Résolution de la Coordination nationale de la Démocratie socialiste (DS),
une des tendances internes du Parti des travailleurs (PT)
Nous publions, ci-dessous, la résolution de la Coordination nationale de Démocratie socialiste (DS), tendance du Parti des travailleurs, Brésil. Cette résolution a été adoptée le 7 février 2004. La tendance Démocratie socialiste a conservé sa représentation au sein du gouvernement récemment remanié par le président Lula. En effet, un membre éminent de Démocratie socialiste est à la tête du Ministère du développement agraire - autrement dit de la réforme agraire. Une réforme à pas de tortue. Mais d'une tortue sous-alimentée, c'est-à-dire ne disposant pas des ressources - en l'occurrence ici des fonds budgétaires - pour avancer à un pas raisonnable. Même si le qualificatif "raisonnable" implique d'être bien en deçà des espérances de la centaine de milliers de paysans qui sont, chaque année, expulsés de leurs terres; et qui s'additionnent aux centaines de milliers de sans-terre.
La direction de la DS, avec le poids de responsabilités dans un gouvernement salué par Cardoso comme exemplaire 1, n'a pas traité de ce genre d'expulsions. Elle a centré sa discussion sur la continuité des décisions prises lors de sa 7e Conférence nationale qui s'est tenue du 21 au 23 novembre 2003, dont la principale, très concrètement, reste celle d'une participation dans le gouvernement de Lula.
Elle affirme vouloir contribuer à "la formation d'un ample mouvement, dans le parti, dans le gouvernement, dans le parlement, dans la société". A priori, il semble que cet ample mouvement sera assez difficile à développer dans le gouvernement; à moins que le ministre du Développement agraire n'annonce, indirectement, par ce communiqué, qu'il va tenter d'écarter ou de bousculer, à la fois: le ministre de l'Agriculture, Roberto Rodrigues, représentant des grands latifundistes modernistes, le ministre de l'Economie, Palocci, et le patron de la banque centrale, Mereilles.
Quant à l'ample mouvement dans le parlement, pour l'heure il s'est soldé par des expulsions du PT et de sa fraction parlementaire des "quatre radicaux". Parmi eux, la sénatrice Heloisa Helena, membre de la DS. Elle est l'une des figures publiques les plus connues du PT. Elle fut ancienne dirigeante, sous Cardoso, de la fraction parlementaire du PT au Sénat.
Quant à Luciana Genro, autre députée fédérale de l'Etat de Rio Grande do Sul, membre du MES (Mouvement de la gauche socialiste), exclue du PT avec son amie Heloisa Helena, peu de chances existent qu'elle puisse susciter un ample mouvement dans le parlement! Et encore moins dans le gouvernement... où son père Tarso Genro a consolidé ses positions gouvernementales lors du dernier remaniement; un remaniement salué par la presse financière internationale.
La résolution de la DS présente au plan politique deux options à rejeter. La première, celle qui conduit à renoncer au programme historique du PT, autrement dit, de fait, avaliser l'orientation social-libérale (et même pas réformiste) du PT. La deuxième, celle qui marche sur les brisées de la construction d'un Mouvement pour un parti socialiste, révolutionnaire et démocratique (voir notre site, articles Brésil en date du 30.1.2004, du 20.1.2004 et du 7.1.2004), orientation définie comme sectaire. Deux questions viennent à l'esprit.
1° Tout d'abord, en quoi une participation, tranquille, d'un membre de la DS à ce gouvernement bourgeois de coalition constitue-t-elle une bataille politique et programmatique pédagogique face à ceux et celles qui accompagnent la dérive social-libérale (ou "néolibérale") du PT-gouvernemental, c'est-à-dire ceux que la résolution caractérise comme accompagnant "l'abandon du caractère programmatique historique du parti (PT)"?
De plus, si l'on caractérise le "gouvernement [comme étant] hégémonisé par le PT", - comme le fait la résolution de la DS présentée ci-dessous - alors la conclusion logique est terrible. L'orientation du parti hégémonique (le PT), pour autant que le terme ait un sens 2, se superpose à celle du gouvernement. En effet, hégémonique, le PT impose sa ligne. Cela conduit à reconnaître que l'orientation concrète du présent gouvernement Lula représente effectivement la ligne néolibérale du PT (social-libérale comme disait la "gauche radicale" française à propos de Jospin). L'alliance organique avec des secteurs décisifs du grand capital brésilien - que symbolisent la vice-présidence d'Alencar ou le rôle légalisé de centre de décision indépendant de la Banque centrale avec Mereilles, ancien PDG international de la BankBoston - n'expliquerait pas, à elle seule, le cours du PT. C'est le PT actuel - fruit d'une longue transformation institutionnelle et sociologique que sa large audience électorale ne réfute en aucune mesure - qui impose cette orientation pratique s'opposant aux besoins des masses laborieuses. Le jugement sur le PT, de fait, est donc des plus sévères de la part de la DS.
