labreche  

 

         
Boillat-Reconvillier
homeR
 

«On est en train de donner un exemple en Suisse»

Interview : Guy Zurkinden

Après la première grève de novembre 2004, les ouvriers de la Boillat à Reconvilier ont relancé leur mouvement face à la volonté de la direction de déplacer la fonderie à Dornach. L’entretien qui suit a été réalisé sur un piquet de grève, le mercredi 15 février au soir avec trois ouvriers qui ve­naient d’apprendre, comme leurs collègues, que la direction de Swissmetal refusait d’entrer en négociations sur la base des propositions du « médiateur » Rolf Bloch. La grève se poursuivait donc. Les prénoms des ouvriers –  Antonio, Patrick et Louis  – sont fictifs : Louis est membre de la commission ouvrière depuis plusieurs années.

Quel a été l’élément déclencheur de cette deuxième grève menée à la Boillat, quatorze mois après la première ?

Patrick – C’est le non-respect du protocole d’accord signé après la grève de 2004. Tout est parti de là : Hellweg, le directeur, avait garanti la pérennité de l’entreprise dans le protocole, et tout à coup ils ont décidé que ça n’allait plus, qu’il fallait transférer la fonderie à Dornach, alors que la fonderie c’est la base de la Boillat : sans la fonderie, il n’y a plus rien. Nous, après la grève de 2004, après la signature du protocole, on a ré-accordé notre confiance à la direction, on est partis dans une logique de développement du site, on a cru à ce que Hellweg nous avait dit. Mais il n’a absolument pas respecté le protocole, il a trompé tout le monde. Il nous a mystifiés.

Antonio – Il y avait beaucoup de choses qui n’allaient plus. Alors on s’est dit : c’est maintenant qu’on peut lutter ou alors ce sera trop tard ; ils vont commencer à licencier, à démanteler la fonderie, puis le tirage, puis la presse ; dans deux ans. tout aurait été terminé, il ne serait plus rien resté de la Boillat.

La décision de transférer la fonderie suivait une série de changements dans l’entreprise ?

P. – Oui, il y a eu tout un travail de sape fait par Hellweg depuis 2003 : il a éliminé les cadres compétents, l’encadrement s’est réduit à une peau de chagrin. En fait, il éliminait tous ceux qui disaient non : les décisions étaient incohérentes, des gens étaient humiliés, ça devenait impossible de travailler convenablement. Ce travail de sape était en marche depuis 2003, puis il y a eu la grève en novembre 2004, mais ça a continué en 2005. ça devenait intolérable, et on a dû dire « stop » car on a compris que le but de la direction était de démanteler la Boillat.

Selon vous, quel est le but de la direction de Swiss­metal ?

P. – Ils veulent démanteler l’entreprise. Ils veulent retirer le maximum de capital, sortir toute la substance de Recon­vilier pour faire de l’argent. La stratégie de M. Hellweg, c’est du saucissonnage : il s’agit d’évacuer des gens, de démanteler. Il utilise de belles paroles, mais sa seule stratégie, c’est de se faire de l’argent sur notre dos, à court terme. On en avait un peu conscience en 2004 ; en 2005 on en a encore plus pris conscience ; et maintenant on est au clair : on a affaire à un truand.

A. – Ils ont une logique de démantèlement de l’entreprise : ils ont décidé d’acheter Busch-Jaeger en Allemagne, soi-disant pour y faire les mêmes produits qu’ici. Ils veulent démanteler le site, et puis aller je ne sais où, à Dornach ou en Asie. Je crois pour ma part que cela fait longtemps qu’ils avaient pris cette décision. Ce que je ne trouve pas normal, c’est qu’ils le font avec une usine qui est rentable.

