Bolivie

Evo Morales: combien de temps durera la lune de miel ?

Selon une enquête d'opinion réalisée en février 2006 par la firme Apoyo, Opinion y Mercado, le 79% de la population de La Paz, Cochabamba et Santa Cruz approuvent la gestion gouvernementale du président Evo Morales. Le vice-président Alvaro Garcia Linera obtient un soutien de 71% selon cette enquête réalisée auprès de 1'011 personnes âgées de 18 à 70 ans.

Le 87% de la population d'El Alto [ville de 800'000 habitants paupérisés, surplombant La Paz] pense qu'Evo Morales tiendra sa promesse de former une Assemblée constituante [en août 2006]. Alors que 85% espèrent qu'il mettra en œuvre le référendum sur l'autonomie [autonomie des diverses régions, tenant compte des diverses populations indigènes].

A La Paz, l'appui à Morales est très élevé à (hauteur de 80%); il en va de même à Santa Cruz: entre 70 et 73%. Le 66% croit que Morales arrivera au bout de son mandat présidentiel de 5 ans dans un pays connu pour son instabilité politique; c'est ce qu'indique l'enquête publiée par le quotidien La Razon de La Paz.

La popularité du président s'est révélée le dimanche 26 février lorsqu'il participa à la grande réunion folklorique de Oruro, ville où se déroule la plus grande manifestation du carnaval en Bolivie. Dans l'avenue du 6 août, devant la tribune d'honneur, construite pour recevoir la délégation gouvernementale, Evo Morales fut porté en triomphe par la foule. Deux danseuses du groupe la Morenada Mejillones ont invité le président et le vice-président à descendre de la tribune pour danser. Les deux représentants gouvernementaux ont accepté avec plaisir. Par trois fois, ils furent invités par divers groupes de danseuses pour participer au bal. Et chaque fois ils l'ont accepté, descendant de la tribune d'honneur sous les applaudissements et les ovations de la foule [ceci, a contrario, indique la distance existant antérieurement entre les gouvernants et la population indigène, de la ville historique, minière, de Oruro].

Evo Morales a rappelé: "Le carnaval de Oruro me rappelle des souvenirs de ma jeunesse, de mon enfance et je me rappelle même avoir eu le rôle de trompettiste. Entre 1977 et 1979, nous avons joué dans l'orchestre Imperial pour divers groupes du carnaval de Oruro tels que la Ferrari, Ghezzi, la Mejillones et bien d'autres groupes".

L'écrivain bolivien Nestor Taboada Teran a proposé que le président soit candidat au prix Nobel de la paix dans le cadre d'une campagne internationale. Nestor Taboada Teran, historien, écrivain, essayiste, journaliste, qui a publié plus de cinquante titres, a envoyé le 7 février une lettre à la Fondation Nobel afin de présenter la candidature de Morales avec l'argument que ce dernier "était un lutteur authentiquement indigène qui a obtenu une victoire historique dans les urnes".

Morales traverse une bonne conjoncture politique, malgré les heurts avec l'ambassade des Etats-Unis. Une membre du Congrès nord-américain, Nita Lowey, ayant une grande influence dans le Comité d'adjudication budgétaire de la Chambre des représentants des Etats-Unis s'est réunie avec le président le 24 février. Elle s’est s'engagée à défendre de façon décidée la continuation de l'appui au programme économique mis en œuvre en Bolivie. Elle a déclaré: "Je sais qu'il y aura un appui à cette proposition dans le Congrès des Etats-Unis, parce que nous comprenons l'importance de la relation entre les Etats-Unis et l'Amérique Latine et nous voulons la renforcer".

Tout n'est pas du miel

Malgré l'appui populaire repérable dans l'enquête mentionnée, le gouvernement Morales doit faire à de dures mises en questions provenant d'organisations sociales qui se situent aux deux extrêmes de l'éventail politique. Le gouvernement s'efforce d'assumer une position centriste, position qui ne convient ni aux secteurs radicaux de la droite de Santa Cruz, ni à la gauche "extrémiste" de l'occident du pays, parmi lesquels se trouvent la Fédération des juntes de quartiers (la Fejuve) de la ville de El Alto et le puissant syndicat des enseignants.