Mais alors, comment vouloir participer à la "construction d'un grand courant de gauche qui soit le pôle de référence de la reconstruction et du fonctionnement du PT en tant que parti socialiste et démocratique" tout en restant dans ce gouvernement, comme le fait Miguel Rossetto, la tête gouvernementale de la DS? C'est-à-dire en avalisant le cours du PT-gouvernemental et en accentuant toutes les adaptations socio-institutionnelles du PT, qui sortiront encore renforcées de la combinaison entre une avancée électorale aux municipales de l'automne 2004 - tremplins pour les prochaines élections à l'échelle des Etats - et le cours néolibéral du gouvernement.
Le "troisième voie" proposée par ce courant historique de la gauche du PT, la DS, risque bien de se solder par l'apparition d'une New-DS dans le New-PT, pour faire référence au passage du Labour Party au New-Bliar 3 Party.
On pourrait même se risquer à discuter le sens politique du terme "reconstruction" du PT. Car l'émergence d'un parti socialiste et démocratique - donc anticapitaliste, anti-impérialiste et socialiste - ne peut faire l'économie des profondes mutations à l'échelle nationale et internationale par rapport au début des années 1980. Dès lors, continuité et discontinuité seront des éléments essentiels pour l'affirmation d'un tel parti. La "reconstruction" posée comme répétitive, itérative, sera une fausse fenêtre comme l'ont été les tentatives des "refondateurs" des partis communistes (fruit du stalinisme) en Europe.
2° Ensuite, la caractérisation de sectaire pour ce qui a trait à l'option de la construction d'un nouveau parti socialiste, révolutionnaire et démocratique devrait être examinée de plus près. Peut-on qualifier les principaux signataires de l'appel pour un nouveau parti de sectaires dans leurs pratiques et dans leur orientation? Le faire revient, d'un côté, à condamner Heloisa Helena, Leandro Konder, Cid Benjamin pour sectarisme et, de l'autre, à épauler Miguel Rossetto pour sa bataille, silencieuse, dans le gouvernement.
De plus, la caractérisation de sectaire, au plan politique, est assez claire: cela revient à privilégier les intérêts d'appareil, grand ou petit, de positions institutionnelles, etc. face aux intérêts effectifs des travailleurs. Or, toutes les contributions de très nombreux intellectuels, dont certains ne participent pas au Mouvement pour le nouveau parti, comme César Benjamin ou Emir Sader, s'articulent sur une thématique: la politique concrète du gouvernement Lula ne répond pas aux besoins des masses laborieuses qui ont voté pour lui. Qui est donc sectaire? Poser la question, c'est y répondre.
Nous ne commenterons pas ici les choix organisationnels de la DS, même s'ils sont publics, comme l'ont été les expulsions des "quatre radicaux" du PT. Toutefois, l'appel aux membres est clair: quittez le Mouvement pour le nouveau parti. A ce propos, voir l'article du Jornal do Brasil, du 8 février 2004, consacré à la prise de position d'Heloisa Helena en faveur du Mouvement pour un nouveau parti (voir la traduction sur ce site: "Entretien avec Heloisa Helena").
C.-A. Udry et Ernesto Herrera
Notes
1. Voir le quotidien mexicain L'Universal qui résume la conférence organisée à New York par Jorge G. Castaneda, ex-ministre des Affaires étrangères du Mexique du président Vicente Fox.
2. Hégémonie signifie suprématie d'une cité, d'un peuple dans une fédération. Cela dans le sens grec. Dans le sens moderne, hégémonie signifie autorité, direction, pouvoir, suprématie. C'est-à-dire que le PT impose son orientation aux autres forces, par exemple aux représentants du grand capital.
3. En anglais menteur se dit: liar.
1. La Démocratie socialiste, une des tendances internes du Parti des travailleurs, a réalisé sa 7ème Conférence nationale les 21, 22 et 23 novembre 2003. Le centre des débats a alors tourné autour de la nouvelle situation au Brésil depuis l'élection de Lula à la présidence. Plus particulièrement, cette Conférence a été axée sur l'évaluation critique de l'expérience de presque une année de gouvernement dominé par le PT, sur l'impact de cette expérience sur les mouvements sociaux et sur le PT, sur les débats stratégiques ouverts, aussi bien par rapport aux alternatives programmatiques que par rapport à la question décisive de la construction partidaire [du parti des travailleurs] au Brésil.