Louis – Pour moi, l’une des causes de ce démantèlement, c’est qu’on a refusé un plan de flexibilisation du travail : ils voulaient nous imposer de travailler beaucoup plus les grosses périodes, et nous renvoyer à la maison quand il y a moins de travail : en fait du travail sur appel. On a dit non : parfois, on a travaillé le vendredi soir, le samedi, le dimanche quand il y avait beaucoup de travail, mais là ils voulaient nous l’imposer, nous faire signer notre acceptation, et on a refusé. Le directeur ne l’a pas avalé. Tandis qu’à Dornach, c’est une grande majorité de frontaliers qui y travaillent. Ils peuvent les dominer comme ils le veulent, ils y font ce qu’ils veulent.

Comment la grève s’organise-t-elle ?

P. – Ce sont les équipes qui sont censées travailler qui gardent l’usine : on fait les piquets de grève en fonction des horaires de travail de chacun. L’usine fonctionne en trois fois huit, vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Donc là, par exemple, je fais mon équipe jusqu’à 22 h, puis l’équipe de nuit va arriver.

A. – Moi, je viens demain matin de 5 h à 13 h 30. Il y a aussi beaucoup de monde qui vient le week-end.

P. – Chaque jour on tient une Assemblée ouvrière à 13 h 30, on y fait le point de la journée, et on prend ensuite les décisions. On y vote chaque jour la poursuite de la grève.

Après trois semaines de grève, la direction de Swissmetal campe sur ses positions : elle vient de refuser la proposition du « médiateur » [mercredi 15 février, n.d.l.r.] nommé par Joseph Deiss, Rolf Bloch, leur proposant d’annuler les licenciements, de nommer un directeur de site et de lever le lock-out de l’usine en échange d’une reprise du travail. Une majorité (219 contre 37) des ouvriers avait ac­cepté cette médiation. Comment voyez-vous la suite de votre lutte ?

A. – Si la direction de Swiss­metal avait accepté l’accord proposé par Rolf Bloch, on aurait pu commencer à travailler, mais il nous faut des garanties. Si on recommence à travailler et que demain ils viennent démanteler l’usine, ça ne va pas. Donc on veut travailler, on veut livrer les clients, mais on veut aussi la garantie que le site reste là, que le protocole d’accord soit respecté. Parce que si on se met à travailler et que quinze jours après, ils ferment l’usine, c’est mieux qu’on fasse quelque chose avant qu’après.

P. – On était censés re­prendre le travail au moment où les négociations reprenaient. On avait accepté ça. Maintenant le directeur a refusé, car c’est bien clair : sa stratégie, c’est le démantèlement. De toute façon il est nécessaire que la direction accepte certaines parties du protocole pour pouvoir redémarrer le travail, c’est-à-dire de réintégrer les cadres licenciés, ce qui calmerait la situation. Tant que cela ne sera pas fait, on ne recommencera pas à travailler.

L. – S’il n’y avait pas de risques quand on s’engage dans une lutte, ce serait trop beau, tout le monde le ferait. Pour moi –  mais je comprendrais celui qui ne peut pas ou ne veut pas  – on doit aller jusqu’au bout. On est trop engagés. Hellweg, on doit le faire plier. C’est l’unique solution qui va nous rester.

A. – Chaque jour qui passe, la direction perd Fr. 300’000.–. Donc ils ont déjà perdu pas mal d’argent…

Quelles sont les difficultés que rencontre votre mouvement après trois semaines de grève ?

L. – Ce n’est pas facile : il y a beaucoup de facteurs qui entrent en ligne de compte : les caractères –  il y a celui qui est pessimiste, celui qui est optimiste, celui qui a la trouille… Et après trois semaines de grève, il y a un problème financier qui se pose : quand on va arriver au 25 février, jour de paie, on va se retrouver avec un trou de Fr. 1500.– à Fr. 2 000.– sur un salaire. C’est énorme : les assurances ont augmenté, tout a augmenté en Suisse, et ce mois-ci il va nous manquer énormément d’argent. Ça, c’est un facteur qui va jouer un rôle primordial au niveau de la continuité ou pas du mouvement… Il faudrait trouver de l’argent pour qu’une personne qui a des enfants ne perde pas trop et qu’elle puisse se relancer dans la lutte. On a lancé une récolte de fonds, qui a rapporté déjà Fr. 106’000.–. Mais Fr. 106’000.–, divisés par 350 ouvriers, ce n’est rien. Alors on vient d’ouvrir un compte : on va faire en sorte que ça apparaisse à la TV, comme la Chaîne du bonheur, avec le numéro du CCP. Et si chacun contribue à son niveau… Mais je sens les gens motivés : hier à la séance quand on a posé la question : « Etes-vous prêts à continuer ? », les trois-quarts des ouvriers ont crié « Oui, on est prêts ! »

