Brésil

MST: «Il faut tenir les engagements pris»  


Nous publions ci-dessous une lettre, datant de septembre 2005, envoyée par le Mouvement des travailleurs ruraux Sans Terre (MST) à ses «ami·e·s».

Faut-il rappeler ce que disait le président Lula lors de son discours inaugural du premier janvier 2003? Le fraîchement promu Président affirmait: «Nous allons garantir l'accès à la terre pour ceux qui veulent travailler, non seulement pour une question de justice sociale, mais pour que les terres du Brésil produisent plus et apportent plus d'aliments à la table de nous tous, apportent du blé, apportent du soja, apportent de la farine, apportent des fruits, apportent nos haricots et notre riz... Pour que l'homme de la campagne récupère sa dignité, sachant que, en se levant au petit jour, chaque mouvement de sa houe ou de son tracteur va contribuer au bien-être des Brésiliens de la campagne et de la ville...».

La réforme agraire au Brésil traîne depuis un demi-siècle. Elle était considérée, lors de l'accession de Lula au pouvoir, comme un instrument stratégique pour répondre à la crise sociale. Sous le gouvernement néo-libéral de Fernando Henrique Carodoso (FHC), les familles installées (bien que souvent dépourvues de service de base, d'appui technique, etc.) avaient augmenté en nombre depuis 1998, avec une pointe à 108986 familles installées en 2000 et 102 449 familles en 2001.

Ce processus n'était pas étranger à la pression exercée, entre autres, par le MST, fondé en 1984; même si FHC avait ses raisons politiques particulières d'accentuer, un peu, cette «réforme» avant l'échéance électorale de 2002.

Le MST utilisait (et utilise) des campements pour préparer l'occupation de grands domaines ou de parties de grands domaines, qui peuvent être réquisitionnés contre versement de titres (sorte d'obligations à haut taux d'intérêt) aux propriétaires, après une procédure complexe, plus d'une fois entravée par la justice.

Un campement est donc une concentration de paysans qui attendent l'installation, c'est-à-dire l'accès effectif à la terre. Ils se trouvent au bord des routes, près des grandes propriétés. Depuis 2003, des campements se sont multipliés et sont restés... des «campements»(!), dont les membres vivent dans l'extrême précarité et l'attente d'une installation.

Les résultats de la réforme agraires sous le gouvernement Lula restent très largement au-dessous des plans initiaux, qui d'ailleurs ont été vite remis en question. Et «l'avancée» reste, à chaque fois, en dessous des nouvelles promesses plus «réalistes», plus minimalistes faites par le gouvernement et le ministre.

En effet, la politique économique, visant à dégager un surplus budgétaire important avant le paiement de la dette (interne et externe) ne permet pas de dégager les ressources financières pour la dite réforme agraire. Par contre, le paiement de la dette a enrichi un secteur notable de la bourgeoisie brésilienne qui détient des titres des deux dettes, ainsi que les banques impérialistes et leurs actionnaires.

La politique agraire officielle a surtout avantagé le secteur de plus en plus concentré et puissant de l'agroexportation, fort bien représenté au gouvernement. Le ministre de réforme agraire, Miguel Rossetto – membre de la «gauche» du PT, le courant Démocratie socialiste (DS) – a avalisé, simplement, l'ensemble de cette politique et a servi d'alibi de «gauche» à un désastre social.

La réforme agraire a été et est aussi un terrain d'affrontements. Les leaders paysans assassinés individuellement ou massacrés collectivement – parfois sous le patronage de membres de la police militaire de l'Etat (le Brésil est un Etat fédéral) – marque l'histoire de ce combat pour une justice sociale élémentaire.

Entre 1995 et 2001, 223 paysans ont été assassinés, selon les données même du Ministère du Développement agraire (le ministère de la «réforme»). En 2000: on en compta 10, en 2001 14; de 1995 à 2001: 223. Or, la répression a continué sous le gouvernement Lula. Ainsi, un des leaders du MST, José Raina (de la région Pontal do Paranapanema à l'ouest de l'Etat de Sao Paulo), avec trois de ces camarades (Manoel Messias Duda, Sergio Pantaleao et Cledison Mendes da Silva), a été condamné à 10 ans de prison, le 28 octobre 2005! L'avocat du MST, Patrick Mariano, déclare que la «condamnation de la Justice contre les leaders du MST est arbitraire et illégale.»

En fait, il y a toujours plus de dirigeants du MST qui sont emprisonnés. La criminalisation des mouvements sociaux s'est aiguisée. Elle s'exprime de manière exemplaire à l'occasion de la grève actuelle des coupeurs de la canne à sucre dans l'Etat de Pernambuco. En 2005, quelque 50 paysans et paysannes ont été arrêtés dans la seule région de Pontal do Paranpanema.

