Brésil

L’agroénergie et le rôle-clé joué par les petits producteurs

Pedro Carrano

Le premier moment du cycle de débats organisé par l’hebdomadaire Brasil de Fato  [lié au MST brésilien] et par l’organisation Via Campesina (organisation internationale des petits paysans et de sans-terre dans laquelle le MST joue un rôle important) pose l’agroécologie comme étant le point de départ dans la production d’agroénergie.

Le cycle de débats «L’agroénergie au Brésil, ses potentiels et les défis posés» a été conçu  comme une activité parallèle au programme de la 6ème Journée d’Agroécologie qui a eu lieu le jeudi 12 juillet passé à Cascavel, dans l’Etat de Paraiba [Etat du Nordeste brésilien]. Dans tous les débats, l’accent a été mis sur la nécessité d’une  production d’énergie d’origine végétale qui soit effectuée par des petits producteurs.

Selon les participants au débat de Cascavel, ce n’est que de cette manière que l’agroénergie pourra conduire à la souveraineté alimentaire et énergétique, dans la mesure où elle sera appuyée par un projet développé par des entreprises publiques telles que la Petrobrás [société transnationale pétrolière brésilienne, étatique, mais qui représente le bras de politico-économique du capital brésilien].

L’agroénergie est caractérisée par l’énergie et par des combustibles obtenus à partir de cellulose, de graines oléagineuses ou de sucres tirés de la canne à sucre. Ont participé à la discussion: le Père Sergio Antônio Görgen (Via Campesina), Claudio Dode (Petrobrás) et l’ingénieur agronome Horácio Martins.

Le cycle de débats est une initiative de la Via Campesina en partenariat avec le journal Brasil de Fato, et sous le patronage de la Petrobrás. Le second événement est fixé au 18 juillet, à Belo Horizonte, dans l’Etat de Minas Gerais. L’objectif est de lancer le débat sur le thème de l’agroénergie et de faire connaître à la société et jusqu’à la base des mouvements sociaux les plus reculés les projets et les luttes de classes qui caractérisent le sujet.

En accord avec João Pedro Stedile, dirigeant nationale de la Via Campesina au Brésil, il s’agit d’un effort commun, d’un véhicule de communication alternative entre le mouvement social et une entreprise d’Etat.

Rareté du pétrole

En tant que modérateur de la rencontre de Cascavel, Stedile a d’emblée déclaré que l’urgence de l’agroénergie surgit de la compréhension du fait  que le pétrole se fait de plus en plus rare. Aujourd’hui, le valeur du baril de pétrole avoisine les U$ 70 dollars (environ R$ 150 reais), mais pourrait atteindre les U$ 100 dollars dans un futur proche. Le dirigeant du Mouvement des Travailleurs Ruraux Sans Terre (MST) a également mis en évidence le processus de prise de conscience dans l’opinion publique du fait que le modèle actuel de production et de consommation d’énergie est écologiquement insoutenable.

Stedile a fait une lecture des projets qui sont actuellement en concurrence autour de l’agroénergie. Si quelques-uns parmi eux impliquent des risques pour la production des petits agriculteurs, d’autres en revanche peuvent exploiter le potentiel et la viabilité de cette forme de production. La production d’énergie peut se faire par exemple en partenariat entre les petites agriculteurs et la Petrobrás. Une autre proposition serait une petite usine sous le contrôle des paysans, organisés en coopératives.

L’orateur a également parlé de la possibilité d’une production faite à partir de micro-usines familiales, dans lesquelles la génération d’énergie électrique se ferait sur place, de façon rationnelle et intégrée avec les cultures et avec la production d’huiles végétales.

Pour finir, il a présenté une proposition faite par l’ingénieur physicien Bautista Vidal concernant la création d’une entreprise étatique d’agroénergie. Il a été clair au long de tous les exposés que l'agriculture familiale présente un modèle de production alternative pour l'agroénergie, mais que cela ne peut se produire que s’il existe des programmes gouvernementaux d’appui à cette production, puisque celle-ci ne doit pas être soumise aux lois du marché.

Sans transgéniques ni monocultures

Dans son exposé, Cláudio Dode, de la Petrobrás, a insisté sur le fait que le programme de l'entreprise d’Etat qu’il représente est fondé sur l’idée de partenariats avec l’agriculture familiale, à partir de décisions prises par les communautés. Les projets de l’entreprise sont pensés en terme de polycultures, et non de monocultures. Selon Dode, la production d’agroénergie par cette entreprise d’Etat ne peut se faire qu’au sein d’un projet d’emploi et de revenu, et la production d’huile végétale ne peut être enlevée au petit producteur. Le représentant de la Petrobrás a également écarté la possibilité de travailler avec des cultures transgéniques. «Dans les programmes dans lesquels l’agriculteur fournit la matière première pour être industrialisée, la base du projet est l’agroécologie», a-t-il commenté.

Le Père Sergio Antônio Görgen, de son côté, croit que l’agroénergie apporte un changement structurel pour la société, et c’est pour cela que le sujet ne peut être abordé sans la présentation d’alternatives pratiques. Görgen précise que le Brésil possède les caractéristiques lui permettant de devenir le premier dans la production de bioénergie: un sol fertile, une main-d’œuvre en quantité et des réserves d’eau bien distribuées. Et surtout, le Brésil est le pays tropical disposant du plus grand territoire exposé au rayonnement du soleil.

Le dirigeant de Via Campesina a exposé les principes de la production de bioénergie appliqués par les petits producteurs. La production ne doit en aucun cas provoquer de  substitution aux aliments, et doit de pour cela être basée sur différents types de cultures. Le contrôle des travailleurs sur la production doit être complet. «L’agriculteur ne peut pas produire de la matière première sans une valeur ajoutée, il est nécessaire de contrôler le maximum possible de la chaîne productive, en ayant recours à  d’autres forces», a-t-il dit. La construction de ce projet n’est possible qu’en collaboration avec des entreprises publiques et notamment avec la Petrobrás, selon Görgen.

Les risques pour les cannaies

L’ingénieur agronome et chercheur Horácio Martins, à la fin de tous ces exposés, a analysé le projet du capitalisme mondial pour l’agroénergie au Brésil. L’objet de sa recherche détaillée est la culture de la canne à sucre. En accord avec le chercheur, le nombre de projets d’usines se monte actuellement de 189, dont 77 ont déjà obtenu l’autorisation.

La préoccupation majeure exprimée par l’ingénieur agronome est que la production agricole de matière végétale soit tournée vers l’exportation. Selon lui, la récolte de 2007/2008 va produire pour 20 milliards de reais de litres d’alcool, avec l’objectif de fournir le mélange de 25% d’alcool exigé dans l’essence. Même ainsi, la plus grande partie de la production sera destinée à l’exportation.

Pour Martins, la non-viabilité du modèle actuel de société exige des formes alternatives de production et de consommation. «Nous avons besoin d’une nouvelle conception de société, de rupture avec cette conception individualiste, nous devons changer le modèle de référence européen et nord-américain. Nous avons besoin de gouvernements populaires avec, à la base, des paysans pouvant produire leur autonomie, au moyen de petites et moyennes usines. Le paysan doit croire qu’il est lui est possible de subvenir à ses besoins en tant que producteur», affirme Martins. (Trad. A l’encontre)

(27 juillet 2007)


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