Quelles solutions voyez-vous pour sortir victorieux de la lutte et maintenir la Boillat à Re­con­vilier ?

P. – Je ne vois qu’une solution venant de l’extérieur : Rolf Bloch, le médiateur. J’ai beaucoup d’espoir par rapport à lui. Il a vu qu’il y avait un problème avec le  conseil d’administration de Swissmetal. Il voit le problème : que le directeur décide de tout, et que les autres sont des marionnettes. Il faut donc que Bloch mette de l’ordre dans la maison Swiss­metal. En attendant, on va continuer à faire la grève, à être solidaires, continuer à faire le forcing jusqu’au bout pour permettre à M. Bloch d’avancer, de gagner du terrain : si on lâche maintenant, on perd tout.

L. – Mais Bloch, que veux-tu qu’il fasse ? C’est un industriel millionnaire… ça ne l’intéresse pas de savoir qu’à nous, il nous manque Fr.  2 000.– à la fin du mois. Il a proposé un « accord », qui a été balayé par la direction. C’est comme quand on nous dit que le Conseil fédéral va entrer en jeu : c’est du bla-bla.

Quand on commence une lutte on va jusqu’au bout ; il n’y a pas d’échappatoire. En 2004, j’étais de ceux qui ont dit Non à l’accord avec la direction ; hier on était 37 à voter Non à la proposition de médiation, parce qu’on sait que Hellweg est un menteur. Parmi les 37, on est quelques-uns à avoir l’idée de faire une autogestion : prendre possession des lieux nous-mêmes, nous mettre à notre compte, vendre pour nous-mêmes. Devenir propriétaire de l’entreprise, c’est la dernière alternative : nous, les ouvriers, on devient les patrons, comme le font des ouvriers en Argentine. C’est une idée qu’il faut qu’on développe : on peut proposer à des anciens cadres de revenir nous aider, on peut faire appel à des anciens directeurs à la retraite… Les clients sont là : ils attendent seulement qu’on leur livre nos produits.

P. – C’est une bonne idée, mais il y a un monde entre la théorie et la pratique… En plus c’est illégal.

L. – Mais on est déjà dans l’illégalité maintenant !

P. – L’idéal ce serait d’arriver à ça, c’est sûr, mais il y aura du boulot…

L. – Je dis pas pour toujours, mais une année, deux ans, en attendant qu’on trouve les fonds. En attendant, on serait indépendants. Il y a aussi un pool d’actionnaires qui voudraient racheter la Boillat, mais le prix est beaucoup trop élevé pour eux.

Votre grève rencontre un large soutien dans la population…

A. – On a des soutiens de tous les côtés : de Suisse, de la Vallée, des gens versent de l’argent, d’autres amènent des choses à manger. Quand on a fait la manif samedi, il y avait 10’000 personnes. Beaucoup ont amené quelque chose.

L. – La manifestation du samedi 11 février était exceptionnelle. Je pense que ces 10’000 personnes étaient aussi là par rapport à tout ce qu’elles ont souffert : combien ont subi des injustices, ont souffert du mobbing, de la pression ? Eh bien ils étaient là, donc ils s’identifient à nous. Et ils espèrent qu’à travers nous, les choses changent un jour. Est-ce qu’on y arrivera ? Moi j’y crois. On est en train de donner un exemple en Suisse…

 
         
Vos commentaires    

Haut de page