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Campagne contre la LEtr et la LAsi
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Les vrais enjeux d'une campagne

Lionel Roche

Le 16 décembre dernier l’Assemblée fédérale adoptait la nouvelle Loi sur les étrangers (LEtr) et la 6e révision de la Loi sur l’asile (LAsi). Elle mettait ainsi un point final au processus global de durcissement de la politique migratoire engagé en 2000 par le législateur suite au rejet par le peuple de l’initiative des 18 %.

Ce durcissement s’inscrit dans le cadre de l’adaptation de la Suisse à la politique européenne en matière de recrutement de main-d’œuvre extra-européenne, d’organisation du travail et de pression à la baisse sur les salaires. Les objectifs visés par l’adoption de la LEtr et de la LAsi doivent donc être envisagés dans la perspective d’une politique d’ensemble englobant à la fois les accords bilatéraux I & II, les accords de Schengen/ Dublin, et plus largement les différentes offensives à l’œuvre contre le droit du travail (attaques contre le droit au chômage, démontage des CCT, extension des horaires de travail, Loi contre le travail au noir, etc.), les droits sociaux (démontage de l’AVS, de l’AI, de l’aide sociale, etc.) et le bien commun (démantèlement des services publics assorti d’une politique d’externalisation des tâches à des entreprises sous-traitantes employant massivement des travailleurs précaires dont les requérants d’asile et les sans-papiers).

Avec la LEtr et la LAsi la Suisse, qui possède déjà l’une des politiques migratoires les plus dures du continent, franchit un pas supplémentaire dans la discrimination et l’arbitraire. Plus que jamais xénophobie et utilitarisme ont force de loi. Ces deux textes consacrent des formes éhontées d’esclavage moderne et de marchandisation de l’être humain qui, en s’attaquant aux catégories les plus vulnérables de la population résidente et des salarié·e·s, menacent à terme l’ensemble de la population.

LEtr : une loi xénophobe et utilitariste

Pour commencer, rappelons qu’il n’y a pas de rupture fondamentale entre la LEtr et la Loi sur le séjour et l’établissement des étrangers (LSEE) actuelle. Dans l’ensemble la LEtr ne fait qu’inscrire dans la loi des dispositions qui pour la plupart existent déjà sous forme d’ordonnances. Il s’agit donc essentiellement d’une mise à jour du droit des étrangers, de son adaptation en fonction des besoins de l’économie et des transformations géopolitiques dictées par la mondialisation de l’économie et l’intégration de la Suisse à l’Europe.

Au niveau général, la LEtr renforcera le droit d’exception, à savoir un droit différent appliqué aux personnes en fonction de leur origine et de leur qualification. La LEtr élargit le principe de préférence nationale à l’emploi à celui de préférence communautaire, en vertu de l’adhésion de la Suisse aux accords de libre circulation des personnes et à l’espace de Schengen/Dublin. Pour em­baucher un/une extra-européen·ne les employeur devront prouver n’avoir trouvé personne sur le marché de l’emploi ni en Suisse, ni au sein de l’Europe des 25. De plus la loi exclut le recrutement de main-d’œuvre non-qualifiée pour n’autoriser que le recrutement de travailleurs qualifiés et spécialisés utiles à l’économie. On retrouve ici l’opposition entre immigration choisie et immigration subie. Il s’agit donc d’une loi strictement xénophobe et utilitariste, taillée sur mesure pour les besoins du patronat. Pour s’en convaincre, il suffit d’examiner la principale nouveauté de cette loi, à savoir la généralisation des permis de courte durée : les défenseurs de la LEtr évoquent souvent la suppression officielle du statut de saisonnier pour dire tout le bien qu’ils pensent de la nouvelle loi et tenter de faire passer la pilule. Les apparences sont trompeuses, car avec la généralisation des permis de courte durée, la loi introduit un statut pire encore1. Désormais l’immense majorité des extra-européens ne seront autorisés à venir travailler en Suisse que pour une durée d’un à deux ans au maximum. A l’issue de cette période ils seront obligés de quitter la Suisse quand bien même l’employeur souhaiterait les garder. Ils pourront déposer une nouvelle demande d’autorisation d’entrée après une période « appropriée » (sans que le contenu de ce terme ne soit précisé). Avec cette mesure le législateur met plus que jamais à disposition du patronat une armée de réserve de travailleurs et travailleuses corvéables à merci et jetables après usage et répond ainsi aux exigences des employeurs en matière de flexibilisation de la force de travail et d’annualisation de la production. Ici, il est également légitime de se demander si l’on ne s’achemine pas tout simplement, à terme, vers la suppression pure et simple des autorisations de séjour et d’établissement. Les dispositions concernant la suppression de la conversion automatique des permis B en C après dix ans de séjour s’inscrivent également dans cette logique. De même pour le renforcement des dispositions prévoyant le retrait de l’autorisation des séjours (permis B) ou d’établissement (permis C) en cas de chômage de longue durée ou de risque de dépendance durable des assurances sociales, par exemple pour les travailleurs et travailleuses victimes de graves accidents du travail.