L'acceptation du projet de loi convoquant l'Assemblée constituante, projet préparé par la Commission Mixte de Constitution, a provoqué une prise de distance face à l’exécutif de la part des forces de droite de Santa Cruz. Le Comité civique et la fraction parlementaire de Santa Cruz pensent que le projet du gouvernement met en péril la réalisation du référendum d'autonomie et n'assure pas que les résultats de ce référendum seront pris en considération à l'occasion des réformes portant sur la Constitution Politique de l'Etat (CPE).

On pense que le Congrès va tenir une séance le mercredi 1er mars pour examiner le projet de loi concernant la convocation de l'élection d'une Assemblée constituante. La Commission Mixte de Constitution laisse aux membres du Congrès la décision finale de fixer les modalités de l'élection et le nombre de membres constituants. La Commission a reçu 22 projets de lois provenant de partis, de regroupements citoyens, de parlementaires, de régions et de comités civiques.

De plus, la Fejuve de El Alto a rompu la trêve avec Morales exigeant une décision plus claire du "gouvernement indigène" pour ce qui à trait à la nationalisation des hydrocarbures et à la liquidation de l'appareil législatif néolibéral, qui se concrétise dans le fameux décret 21060. Les habitants de El Alto réclament l'installation de conduites de gaz dans chaque domicile, des constructions publiques pour améliorer les conditions d'urbanisation, l'installation de l'eau et la diminution du prix des services de base concernant l'eau et l'électricité.

Carlos Rojas secrétaire d'organisation de la Fejuve a informé, le mercredi 22 février, que le gouvernement avait empêché aux dirigeants de la Fejuve de participer à une réunion qu'Evo Morales a tenu avec diverses organisations sociales de El Alto. Le rapprochement du gouvernement avec les milieux d'entrepreneurs fâchent les habitants, car au même moment les portes du gouvernement se ferment face à leurs organisations de base.

Le gouvernement a déclaré qu'il ne va pas étatiser les hydrocarbures et que, au contraire, il maintiendra son partenariat avec les transnationales du gaz et du pétrole. De même, il s'est refusé à éliminer le décret 21060 qui a instauré le régime néolibéral dans le pays. Le gouvernement affirme que ce décret ne peut être abrogé parce qu'il a été élevé au rang de loi au travers de l'article 13 de la Loi sur les investissements. Le ministre du travail, Alex Galvez, explique que le changement de cette norme légale serait très difficile puisqu’a été forgée une sorte d'enchaînement avec diverses autres lois. Ces dernières devraient, à leur tour, être modifiées. C'est à partir de ces considérations qu'est fournie l'explication selon laquelle un décret n'est pas suffisant pour éliminer le décret 21060. Il faut une loi pour faire cela.

Morales avait promis [lors de la campagne électorale] un salaire minimum qui ne serait pas inférieur à 130 dollars pour tous les travailleurs. Toutefois, il n'a offert qu'une augmentation de 7% aux instituteurs [alors que la promesse électorale pour ce secteur était de 1'500 bolivianos, soit 185 dollars ; l’augmentation faite correspond à 6 dollars] Il y a déjà eu des grèves sur la question salariale dans les hôpitaux de Santa Cruz et de Potosi.

Pour ce qui a trait à l'Assemblée constituante, le MAS propose trois représentants pour chacune des 70 circonscriptions, représentants élus au suffrage direct. Cette proposition est rejetée comme ayant des traits typiquement libéraux par les organisations syndicales, sociales et indigènes. Elles réclament des circonscriptions spéciales pour les populations indigènes.


(Article de Bolpress, traduit par la rédaction de A l’Encontre).


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