Brésil Conlutas: réunion nationale de la Coordination Luciana Candido * Plus de 300 personnes ont participé à la première réunion nationale de la Coordination Nationale de Conlutas de l’année [voir sur ce site, l’article publié en date du 6 janvier 2008] La rencontre a eu lieu les 29 février, 1er et 2 mars derniers à Rio de Janiero (RJ). C’est la réunion la plus importante que la direction de l’organisation ait tenu depuis sa fondation. Au total, 333 personnes ont participé à la rencontre. Parmi elles, 72 délégués venaient de syndicats: 33 de groupes d’opposition ; 17 de mouvements populaires ; 16 d’organisations d’étudiants et 2 de groupes syndicaux minoritaires. Ce furent trois jours d’intenses débats autour de la conjoncture nationale et internationale, ainsi que d’un plan de luttes et de réorganisation du mouvement social de masse au Brésil. En priorité, la Coordination réunie a approuvé l’idée d’un effort à faire en vue de construire les conditions permettant la fusion avec ceux et celles qui sont du côté des luttes, de l’opposition au gouvernement et de la construction d’une alternative unique. La conjoncture nationale Lors du premier jour de la réunion, le débat a porté sur la situation nationale et internationale. Durant la partie du matin, Silvio de Souza, de l’Opposition Alternative de l’Apeoesp [le syndicat des Enseignants du secteur public de l’Etat de SP], a fait une présentation sur la situation brésilienne sous le gouvernement Lula et les principales attaques que le gouvernement est en train de porter contre les travailleurs. La lutte contre la flexibilisation des droits du travail doit marquer les mobilisations dans la prochaine période. Ainsi, comme cela s’est produit récemment à la General Motors de São José dos Campos (SP), où la multinationale a essayé d’imposer une système «compte d’heures» [lié à annualisation et flexibilisation du travail et de sa durée], l’offensive contre les droits se produit dans plusieurs secteurs, aussi bien du public que du privé. Lors de la réunion, des travailleurs et travailleuses d’autres secteurs ont témoigné du fait que cette annualisation, la tertiairisation et la flexibilisation des droits était en train de devenir une politique courante du patronat, comme cela se produit actuellement dans le secteur de la construction civile dans l’Etat du Pará, par exemple. Ce thème, avec celui de la lutte contre la déviation du fleuve São Francisco [voir sur ce site nos différents articles, ceux des 16 et 21 décembre 2007 notamment], de la lutte en défense du service public, de la lutte contre la privatisation et la tertiairisation de la santé et de l’éducation et de la lutte contre le REUNI [Programme de Restructuration et d’Expansion des Universités] et contre la réforme universitaire, doivent composer les revendications générales qui seront présentes dans toutes les mobilisations, que se soient lors des manifestations générales, ou des luttes pour le logement ou lors des campagnes salariales. La réunion de la Coordination Nationale des Luttes s’est mise d’accord sur l’organisation d’une journée commune de lutte et de mobilisation le 1er avril prochain. La date n’est pas un hasard et elle a été proposée par les mouvements qui participent au Front contre la Déviation du Fleuve Sao Francisco. Ce jour-là – qui sera le jour du mensonge – les travailleurs dénonceront la grande farce que constituent les politiques du gouvernement Lula. La réunion a également discuté de l’organisation d’un premier mai de lutte classiste qui ferait contrepoids aux fêtes organisées par la CUT [syndicat lié au gouvernement Lula] et par l’organisation Force Syndicale, sous le patronage du gouvernement et des entrepreneurs. Conlutas devra lancer un appel en direction de l’Intersyndicale [courant d’opposition dans et hors de la CUT] et des autres secteurs de lutte pour impulser, dans les différents Etats, de véritables actions classistes en défense des droits. Le Venezuela: quel rôle la gauche doit-elle jouer ? Lors de l’après-midi du premier jour, Conlutas a remis à l’honneur une ancienne préoccupation du mouvement syndical qui s’est perdue au cours des dernières décennies: celle de faire que les travailleurs discutent de thèmes stratégiques pouvant les aider à comprendre et à affronter les tâches qu’ils ont devant eux, afin d’en finir une fois pour toutes avec l’exploitation capitaliste. Sur le thème du plébiscite de la réforme constitutionnelle qui a eu lieu en 2007 au Venezuela, trois positions ont été défendues. L’année passée, pour rappel, le président vénézuélien Hugo Chávez n’avait pas réussi à faire approuver sa nouvelle Constitution qui visait à en finir avec une série de libertés démocratiques [voir sur cette question, entre autres, l’article publié le 15 décembre 2007]. Pedro Fuentes, du courant Mouvement de la Gauche Socialiste [MES] du PSOL (Parti du socialisme et de la liberté), a défendu le vote favorable au plébiscite. Malgré le fait qu’il admette l’existence d’un mécontentement des masses populaires, celui-ci a dit que l’échec du «oui» constituait un triomphe de la droite, que le Venezuela était le pays le plus démocratique d’Amérique Latine et qu’il n’existait pas de mouvement de masses qui puisse aujourd’hui se substituer au gouvernement Chávez. Fuentes a conclu en disant que la politique des révolutionnaires de notre pays [le Brésil] se devait d’appuyer les pas progressifs accompli par le gouvernement Chavez. Défendant, elle, la position de l’abstention, Silvia Días, membre du Courant Socialiste des Travailleurs (CST) du PSOL a parlé de la situation du peuple vénézuélien, lui qui ne jouit pas de conditions de logement dignes et qui traverse une véritable crise du système de santé publique. Elle croit que cette situation a conduit un nombre important de travailleurs à voter contre le président. «Les riches s’enrichissent encore plus et les pauvres voient leur situation stagner ou même se péjorer», a-t-elle conclu. Pour finir, c’est Valério Arcary du PSTU qui a défendu le vote contre la Constitution. «Si ce projet n’est pas au service de la révolution mondiale, à quoi sert-il ? Ce projet n’a pas de futur», a-t-il dit en se référent au «socialisme du XXIème siècle de Chávez. En polémiquant avec Fuentes, Arcary a encore demandé: «Le rôle des travailleurs est-il d’être le dernier petit wagon d’un projet nationaliste-bourgeois ?». Il a dit que le licenciement du syndicaliste Orlando Chirino [dirigeant syndical du Courant Classiste Unitaire et Révolutionnaire C-CURA] donnait une leçon de base sur la lutte de classe: «Si le gouvernement est bourgeois, nous y sommes opposés et même si la majorité de la classe ouvrière l’appuie, nous continuerons à être contre». La Coordination n’a pas voté de position sur le sujet. Seules ont été approuvées une campagne pour la réintégration d’Orlando Chirino, dirigeant syndical licencié à la fin de 2007, et deux motions, la première pour soutenir les travailleurs de l’entreprise de sidérurgie Sidor [Ternium Sidor est la principale entreprise sidérurgique du Venezuela et de toute la région andine et caraïbéenne] et la seconde pour protester contre les attaques portées au Venezuela par la transnationale état-unienne pétrolière Exxon. La nécessité d’unir les forces Le second jour de la réunion a été consacré presque intégralement à la tentative de répondre à deux questions: que faire pour rendre compte des luttes qui surgissent dans le pays ? Comment organiser et mobiliser au mieux les travailleurs en défense de leurs droits ? Selon un principe énoncé lors de son congrès de fondation de 2006, l’appel à l’unité avec d’autres secteurs de la classe disposés à lutter contre le gouvernement reste l’une des priorités du regroupement Conlutas. Au cours des dernières années, on a assisté à une dispersion énorme du mouvement des masses. Avec la droitisation de la CUT et l’expérience vécue avec le PT [Parti des travailleurs qui soutient le gouvernement Lula]|, une série de ruptures se sont produites sans qu’il n’existe – pour le moment – de solution unique pour réussir à mettre ensemble le prolétariat. Dans ce processus, Conlutas est l’organisation qui a été la plus active sur le front et qui devra donc jouer un rôle central. Neida Oliveira, du Syndicat-Cpers [syndicat des professeurs de l’Etat de Rio Grande do Sul, qui constitue le plus grand syndicat d’Amérique latine] a dit que Conlutas devrait jouer le rôle de «locomotive dans cette recherche prioritaire d’unité entre tous les secteurs qui font opposition au gouvernement et qui ont rompu avec la CUT et avec le PT parce qu’ils n’acceptent pas les réformes néolibérales et les attaques contre les travailleurs». La réunion a approuvé le fait d’établir un agenda de débats avec les secteurs qui sont disposés à lutter contre le gouvernement et contre les attaques aux droits des travailleurs. Sur cet aspect, la discussion devra être menée prioritairement avec l’Intersyndicale, afin de proposer une fusion entre les deux organisations. L’Intersyndicale, encore que plus petite et plus récente que Conlutas, a également surgi de secteurs mécontents de la CUT et du gouvernement pétiste. Les groupes et organisations qui sont d’accord avec les termes de ce débat seront invités à participer au congrès de Conlutas du mois de juillet en tant qu’observateurs. De cette manière, ils auront une connaissance directe de la discussion menée à la base de la centrale. Zé Maria de Almeida [un des figures dirigeantes de Conlutas, membre fondateur du PT et dirigeant du PSTU] a estimé qu’il était fondamental que cette discussion commune ait lieu pour «chercher à créer les bases politiques nécessaires à cette unité et à cette fusion