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Boillat-Reconvillier
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Une grève exemplaire

On nous a annoncé à de multiples reprises son décès. Celui de la classe ouvrière. Plusieurs nous disaient: "La lutte des classes, c'est du passé." Les travailleuses et travailleurs de Swissmetal à Reconvilier (la Boillat) ont montré que ce ne sont là que des balivernes.

Leur lutte, quelle que soit son issue, est exemplaire. Au moment où nous bouclons cette édition, dans la matinée du mardi 21 février, ils entreprennent leur 28e jour consécutif de grève. La forme de leur lutte est également significative: une grève reconductible, de jour en jour, avec occupation de l'usine et protection militante des stocks pour en empêcher le déménagement. Enfin, les salariés ont résisté avec courage aux pressions et mesures de représailles: annonce de 120 licenciements, mise à l'écart des cadres, licenciement de Nicolas Wuillemin, le président de la représentation des employés, décisions judiciaires visant à interdire le blocage de l'accès à l'usine, etc. Bref, il s'agit d'un processus d'auto-organisation collective exemplaire.

L'enjeu de la lutte des travailleurs et travailleuses de Reconvilier est clair: la défense de leurs emplois, de "leur" boîte. La direction de Swissmetal veut en effet supprimer au moins un tiers des postes de travail et concentrer les activités de fonderie à Dornach, son autre site de production en Suisse. C'est l'avenir même de la Boillat qui est en jeu.

Face à cette logique patronale, que fait la direction du syndicat UNIA? Que dit-elle? Qu'il est inacceptable qu'une infime minorité de boursicoteurs détermine l'avenir de milliers de familles, d'une région toute entière? Que le syndicat va élargir la lutte afin de contraindre de tels rapaces financiers à renoncer à leurs projets de démantèlement? Que nenni! Elle appelle, de fait, à la reprise du travail… A ses yeux, "chaque semaine, chaque jour de grève supplémentaires représentent un danger" et "continuer de jouer les héros ne sert à personne" (André Daguet, membre du Comité directeur d'UNIA, SonntagsZeitung, 19 février 2006). Ce alors que le Quotidien jurassien relève que "leur position [des grévistes] demeure aussi déterminée qu'au premier jour de la grève" et que "dans la région tout entière, on se mobilise" (20 février 2006).

Cette attitude des bonzes syndicaux n'est pas une surprise. Si les syndicalistes locaux se sont engagés à fond pour épauler les grévistes, la position de la direction centrale d'UNIA face à la grève a été, d'emblée, pour le moins ambiguë. Ainsi, au moment où Swissmetal annonçait ses projets, notamment la concentration des activités de fonderie à Dornach, Fabienne Blanc-Kühn, membre du Comité directeur d'UNIA, décrétait qu'"une grève (…), ce n'est pas ça qui débloquera la situation" (L'Illustré, 23 novembre 2005). La décision d'entreprendre un mouvement de grève a d'ailleurs été prise à l'insu des bonzes syndicaux. Et, tout au long du conflit, ces derniers ont laissé entendre publiquement que la poursuite de la grève posait problème.

Tout aussi grave: la direction centrale d'UNIA n'a rien entrepris pour renforcer, au-delà de la région concernée, le mouvement de solidarité aux travailleurs et travailleuses de la Boillat. Il aurait été décisif, pour accroître la pression sur les patrons et leur Conseil fédéral, de faire de cette lutte un enjeu national: par un appel dans la presse de tout le pays à soutenir financièrement les grévistes (ce qui aurait permis d'éviter des baisses de leurs rentrées); par l'organisation d'une grande manifestation populaire à Berne; par la mise sur pied, partout, de comités de soutien à cette grève; par l'organisation d'actions, ne serait-ce que symboliques, sur les lieux de travail. Bref, il aurait été indispensable de briser l'isolement de la lutte de la Boillat. Or, les dirigeants d'UNIA n'ont même pas convoqué une assemblée du personnel du site de Dornach! Certes, Renzo Ambrosetti, coprésident d'UNIA, annonçait, au 24e jour de grève, que "nous allons l'organiser prochainement" (area, 17 février 2006)…

Reste à espérer que les grévistes ne se laisseront pas abuser et qu'ils continueront leur combat. Arrêter la grève sans avoir obtenu satisfaction sur leurs revendications centrales les priverait en effet de tout moyen de contrer les projets et manœuvres de Hellweg et consorts. Comme le dit à juste titre Nicolas Wuillemin: "Seules comptent nos revendications. Nous ne devons pas tomber dans le piège de la sympathie vis-à-vis de nos clients, même si notre grève fait des dégâts. Leur ampleur ne dépend pas de nous, mais de la direction et du conseil d'administration de Swissmetal" (Quotidien jurassien, 2 février 2006).

Quoi qu'il en soit, ce mouvement de grève est un signe d'espoir. La mobilisation collective est en effet la seule voie pour défendre nos droits de salariés et notre dignité. Plus largement, la lutte des travailleurs et travailleuses de la Boillat permet de mettre le doigt sur le fait que la logique de l'accumulation du capital – tout est soumis, comme l'illustre le cas de Swissmetal, à l'exigence de rentabilité financière, au détriment de l'emploi, des conditions de vie des salariés et des intérêts d'une région toute entière – est profondément inacceptable. L'exigence d'une autre société, fondée sur la logique de la satisfaction des besoins sociaux, n'en trouve là qu'une nouvelle confirmation: les hommes et les femmes doivent passer avant les profits, le droit à l'emploi avant le fric des actionnaires!

 
         
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