Non seulement la «réforme agraire» est une promesse qui ne cesse de s'étioler, mais sous le gouvernement Lula – et plus sa crise avance – plus les juges et les grands propriétaires, impunis, s'attaquent aux paysans, à ceux auxquels Lula avait promis, en janvier 2003, «l'accès à la terre». cau

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Chères Amies et chers Amis du MST,

Quatre mois après la fin de la Marche Nationale, tous les militants du MST conservent, gravés dans leur mémoire et dans leurs cahiers, les sept points qui constituent l'accord conclu entre le Mouvement et le gouvernement fédéral. Le 17 mai, à l'arrivée de la grande marche, le gouvernement a signé un document public dans lequel il réaffirmait son engagement à installer dans des terres (assentar) 400'000 familles pour l'année 2006. L'accord prévoyait également que la priorité serait accordée aux familles vivant dans des campements, elles qui vivent dans les conditions les plus difficiles.

Au Brésil, près de 140'000 familles Sans Terre, se trouvent dans cette situation. Et pourtant, à peine 9'000 familles du MST qui ont reçu des terres en 2003, et en 2004, 11'000 familles. Et cette année 2005, jusqu'en août, seules 4'000 familles Sans Terre ont été «installés».

Le gouvernement a adopté une mesure provisoire ayant pour but d'assouplir les processus d'expropriation afin de récupérer les ressources rognées par le Ministère des Finances. Néanmoins, dans toutes les réunions qui se sont tenues entre le MST, l'Institut national de colonisation et de la réforme Agraire (INCRA) et le Ministère du Développement Rural [de Miguel Rossetto], on a dénoncé le fait que le Ministère des Finances ne débloquait pas les ressources ainsi dégagées.

L'accord prévoyait également que, quelques semaines plus tard, après la fin de la Marche, un ordre ministériel devait être publié définissant les nouveaux indices de productivité des propriétés rurales inspectées en vue de leur expropriation [en effet, il faut une expertise portant sur l'utilisation productive des terres, pour que l'expropriation, contre paiement, soit prononcée]. Le ministre du Développement Agraire, Miguel Rosseto, a déposé sa proposition d'actualisation des indices au palais présidentiel (Le Palais du Planalto), en date du 6 avril 2005. En août, au cours d'une audience avec les mouvements sociaux, le président Lula s'est montré surpris, car il croyait que les nouveaux indices avaient déjà été publiés. Apparemment, il y a des souris au palais qui sont en train de grignoter des documents.

Un programme spécial pour les installés (assentados)

Il avait également été promis que de nouvelles lignes de crédit seraient ouvertes pour les assentados. Le gouvernement avait pris une première mesure, en ajustant les valeurs des lignes actuelles du Programme National de l'Agriculture Familiale (PRONAF). Mais cela ne résout pas le problème. Il faut aussi vaincre la bureaucratie des banques. C'est la raison pour laquelle nous avons toujours soutenu qu'il fallait établir un programme spécial pour les assentados, comme le Programme de Crédit pour la Réforme Agraire (PROCERA). Or, en fait, sur les 580'000 familles installées, moins de 60'000 ont reçu un crédit du PRONAF lors de la dernière récolte. Autrement dit, le crédit n'a pas été un instrument d'organisation de la production de ces communautés agricoles.

Le gouvernement a donné l'indication qu'il est toujours prêt à soutenir les programmes en faveur de l'agroalimentaire. Or, nous n'avons presque pas avancé avec la Banque Nationale de Développement Economique et Social (BNDES) et nous sommes encore loin d'avoir un programme permettant de combiner à la fois la Réforme Agraire et l'aiguillon de l'agroindustrie  pour les installés ruraux.

Un autre point de l'accord était la garantie que les denrées de base ne manqueraient pas dans les campements. Or, si l'on peut percevoir une certaine volonté de résoudre ce problème Brasilia [la capitale fédérale], la même histoire se répète dans les Etats: le manque de fourniture de paniers de denrées de base continue. Dans la pratique, rares sont les campements où il a été possible de recevoir régulièrement, chaque mois, des provisions de base. Et ce phénomène est tellement important que pour éviter que les familles des campements souffrent de la faim, la Compagnie Nationale de Ravitaillement (CONAB) doit réunir les conditions pour mener à bien le programme devant permettre d'acheter toute la production des «installations rurales» et des communautés rurales. Le gouvernement se doit d'accélérer ce processus qui permettrait de donner des garanties quant aux débouchés et aux prix, évitant la spéculation.

Comme on le constate Lula a une dette sociale envers le MST. Il agit très bien avec les grandes firmes, les banques qui reçoivent des milliards sous forme d'intérêt, avec une régularité religieuse, chaque mois; par contre la réforme agraire est dans une situation de paralysie chronique.

Il n'y a qu'une voie: accroître la portée de notre voix en faveur de la mobilisation sociale. Il doit y avoir une discussion dans chaque Etat, dans chaque campement, dans chaque installation rurale, qui doit améliorer la façon dont nous nous organisons afin que le gouvernement honore ses devoirs et donne suite au sept points sur lesquels nous nous étions mis d'accord lors de notre marche nationale de mai 2005. Les ruraux pauvres doivent continuer à s'organiser, c'est une autre piste. Le combat continue.

Secrétariat national du MST. septembre 2005