2. La Conférence a jugé valable la poursuite de la défense des valeurs positives issues de l'histoire du PT (la contribution programmatique; le droit de tendances et le droit à la démocratie interne; les conquêtes féministes; la synthèse des expériences et des forces de gauche). Dans ce cadre, cette Conférence a également souligné la nécessité de renouer les liens entre le parti et l'ample mouvement politico-social qui gravite autour du PT.
3. La Conférence a décidé l'intervention dans la bataille d'orientation au sein du PT en se basant sur la légitimité de la défense d'un projet historique et stratégique d'un parti socialiste et démocratique. Et, face au développement d'un conflit au sein du parti, la Conférence décida de mettre en avant la construction d'un grand courant de gauche qui soit le pôle de référence de la reconstruction et du fonctionnement du PT en tant que parti socialiste et démocratique. La construction de ce courant et la lutte pour la reconstruction socialiste du PT représentent l'alternative aussi bien à toute tendance favorable à l'abandon du caractère programmatique historique du parti (PT), qu'aux démissions en vue de la construction d'un projet sectaire de parti politique. En effet, les deux tendances renoncent à l'expérience de la construction d'un parti de masses, socialiste et démocratique.
4. La Conférence [de novembre 2003] a approuvé une résolution spécifique " En défense de la démocratie " contre les expulsions des parlementaires du PT. Nous avons annoncé que si l'expulsion de la camarade Heloísa Helena venait à être exécutée, nous présenterions immédiatement un recours auprès de la prochaine Rencontre nationale du PT, en proposant y compris d'en avancer la date. Cette initiative cherchait également à maintenir des liens politiques avec notre camarade, en vue de renforcer l'orientation décidée lors de notre Conférence, à savoir la bataille pour l'orientation à l'intérieur du PT.
5. La Direction nationale du PT, réunie le 14 décembre 2003, a décidé d'expulser quatre parlementaires pétistes. Parmi ces derniers, la députée fédérale Luciana Genro et les députés fédéraux Babá et João Fontes, qui militaient déjà pour la création d'un nouveau parti politique. Ce n'était pas le cas de la camarade Heloísa Helena. A cette séance de la Direction nationale du PT, nous avons unifié tous les courants minoritaires du PT autour d'une seule déclaration contre les expulsions, à laquelle s'est joint le sénateur Eduardo Suplicy. Toujours à la même réunion, le camarade Walter Pinheiro a présenté, au nom de la Démocratie Socialiste, un recours auprès de la Réunion nationale du PT.
6. Encore au mois de décembre 2003, quelques militant-e-s de la DS de Rio et de l'Etat de Paraná ont signé un manifeste qui symbolisait leur sortie du PT et ont affirmé leur engagement dans la construction d'un nouveau parti.
7. Le 19 janvier 2004 à Rio de Janeiro, quelques militant-e-s de la DS ont participé à une réunion et ont signé un manifeste pour la création d'un nouveau parti politique.
8. La proclamation d'un nouveau parti politique et les tâches déjà prévues pour sa mise en pratique constituent un droit et une option politique de celles et ceux qui en expriment la nécessité. Pourtant, la Coordination nationale de la DS affirme que cette initiative est en opposition frontale avec les délibérations de notre dernière Conférence nationale (points 1 à 4).
9. La Coordination nationale de la DS, tendance du PT, élue lors de la 7èmeConférence nationale, lors de sa première séance, le 7 février 2004, décide:
- d'appeler les militant-e-s qui ont démissionné à re-adhérer au PT afin que nous donnions suite, ensemble, aux résolutions de la 7èmeConférence, renforçant ainsi notre courant et non en l'affaiblissant ;
- d'appeler toutes et tous les camarades de renouer les liens avec notre courant, en arrêtant de se compromettre dans la formation de ce nouveau parti ;
- de contribuer à la création d'un ample mouvement, dans le parti, dans le gouvernement, au Parlement, dans la société, qui fasse pression sur le PT afin que ce dernier revienne à ses positions historiques et sur le gouvernement Lula afin qu'il applique les transformations sociales que le peuple et les travailleuses et les travailleurs désirent ardemment ;
- d'expliquer à l'ensemble du Parti des travailleurs que les propositions, attitudes et paroles de ces camarades qui ont démissionné du PT et qui militent pour la construction d'un nouveau parti ne représentent pas les membres de la tendance Démocratie socialiste, soit l'orientation exprimée lors de la Conférence nationale; et de même ils n'ont pas l'accord de sa Coordination nationale.
São Paulo, le 7 février 2004