Brésil
«La fondation du P-SOL une obligation historique»
Entretien avec Heloisa Helena, sénatrice et membre de la direction du P-SOL (Parti du Socialisme et de la Liberté) *
Depuis la légalisation du P-SOL, le 15 septembre 2005, par le tribunal suprême électoral, des personnalités connues du PT l’ont rejoint. Ainsi, Plinio Arruda Sampaio s’est présenté comme candidat d’opposition à l’occasion des élections internes du PT pour la présidence de ce parti. Il avait une orientation de rupture avec la politique gouvernementale. A la fin du mois de septembre, de concert avec le député fédéral Ivan Valente – dirigeant d’Action populaire socialiste, APS, courant de la gauche chrétienne – Plinio Arruda Sampaio a déclaré rompre avec le PT car ce dernier n’était plus «un instrument de transformation de la réalité brésilienne». Les deux ont adhéré au P-SOL. Plinio Arruda Sampaio est très lié à la gauche chrétienne qui est en relation étroite avec le Mouvement des paysans sans terre (MST). Quatre députés fédéraux ont aussi rejoint le P-SOL. Il s’agit de Chico Alencar, Maria José Maninha, Joao Alfredo et Orlando Fantazzini. Ces deux derniers sont issus du courant Démocratie socialiste, dont la majorité continue à soutenir le gouvernement Lula et maintient un de ses membres au gouvernement, au ministère de la réforme agraire (Miguel Rosetto). D’autres adhésions significatives au P-SOL doivent être mentionnées, entre autre des membres de l’exécutif national de la CUT (la centrale unitaire des travailleurs). A cela s’ajoutent, dans le cadre de ce pays fédéraliste, des adhésions en provenance de députés régionaux, de conseillers municipaux et de nombreux militant·e·s.
Le regroupement en cours, selon la direction provisoire du P-SOL, doit déboucher sur l’élaboration d’un programme et d’une politique ayant son fondement dans l’indépendance de classe. L’actuel programme provisoire devra être dépassé. La perspective du P-SOL n’est pas celle de constituer une sorte de dénominateur commun programmatique minimal à perspective et fonction électoraliste. Dès le début, notre site et le MPS ont suivi et soutenu politiquement l’émergence et l’affirmation du P-SOL. Les tâches de cette organisation, dans le cadre national et international actuel ne sont pas aisées. Mais, l’affirmation du P-SOL, parmi d’autres éléments, sur lesquels nous reviendrons, constituent un contrepoids, certes limité, à l’ampleur de la défaite pour les classes populaires que représentent l’expérience finale du PT et sa politique gouvernementale. Réd.
Qu’est-ce que le P-SOL apporte de nouveau sur la scène politique brésilienne ?
Le P-SOL constitue un refuge pour la gauche socialiste et démocratique, une convergence entre diverses sensibilités politiques et un militantisme social qui, depuis deux décennies, propose à la gauche des alternatives différentes de celles proposées par le secteur hégémonique du Parti des travailleurs (PT), secteur qui a tué ce parti auquel nous avons consacré les meilleures années de nos vies.
Ce qui fut sa raison d’exister a été enterré. Le PT existe encore aujourd’hui du point de vue juridique et bureaucratique, mais c’est tout. Je sais que tout cela n’a pas entièrement commencé avec le gouvernement Lula ; le processus de dégénérescence et de bureaucratisation avait déjà commencé auparavant. Il avait d’ailleurs déjà été dénoncé par lesdits courants de gauche du parti, mais peut-être n’avons-nous pas fait ce qu’il y avait à faire avec la véhémence nécessaire, avec la force suffisante pour que ce processus ne continue pas de s’approfondir.
Le Parti des Travailleurs, à la grande tristesse de tous les militant·e·s qui ont aidé à construire le plus grand parti de gauche d’Amérique Latine, est aujourd’hui un outil médiocre de propagande triomphaliste du néolibéralisme. Il a légitimé, par son action en tant que parti gouvernemental, tout le discours néolibéral. Tout cela a constitué pour nous une sorte d’apprentissage qui nous a montré comment éviter de courir les mêmes risques que ceux dont nous venons d’être victimes en encourageant le processus de démocratie interne, l’articulation avec les mouvements sociaux et la stimulation permanente de la vie politique du parti.
Cette expérience a fortement troublé les gens dans leur vie même, puisque certains vont jusqu’à dire: «J’ai la plus grande admiration pour toi, mais qui me garantit que si un jour vous posez le pied sur le tapis du sol soi-disant sacré du Gouvernement, que vous n’allez pas changer de camp, vous n’allez pas commettre une trahison de plus ?» C’est en effet cela que beaucoup de gens pensent, ce dont beaucoup de gens parlent et sur quoi beaucoup se posent des questions.
