes Waldemar Rossi * Les prévisions selon lesquelles l’année 2007 serait spécialement «chaude» se confirment en partie. Echaudé par les mesures économiques et politiques adoptées par le gouvernement Lula, le mouvement social a décidé de se retrousser les manches et d’intensifier son mouvement de protestation contre le mépris affiché par le gouvernement à l’égard des besoins et des exigences du peuple brésilien. Mais la radicalisation est venue des deux côtés, puisque Lula (son équipe autant que son parti, le Parti des travailleurs - PT) est en train de montrer à quel camp il appartient réellement, et il ne fait plus cela seulement par des mots – comme il l’avait fait en rendant hommage à ses nouveaux héros [1], les patrons d’usines [produisant de l’éthanol à partir de la canne à sucre] – , mais par des politiques réformistes qui lèsent l’ensemble des travailleurs. Il y a les partenariats public-privé [premier pas vers la privatisation], les privatisations (routes, exploitation du pétrole, cession des terres d’Amazonie pour la culture de la canne), la libéralisation des transgéniques (OGM: soja), l’augmentation du superavit primaire [excédent budgétaire avant le paiement de la dette interne et externe] et, conséquence de ce dernier point, l’augmentation du transfert d’argent vers les banquiers, détenteur de la dette [des obligations liées à la dette, dont les taux d’intérêts réels sont élevés]. Entre autres mesures «anti-patrie» et anti-travailleurs, Lula est en train de passer des accords avec des entreprises étasuniennes pour le montage d’usines d’alcool au Brésil. Plus grave encore, il n’investit pas dans le domaine de la santé publique, de l’éducation, du logement populaire et de l’assainissement des infrastructures de base, ni ne s’attelle à la réforme agraire. Tout cela, il l’a pourtant promis dans tous ses discours depuis la campagne électorale de 2002 et cela fait d’ailleurs partie de l’histoire politique du PT. Peu à peu, un nombre croissant de gens parmi le peuple et dans les mouvements organisés se met à percevoir que ce gouvernement agit de façon autoritaire, qu’il ne conclut pas d’accords avec la société et qu’il ne jette pas le moindre regard vers la véritable souffrance des exclu·e·s. L’évidence de ces contradictions – qui est aussi évidente que l’eau qui atteint le cou du noyé – a poussé de plus en plus de gens à protester ouvertement, à commencer à exercer effectivement leur citoyenneté et faire valoir leur droit d’exiger ce qui légitimement leur appartient. Déjà vers la fin de l’année 2006 l’on pouvait percevoir que la politique des «cadeaux» allait en se renforçant. Pour cela, les manifestations et les initiatives prises par les forces progressistes et par la gauche se sont intensifiées, et toutes sortes d’activités d’opposition au programme réformiste de Lula ont été prévues pour 2007. Au cours de cette année, nous avons assisté le 23 mai à des manifestations à travers tout le pays, avec des marches et des occupations dans les villes, des blocages de routes stratégiques (au nombre de trente au moins, n’en déplaise aux médias qui ont boycotté), des occupations de terres non occupées ou improductives ainsi que des occupations d’immeubles publics abandonnés… Après cela, les grèves dans les secteurs publics se sont intensifiées, grèves qui dénonçaient la vétusté d’équipements que l’on laisse se dégrader dans le but de «justifier» ensuite la privatisation des services publics. Et quant aux «Indigènes» (populations indiennes), ils ont réagi avec plus de vigueur que d’habitude aux invasions de leurs terres, en ayant recours à des lois qui les protègent. Des enseignants de divers niveaux sont entrés en grève et ont occupé des rectorats afin d’exiger un minimum de démocratie dans le système éducationnel. Le 8 mars 2007, jour consacré traditionnellement à la femme, de grandes manifestations ont eu lieu dans les principales villes du pays, pour dénoncer principalement la visite de Bush au Brésil et protester contre le projet de Réforme de la Sécurité Sociale. Un pas important a été fait lors du premier Mai, date à l’occasion de laquelle il a été décidé de marquer de manière plus significative le camp auquel appartiennent les travailleurs. Rompant avec le syndicalisme complaisant de toutes les centrales vendues au capital, Conlutas [regroupement socio-syndical de coordination nationale des luttes], l’Intersyndicale [opposition de gauche faite de secteurs membres ou non de la CUT: la Centrale unique des travailleurs], des centaines de syndicats qui maintiennent leur pratique classiste, des Pastorales sociales, des étudiants et d’innombrables mouvements ont organisé des manifestations qui ont eu lieu dans de nombreuses grandes villes brésiliennes. La marche de ce mouvement de classe a fait entendre son cri de protestation et, bien qu’encore de manière limitée, a fait que les médias ont été obligés de rendre compte – en partie du moins – de la force du mouvement. Un autre moment important a été la Semaine de la Patrie [qui a eu lieu au cours de la première semaine de septembre], point culminant d’une campagne intense menée en dénonciation de la scandaleuse, frauduleuse et criminelle «privatisation/mise aux enchères de la Compagnie Vale do Rio Doce» (réalisée par Fernando Henrique Cardoso en 1997, en dépit de toutes les protestations de la nation brésilienne) [2]. Pour la troisième fois, nous avons réussi à organiser, dans plus de 1’500 villes brésiliennes, un plébiscite populaire, et cela malgré l’intense campagne menée par la Compagnie Vale elle-même et par les médias pour défendre cette mascarade. Plus de trois millions sept cent mille Brésiliens ont alors manifesté librement contre ce bradage, contre le paiement des intérêts de la dette publique, pour la baisse du tarif de l’électricité et contre les réformes du gouvernement. Le 24 octobre 2007, malgré le boycott des centrales syndicales, de l’UNE (Union nationale des étudiants), du PT [Parti des Travailleurs], du PCdoB [Parti communiste du Brésil] et la faible présence du MST [Mouvements des Travailleurs Ruraux Sans Terre], près de seize mille travailleurs de tous les coins du pays ont marché sur les avenues de Brasília, pour protester contre la réforme de la Sécurité Sociale. Et les grèves en faveur d’un réajustement des salaires se sont elles aussi intensifiées, en dépit de la molle non-combativité des centrales syndicales. Point culminant de cette ascension des luttes du peuple: la grève de la faim de protestation de Mgr Luiz Cappio contre le «détournement» du fleuve São Francisco et contre l’intransigeance et l’autoritarisme du gouvernement Lula. A travers le Brésil entier, des mouvements sociaux et des pans significatifs de la population se sont mis en mouvement pour soutenir l’Evêque et adresser des critiques dures au gouvernement, en exigeant la suspension de ce détournement criminel et la mise sur pied d’un débat large et ouvert avec la société. Et pour proposer que les mouvements prennent en charge la réalisation d’un plébiscite officiel qui permettrait au peuple de décider souverainement de la politique la plus adéquate pour le «Vieux Chico» [«Chico» est le diminutif donné en portugais aux hommes qui se nomment «Francisco»], un fleuve de caractère national qui tient une place essentielle dans le quotidien de millions de familles de travailleurs vivant traditionnellement près de ses rives [3]. Que la lutte du peuple ne faiblisse pas l’année prochaine, c’est ce que nous espérons et ce pour quoi nous luttons ! (Traduction A l’Encontre) * Waldemar Rossi est un métallurgiste à la retraite. Il est actuellement coordinateur de la Pastorale Ouvrière de l’Archidiocèse de São Paulo. 1. Le 20 mars 2007, dans un discours Lula donne le statut «d’héros de la nation» aux grands propriétaires et propriétaires d’usine de transformation de la canne à sucre en éthanol. Ces derniers, étant donné leurs méthodes brutales d’exploitation de la main-d’œuvre, ont toujours été considérés comme des «bandits». Venant d’un ancien ouvrier de la métallurgie, Lula, cette caractérisation des «usineiros» est apparue comme emblématique de l’orientation de son parti et gouvernement. (réd) 2. Ce grand complexe sidérurgique et industriel a été bradé au secteur privé. C’est la principale firme opérant en Amérique Latine dans le secteur des minerais de fer et de manganèse. Depuis lors, le mouvement social brésilien n’a de cesse de demander l’annulation de cette privatisation et la réétatisation de la firme. 3. Voir nos articles concernant cette lutte sur ce site, notamment celui de Valério Arcary du 21 décembre 2007 et les notes de bas de page qui nous y avons insérées. (31 décembre 2007) A l'encontre, case postale 120, 1000 Lausanne 20 Soutien: ccp 10-25669-5 |
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