en partant des thèmes stratégiques de toute organisation pour la lutte de la classe ouvrière.» Afin de créer les conditions politiques à la fusion, la coordination propose quatre thèmes sur lesquels l’agenda des débats devra être centré: la stratégie d’organisation, le caractère de l’organisation, la conception de la direction et le processus de bureaucratisation des syndicats. La coordination a décidé, parallèlement à ce débat, de continuer à batailler pour l’unité d’action maximale dans les mobilisations quotidiennes des salariés. Sur la base du plan de luttes approuvé en réunion, on cherchera quels sont les autres secteurs présents dans la lutte afin d’essayer de reproduire l’unité dans la lutte construite au début de l’année passée. La lutte contre les oppressions Afin d’organiser les divers mouvements sociaux, la réunion de la Coordination Nationale a réservé un espace pour la réunion des groupes de travail des Noirs et des Noires, des Femmes et ceux des Gays et Lesbiennes (GLBT). Malgré les spécificités de chaque secteur et les rythmes différents de chaque organisation, les réunions des groupes démontrent qu’une avancée importante a eu lieu sur le chemin qui conduit à l’établissement d’un lien entre la lutte contre l’oppression et la lutte contre l’exploitation capitaliste. Le groupe de travail des Femmes a débattu sur deux points centraux. Il a été décidé que la Rencontre des Femmes de Conlutas aurait lieu à São Paulo (SP) les 19, 20 et 21 avril prochains, au Club de Régates de Tietê. L’organisation espère réunir entre 800 et 1'000 personnes. Ce seront des déléguées et seules des femmes animeront les débats, mais les hommes pourront participer comme observateurs avec un droit à la parole. Il a également été discuté de la mise sur pied d’actions pour le 8 mars. «Le 8 mars, nous voulons réunir des secteurs des mouvements féministes, syndical et populaire disposés à construire une alternative classiste, féministe et d’opposition au gouvernement Lula et à ses alliés», a dit Janaína Rodrigues, de l’Opposition Alternative de l’Apeoesp. Dans le groupe de travail des Noirs et des Noires, environ 40 personnes ont discuté de l’exécution des décisions prises lors de la rencontre de l’année passée. Selon Dayse Oliveira, du Syndicat des Professionnels de l’Education de l’Etat de Rio de Janeiro, la décision principale a été de «diffuser auprès des organisations syndicales et étudiantes ainsi que des mouvements populaire et noir l’appel à construire un nouveau mouvement noir, mouvement qui serait ouvertement anticapitaliste, socialiste, indépendant et en opposition au gouvernement Lula». Quant au groupe de travail des Gays et des Lesbiennes, il a tenu sa première réunion séparément de celle des Femmes. Le groupe a approuvé la mise sur pied d’une réunion nationale qui aura lieu en même temps que la Rencontre des Femmes de Conlutas, et où sera discutée la participation des militants homosexuels au Congrès de Conlutas, dans la perspective d’établir un programme contre l’homophobie. A propos du Congrès Au contraire de ce qui se passe actuellement dans la CUT et dans la toute récente CTB (centrale syndicale fondée tambour battant par le Parti Communiste du Brésil), le premier Congrès de Conlutas doit reprendre la question de la démocratie et du débat autour d’opinions et de projets différents. Avec des délégués élus à la base de groupes catégoriels d’opposition et de mouvements sociaux, le congrès de juillet doit avancer dans la construction d’une alternative de lutte, comme cela s’est produit lors du Conat, le Congrès National des Travailleurs qui a eu lieu en 2006 et qui a fondé officiellement Conlutas. Pour combattre la bureaucratisation des organisations, le congrès débattra également sur le type de direction nécessaire pour appliquer une démocratie maximale et garantir la représentation de la base, autant que le contrôle de celle-ci sur les dirigeants démocratiquement élus. Lorsqu’on se livre à un bilan historique de la CUT, on mesure quelle importance cette discussion a, puisque le processus de bureaucratisation a gagné la plupart des syndicats du Brésil, même certains qui sont dirigés par la gauche socialiste elle-même. Chaque organisation ou mouvement a eu l’opportunité de présenter par écrit sa manière de concevoir le congrès. Le délai de remise de ces textes a été fixé au 29 février, date du début de la réunion nationale de Conlutas. La Coordination va maintenant faire parvenir ces contributions à la base des organisations. Le Congrès aura lieu du 3 au 6 juin 2008 prochain dans l’Etat de Minas Gerais, à Betim. * Article paru dans les colonnes de l’hebdomadaire du PSTU (Parti socialiste des travailleurs unifié). (24 mars 2008) A l'encontre, case postale 120, 1000 Lausanne 20 Soutien: ccp 10-25669-5 |
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