Mais je réponds toujours: c’est un risque que nous allons courir ensemble. Puis je plaisante en disant que s’il arrivait de nouveau quelque chose de semblable, alors nous les parlementaires serions expulsés à nouveau [H. H. fait allusion à son expulsion du PT lorsqu’elle affirma son désaccord avec les premières contre-réformes du gouvernement Lula sur la sécurité sociale].
Je plaisante en disant que nous assumerons le risque ensemble. Mais nous pensons collectivement, pour que la démocratie interne et la participation de la base militante soient permanentes, solides, pour que ce collectif militant réduise les risques de dégénérescence et de bureaucratisation du parti. Je pense que nous ne pouvons jamais dire que nous détenons la formule magique du 100 % d’absence de risque. Mais nous ne pouvons pas permettre que la peur, le danger que constitue la peur, nous conduise au point de nous résigner avec tristesse face à la possibilité de dégénérescence… et ainsi de ne rien faire.
Toute cette expérience vécue au sein du PT, qui a culminé avec la bureaucratisation et la dégénérescence du parti qui se sont produites en dépit de l’action admirable des militants de la gauche de ce parti, est un apprentissage important pour que nous ne prenions pas les mêmes chemins que ceux qui ont conduit à la chose horrible à laquelle nous sommes en train d’assister [Outre sa politique néolibérale la direction du PT a été éclaboussée par divers scandales de corruption]. Le P-SOL est un projet collectif, construit par des militants socialistes expérimentés, qui ne se vendent ni ne se rendent.
De quelle manière le P-SOL réarticule-t-il la lutte pour le socialisme dans notre pays ?
La création du P-SOL fut une obligation historique. Parce que c’est aussi ce que le PT a historiquement accompli [au début des années 1980], sans parler du fait qu’il n’avait pas le droit de trahir, d’organiser une trahison de classe. Mais il ne peut pas maintenant, avec cette trahison, enterrer et annuler toutes les conceptions programmatiques de la gauche socialiste et démocratique. Il n’en est pas propriétaire. Et elles ne seront pas non plus la propriété du P-SOL. Mais notre parti, par une obligation historique, est né également pour honorer la mémoire de millions de militants de la gauche socialiste et démocratique au Brésil, en Amérique Latine et dans le monde qui ne se sont pas vendus ni ne se sont couchés devant le capitalisme. Et nous faisons cela avec beaucoup de joie, avec discipline et amour pour la classe ouvrière.
Le P-SOL peut contribuer de manière décisive et positive à la construction d’une issue socialiste et populaire à la crise. Le problème est de savoir quels sont les mécanismes que nous pouvons et pourrons utiliser avec nos possibilités en tant que parti et les possibilités de mobilisation sociale. Afin de formuler une issue, nous devrions, partant de l’indignation populaire, exiger des élections anticipées. Nous ne pouvons en effet pas uniquement proposer une Constituante parce qu’avec l’actuelle législation électorale, si la Constitution était modifiée actuellement, elle le serait en pire ! Si des élections anticipées doivent avoir lieu, il faut que ce soit pour tout le Congrès [chambre des députés et Sénat] et pour le président de la République également. Parce que la promiscuité institutionnalisée, les relations de copinage entre le Gouvernement et le Congrès National sont très claires.
Je pense que si le peuple brésilien fait preuve de générosité à l’égard de nous tous, c’est parce qu’il a assisté au processus d’expulsion à travers lequel nous sommes passés, et qu’il a vécu notre souffrance, nos larmes et notre lutte. Il a vu que nous n’acceptions pas la trahison. J’ai lu une fois, je ne sais plus où, que les larmes laissent des cicatrices dans l’âme, moi je dis toujours que nos cicatrices sont les blessures de gens qui ne sont pas devenus lâches, de gens qui ont été sur le champ de bataille et qui ont lutté pour ce en quoi ils croient.
Si nous ne devons pas nous enorgueillir des marques laissées par la bataille, elles constituent cependant les souvenirs des mois de gloire du gouvernement Lula pendant lesquels nous ne nous sommes pas vendus. Il faut dire que durant ces mois glorieux, à l’époque où nous avons été expulsés et où personne ne voulait parler, nous passions pour des fous, des extrémistes, ceux qui n’arrivaient pas comprendre le moment historique qu’on était en train de vivre. Et nous avons eu le courage, le culot même, d’honorer la mémoire de beaucoup d’autres qui s’étaient trouvés sur le champ de bataille et dont on ne se souvenait pas, qui avaient lavé le sang du compagnon blessé et enterré celui qui était mort. Qui avaient pleuré puis qui étaient retournés à la lutte. C’est pour cela que le peuple brésilien nous aime. Ce n’est pas du personnalisme. C’est parce qu’il s’identifie à nous. Même les gens qui, en raison des circonstances de la vie, n’ont pas eu la possibilité de rompre avec une structure déterminée de pouvoir pour réaliser leurs rêves, s’identifient avec notre lutte.