La LEtr détériore également gravement les possibilités de regroupement familial : auparavant, les parents immigrés pouvaient officiellement faire venir leurs enfants jusqu’à 18 ans. Dans la pratique les choses étaient certes différentes, mais au moins cette possibilité était inscrite dans la loi. La LEtr abaisse l’âge limite des enfants ayant droit au regroupement familial à 12 ans. De plus les parents devront déposer la demande dans les 5 ans après leur arrivée en Suisse. Les enfants de plus de 12 ans pourront exceptionnellement être autorisés à immigrer pour autant que leurs parents déposent une demande dans les 12 mois après leur entrée en Suisse. Dans tous les cas, les autorisations de regroupement familial sont subordonnées à des critères économiques extrêmement élevés (emploi fixe, salaire suffisant, logement décent) et cumulatifs qui sont parfaitement incompatibles avec la situation de personnes maintenues dans la précarité. Tout en maintenant for­mellement les possibilités de regroupement familial, ces dispositions permettent en pratique de refuser l’immense majorité des demandes. En conséquence, les parents tenteront, en désespoir de cause, de faire venir leurs enfants sans autorisation et essayeront de les faire régulariser sur place. Cette « politique » augmentera d’autant le contingent déjà important de mineurs sans-papiers et, en conséquence, de drames familiaux.

Enfin, la LEtr enterre largement les possibilités de régularisation des sans-papiers, même au cas par cas. Les propositions de la gauche visant à l’attribution de permis humanitaires pour les cas d’extrême gravité ont été balayées lors des votes au parlement. Parallèlement, les principales dispositions visant à dissuader et contrôler les employeurs ont également été supprimées des mesures de lutte contre le travail au noir. Autrement dit, les esclavagistes ont le champ libre alors que les mesures répressives contre les sans-papiers sont renforcées : la LEtr prévoit un nouveau type de détention appelé « détention pour insoumission », qui permettra de maintenir ces personnes en prison pour une période pouvant aller jusqu’à deux ans, ceci en vue d’organiser leur renvoi et alors même que ces personnes n’auront commis aucun délit.

LAsi : la liquidation du droit d’asile

La 6e révision de la loi sur l’asile (LAsi) signifie simplement l’enterrement du droit d’asile dans ce pays. La loi révisée permettra à la Suisse de refuser 98 % des demandes d’asile. Elle multipliera les non-entrées en matière, accélérera les procédures et facilitera les renvois. Au final, les personnes exclues du droit d’asile se retrouveront dans les soutes de l’économie suisse, en tant que travailleurs et travailleuses sans-papiers.

Parmi les principaux durcissements, notons que désormais tous les requérants se présentant dans un centre d’enregistrement afin d’y déposer une demande sans être en mesure de présenter des papiers d’identités dans les 48 heures se verront automatiquement signifier une décision de non-entrée en matière. Ils disposeront alors de cinq jours pour déposer un recours et pourront être emprisonnés durant cette période. Or deux tiers des requérants ne disposent pas de papiers d’identités à leur arrivée en Suisse : soit il leur était impossible de les prendre ou de les faire établir avant de fuir leur pays, soit leurs papiers ont été séquestrés par les passeurs lors du « voyage ». Les autorités ont parfaitement connaissance de cette réalité mais choisissent sciemment de l’ignorer.

La LAsi prévoit également d’exclure de l’aide sociale tous les requérants qui après avoir obtenu l’entrée en matière sur leur demande d’asile auront ensuite été frappés par une décision négative en première instance. Ces déboutés du droit d’asile, y compris les femmes et les enfants, seront alors assujettis à l’aide d’urgence (huit francs par jour, logement collectif dans des centres-dortoirs, obligation de se présenter à la police chaque semaine). Cette aide pourra être supprimée en cas de refus de « collaborer » au renvoi, à savoir si les personnes concernées ne sont pas en mesure de fournir les documents de légitimation nécessaires (carte d’identité, acte de naissance, acte de baptême, etc.) à l’établissement d’un laissez-passer. La LAsi produira donc non seulement des sans-papiers, mais aussi des sans-logis.

