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La continuité d’une politique au service du capital

Giuseppe Sergi

Le projet de cession de la participation majoritaire de la Confédération dans Swisscom a suscité de multiples réactions et même l’annonce d’un référendum.

L’essentiel de ces réactions se sont cependant focalisées uniquement sur la question de la structure de propriété de Swisscom : une approche nettement trop limitée.

Il est certain qu’il existe une relation étroite entre la modification de la structure de propriété des ex-régies fédérales et la politique menée par celles-ci. Dans le cas de Swisscom, cela relève de l’évidence. La transformation en société anonyme et sa cotation en bourse (c’est-à-dire la vente d’une partie de l’entreprise à des investisseurs privés) a constitué une étape importante dans le développement d’une logique de marché tendant à la valorisation du capital à travers la réalisation d’un profit en mesure d’égaler celui réalisé par les entreprises du même secteur et, en moyenne, d’autres secteurs.

L’arrivée de capitalistes-actionnaires privés a permis à Swisscom de justifier toutes ses décisions en matière de personnel (la suppression de milliers d’emplois, les plans de restructuration, les attaques contre les salaires, l’augmentation des rythmes de travail, etc.) de même que ses décisions stratégiques. Malgré leur statut minoritaire, les actionnaires privés ont de fait conditionné et déterminé les choix d’ensemble de l’entreprise : voilà le lien fondamental entre changement de propriété et domination des intérêts du capital privé par rapport au rôle du service public.

Cela dit, le cas de La Poste montre que la structure de propriété n’est pas nécessairement un obstacle au développement d’une logique de rentabilité financière. La Poste n’est en effet pas une société anonyme : elle est restée une société de droit public complètement contrôlée par la Confé­dération. Pourtant, à certains égards, sa politique est encore plus brutale et plus radicale que celle conduite par Swisscom (et par les CFF, transformés en société anonyme mais avec un seul actionnaire, pour l’instant en tous cas : la Confédération). Les profonds et violents processus de restructuration, la diminution constante des coûts (à commencer par ceux du personnel), la destruction du concept de service public –  en tant que droit des citoyens à disposer d’infrastructures en mesure de répondre à leurs besoins de manière appropriée  – l’illustrent. Une politique qui a amené La Poste à engranger un bénéfice de près de 1 milliard de francs sur le dos des travailleur·e·s et au détriment du service public.

En réalité, ce sont surtout la législation et les directives mises en œuvre par ladite « classe politique » (parlement et gouvernement), à partir du moment où les régies fédérales ont commencé à perdre leur nature d’entreprises publiques (à partir de 1996, avec les réformes qui ont touché aussi bien les ex-PTT que les CFF – des réformes, rappelons-le, soutenues par l’ensemble de l’establishment politique institutionnel), qui ont donné une contribution décisive au développement de cette logique de rentabilité financière. C’est bien dans les diverses lois et dans les objectifs que le Conseil fédéral fixe chaque année que nous trouvons les indications auxquelles se référent souvent les dirigeants de ces entreprises lorsqu’ils sont confrontés aux accusations de vouloir réaliser des profits à tout prix, réduire les coûts et être concurrentiels sur le marché international. C’est dans ces orientations politiques et stratégiques que l’on trouve les fondements de la logique de rentabilité financière appliquée au sein des ex-régies fédérales. Et cela, il vaut la peine de le rappeler, quelle que soit leur structure de propriété. Cette dernière, si jamais, sert, pour l’essentiel, à pérenniser ces politiques : il devient en effet difficile, une fois qu’une société anonyme agit dans un marché concurrentiel, de revenir en arrière…

A partir de ces considérations, il apparaît évident que la bataille, certes nécessaire, contre l’éventuelle décision des Chambres fédérales de renoncer à la majorité des actions de Swisscom ne permettra pas de modifier la politique menée par l’entreprise. Il serait illusoire de penser, par exemple, qu’avec un référendum contre cette décision l’on combattra la « privatisation » de Swisscom : celle-ci est déjà intervenue et sa politique, guidée par la logique de rentabilité financière, continuera même si la majorité des actions devait rester entre les mains de la Confédération. Le problème de fond est donc ailleurs. On peut le formuler comme suit : pour quelles raisons, tout au long de ces dernières années, la Confédération, actionnaire majoritaire de Swisscom, a permis que la politique de cette dernière soit déterminée, pour l’essentiel, par les intérêts de la minorité de ses actionnaires et, en particulier, du cercle restreint de détenteurs d’un grand nombre d’actions ? En réalité, nous connaissons la réponse : la « classe politique » dominante souscrit, aujourd’hui comme hier, à cette politique.

Bref, sans remettre en cause les dispositions législatives qui ont amené Swisscom (tout comme La Poste et les CFF) à développer une logique de marché, une éventuelle victoire sur la vente des actions de la Confédération risque de ne pas servir à grand-chose, surtout si l’objectif est de faire en sorte que Swisscom revienne à une logique de service public.

 
         
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