C’est seulement parce que cela n’était pas un projet individuel que je me suis rendue disponible pour construire un parti. Parce que, si c’était un projet individuel, j’irais m’occuper de ma vie personnelle. J’ai mis à disposition mon âme, mon cœur, ma santé et ma force militante socialiste parce que je sais que ce n’est pas un projet personnel, parce que je sais que ce n’est pas seulement la lutte de Luciana [Genro, députée de l’Etat de Rio Grande do Sul], de Baba [Joao Batista Baba, député de l’Etat du Parana], mais la lutte anonyme de millions de militants dispersés à travers tout le Brésil, et qui vivent des situations bien plus difficiles que les nôtres. Qui doivent avaler, comme nous devons avaler nos propres peurs, vaincre nos faiblesses, pour continuer à nous battre tous les jours. Parce qu’il y a beaucoup plus de gens qui luttent tous les jours beaucoup plus que nous, pour affronter des difficultés beaucoup plus grandes que celles qui parfois menacent d’épuiser notre capacité de réaction quotidienne. C’est pour cela que nous nous mettons à la disposition de ces gens.
De nombreux parlementaires, autant de la Chambre des députés que du Sénat, avec lesquels nous nous sommes affrontés tout au long de notre histoire et avec lesquels nous continuerons à nous affronter avec colère, parce qu’ils ont un projet en contradiction avec le nôtre, même ceux-là, quand nous étions en train de subir tout ce processus d’expulsion, étaient visiblement gênés. Ceux qui étaient les ennemis du projet Lula et qui sont traités aujourd’hui comme les chouchous du gouvernement, qui sont là à parasiter la machine publique comme ils l’ont d’ailleurs toujours fait, et beaucoup d’autres qui sont nos ennemis de classe et qui certainement ne feront jamais de trêve dans les batailles qu’ils nous livreront, même eux peuvent nous respecter.
Nous sommes dans ce combat parce que nous savons qu’il existe des millions de cœurs généreux, courageux et socialistes dispersés dans le pays en train de lutter pour un monde nouveau, riche de pain, de paix et de bonheur.
Et nous accueillons dans le P-SOL à bras ouverts les lutteuses et les lutteurs du PT, puisqu’il n’existe presque aucun espace au sein du PT pour qui se revendique comme socialiste de gauche. Ces personnes seront accueillies avec beaucoup d’affection et de solidarité par nous tous. Elles seront accueillies afin de nous aider à construire le présent à l’aide d’un instrument de lutte pour la classe ouvrière, un instrument qui n’est pas encore prêt mais qui est en voie d’élaboration. Beaucoup parmi nous représentent des traditions différentes du point de vue de la gauche internationale. Nous avons vécu des expériences différentes, nous venons de traditions différentes, mais nous nous respectons parce que nous sommes socialistes. Si nous n’avions pas cette attitude les uns envers les autres, alors nous ne pourrions être ensemble. J’espère que ces camarades pourront venir pour nous aider à construire le P-SOL en tant qu’un instrument de lutte au service de la classe ouvrière brésilienne. Ils ne seront pas seulement intégrés à un projet déjà construit, mais le projet, nous le construirons ensemble.
Et nous avons déjà gagné une étape. Nous étions de nombreux militants dispersés à travers tout le Brésil, qui souffrions et étions angoissés, mais nous ne nous sommes pas donné le droit de perdre l’espérance. Nous avons commencé à construire le P-SOL et avons obtenu sa légalisation en réunissant 450'000 signatures. Certains avaient déjà vécu d’autres expériences de parti et subi d’autres trahisons, mais le passé amer n’a pas été capable de les rendre inaptes la lutte. Et beaucoup d’autres personnes, qui n’avaient pas vécu l’expérience de la fondation d’une structure de parti, des gens simples, communs, qui ne se reconnaissaient pas auparavant comme socialistes internationalistes, sont venues vers nous par générosité, par tendresse et par respect à l’égard de tout ce processus d’inquisition à travers lequel nous étions passés. Toutes ces personnes ont été essentielles pour nous aider à passer cette première étape: la légalisation du Parti du Socialisme et de la Liberté.
* Cet entretien a été publié dans le bulletin Palavra Viva (parole vive)