La possibilité d’une admission pour raison humanitaire, que la gauche parlementaire avait en son temps utilisée pour justifier son vote d’entrée en matière sur l’examen de la loi, est également supprimée. Elle est remplacée par une admission provisoire, accordée au cas par cas par les cantons, et dont la durée sera limitée à 12 mois. Quant à l’admission définitive pour cas de rigueur, elle sera conditionnée à des critères extrêmement restrictifs.

A tout cela s’ajoutent des mesures répressives extrêmement sévères, comme la possibilité accordée à la police de perquisitionner le logement des requérants sans mandat judiciaire, le renforcement des mesures de contraintes (doublement de la durée maximale de détention en vue de l’exécution du renvoi qui passe de 9 à 18 mois, plus détention pour insoumission), enregistrement des données biométriques (possibilité de soumettre les mineurs à des tests osseux en cas de doute sur leur âge), etc.

Une campagne nécessaire. Saura-t-elle être utile ?

Si elles s’inscrivent dans la continuité du droit en vigueur, la LEtr et la LAsi n’en marquent pas moins une dérive sans précédent. Impulsé par l’UDC –  et les milieux patronaux  – le durcissement de la politique migratoire a été repris par les partis dits du centre (PDC, PRD) qui espéraient ainsi la concurrencer sur son terrain. Quant à la gauche, elle a très longtemps choisi d’accompagner cette dérive de peur de se trouver en porte-à-faux avec toute une partie de son électorat (cf. La brèche No 1 et No 10)

Aujourd’hui une résistance tardive, timorée et dispersée se met enfin en place : depuis le 27 décembre, deux référendums sont lancés contre ces lois : le premier contre la LEtr –  soutenu au niveau national par les Verts, UNIA, le FIMM et Solidarités sans Frontière  –  le second contre la LAsi –  soutenu par le PSS, l’OSAR, l’ACAT et Amnesty Interna­tional. En Suisse romande, en Suisse alémanique et au Tessin, plusieurs comités référendaires locaux se sont constitués. Toutes ces forces ont jusqu’au 6 avril pour récolter deux fois 50’000 signatures.

Si l’on peut raisonnablement penser que les référendums aboutiront, la campagne de votation à venir a, en revanche, de quoi sérieusement inquiéter. En effet, pour l’instant la résistance s’exprime surtout autour d’arguments de pure forme et malheureusement très peu sur le fond : l’argumentation majoritaire con­siste à fustiger les attaques contre la prétendue tradition humanitaire de la Suisse : la LEtr et la LAsi choquent car elles vont trop loin, trop vite, trop fort. Cette ligne argumentative cache mal une posture qui, sur le fond, accepte l’essentiel des durcissements proposés et ne conteste que les éléments les plus choquants de ces deux textes. A notre sens, elle manque surtout l’essentiel : le rôle de levier que ces deux lois jouent au service de la division et de la mise en concurrence de toutes et tous les travailleurs de ce pays, la baisse généralisée des salaires et du pouvoir d’achat ainsi que la précarisation des conditions de travail.

Renoncer à affronter ces problèmes revient à se priver des arguments qui permettraient en partie de dépasser les barrières de la xénophobie et du racisme. La lutte contre ces fléaux passe inévitablement par la reconquête d’un discours en faveur de l’unité et de la solidarité des travailleurs et travailleuses. Comment espérer convaincre des salarié·e·s suisses déjà fortement désécurisé·e·s par l’offensive ultra-conservatrice en cours de voter contre la LEtr et la LAsi, si on ne leur explique pas que leurs conditions de travail et de vie dépendent largement du respect et de la valorisation de celles des travailleurs migrants, ainsi que du respect de leur dignité humaine ?

Que toutes celles et tous ceux qui s’inquiètent d’un éventuel autogoal en cas de lourde défaite lors des votations osent enfin aborder les vrais problèmes et passent résolument à l’offensive. Les immigré·e·s et requérant·e·s d’asile n’ont besoin ni de pitié, ni de charité mais simplement de respect et d’égalité de traitement.

1. Les statuts de saisonnier (permis A) étaient certes indéfendables mais ils étaient au moins convertibles en permis de séjours B après neuf saisons consécutives de travail en Suisse. Les permis de courte durée excluront cette possibilité.

 

 
         
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