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Genève
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Retour sur élection Paolo Gilardi Le 9 octobre, le paysage parlementaire genevois vivait une petite «révolution»: pour la première fois depuis 1943 aucune force située à gauche du Parti socialiste n’y a été élue. C’est ce qui a permis à ce grand pourfendeur de «rouges» devant l’éternel qu’est le fonctionnaire patronal Pierre Weiss [1] de déclarer que, «quinze ans après la chute du mur de Berlin, Genève s’est enfin mise à l’heure…». Et d’appeler d’ailleurs à «en finir avec les autres vestiges du communisme», à savoir ce qui reste d’une politique «sociale» en matière d’assistance et santé publiques ou d’éducation, notamment. (TSR, 9.10.05). Nouveau rapport de force parlementaire La disparition de la composante Alliance de gauche (AdG) de la grande famille de la soi-disant «gauche» en a démoralisé plus d’un, d’autant plus que la division des différentes forces de l’AdG prive de représentation parlementaire les presque 15 % des électeurs qui ont voté pour l’une ou l’autre des deux listes ou pour celle des «communistes» [2]. L’écrasante majorité parlementaire dont disposent les partis bourgeois, à savoir les trois partis de l’Entente genevoise et l’UDC – que l’arrivée du Mouvement des citoyens genevois rend désormais «respectable» – a été largement médiatisée dans le but évident de l’étendre à l’ensemble du rapport de force social. Autrement dit, il s’agit de faire comme si les rapports de force parlementaires étaient l’expression directe et automatique du rapport de force social. Et, partant, de légitimer par là comme expression de la volonté populaire les attaques antisociales que la majorité parlementaire de droite ne va pas manquer de déclencher. Un miroir déformant Rien pourtant ne permet de conclure à un Grand Conseil qui exprime les rapports de forces réels dans la société. Tout d’abord parce que, en termes de voix exprimées, les résultats obtenus par les partis de l’Entente ne sont pas sensiblement supérieurs à ceux réalisés par les verts, les socialistes, les deux listes de l’AdG et celle des communistes. Mais, plus fondamentalement, il est faux de prétendre à la représentativité de ce Grand Conseil dans la mesure où une fois déduit le tiers d’habitants privés des droits élémentaires, les «immigrés», seuls 41 % se sont rendus aux urnes. Or, d’un point de vue mathématique, 41 % des deux tiers ayant le droit de vote ne représentent pas plus de 27 % de participation, ce qui n’est pas forcément… représentatif. En ce sens, une comparaison s’impose avec le vote du 25 septembre sur les Bilatérales, et ceci tant au niveau de la participation que des résultats. En septembre, la participation avait été supérieure à 60 %, une indication supplémentaire du fossé évident entre les préoccupations des gens et la représentation politique. Cette crise de représentation s’exprime par ailleurs de manière bien plus profonde auprès des salarié·e·s que parmi l’électorat bourgeois. Ainsi, par exemple, les taux de participation lors de l’élection du Grand conseil dans les villes suburbaines: celui de la «banlieue rouge», est nettement inférieur aux 41 % de la moyenne cantonale: il est de 32 % à Vernier, alors qu’il avait été de 62 % le 25 septembre ; il est de 34 % à Meyrin alors qu’il l’avait été de 63 % deux semaines plus tôt à propos des Bilatérales. A contrario, la participation le 9 octobre dans les quartiers bourgeois dépasse la moyenne cantonale, à l’exemple de Cologny où elle atteint 52 %, soit 11 points de plus que la moyenne cantonale. L’enracinement des libéraux Ces chiffres sont un instrument de mesure des liens organisationnels existants entre les partis et les secteurs sociaux qu’ils sont censés représenter. Structuré par les syndicats patronaux, la Chambre de commerce, la Chambre immobilière, l’association des banquiers privés et le Touring Club Suisse, l’électorat libéral est à ce titre le plus discipliné. Il l’est dans la mesure où ce parti ne se borne pas à se revendiquer «relais parlementaire» des véritables mouvements sociaux que sont les institutions citées: il en est directement partie prenante, la représentation politique n’étant que l’instrument de la réalisation des intérêts de classe que ces mouvements expriment. A l’inverse, tout à gauche de l’échiquier politique – ce qui n’est en fin de compte qu’un positionnement géographique – les liens organiques avec les salarié·e·s sont des plus distendus. La vocation affirmée à vouloir être les «relais parlementaires des luttes et des mouvements sociaux» exige à la fois l’existence de ces luttes et mouvements et la participation pleine et active à leur construction. Et, si ce n’est pas en désertant les syndicats ou les mouvements au profit de la longue marche… dans les institutions qu’on contribue à les construire, leurs faiblesses et l’absence de luttes de fond réduisent le «parlementarisme- relais» au parlementarisme tout court… Entre gens de bonne volonté Dès lors, les contenus de classe cèdent le pas à la politique des bonnes idées, des bonnes volontés. Or, le cœur n’étant, depuis un célèbre débat télévisé, monopole de personne, c’est à une communauté d’intelligences, de postures en société, que cette politique dispose. Les bonnes volontés se rencontrant, les divergences fondamentales deviennent quant à elles secondaires. La cooptation des «intelligences» déploie tous ses effets. Partant, les contenus sociaux s’estompent, disparaissent. Les messages publicitaires, des affiches de la campagne du 9 octobre en sont l’expression la plus affligeante: la volonté affirmée par les uns de «changer de politique» (au profit de quelle autre politique ?) entre en concurrence avec la prétention des autres de «prendre les choses en main» (mais pour faire quoi ?). Ni les uns ni les autres ne contribuent en quoi que ce soit à la clarification des enjeux, à la politisation des gens. Voilà la lutte des classes dissoute dans une lutte… des places. Pourtant, ces choix, ces clarifications, cette politisation sont aujourd’hui encore plus importants qu’hier. Forte de son écrasante majorité parlementaire et confortée par un parti des Verts qui, sortant renforcé des élections et affranchi de la combativité rhétorique de l’AdG, pourra donner libre cours à ses tendances libérales, la bourgeoisie va porter des attaques encore plus violentes contre les salariés, notamment dans la fonction publique. Rafale de référendums ? Les formations de l’Alliance de gauche ont dès le soir du 9 octobre annoncé leur volonté de continuer à intervenir dans l’arène institutionnelle par «la multiplication des référendums». Fort bien ! Sauf que ceux qui croiraient qu’on pourrait gagner les batailles référendaires sans une refondation politique et organisationnelle du dispositif de défense des salarié·e·s risquent d’être aussi déçus que ceux qui croyaient qu’il suffirait de s’autoproclamer «relais des mouvements» pour être élus. Or, les appels de la «gauche» qui se dit – et, pour beaucoup de ses membres, se veut sincèrement – radicale à l’occasion de l’élection du Conseil d’Etat du 13 novembre ne vont pas précisément – et c’est un euphémisme – dans le sens d’un réarmement politique des salarié·e·s. Est-ce en effet les préparer aux batailles contre le budget de rigueur que d’appeler, ainsi que le font toutes les composantes de l’Alliance de Gauche et la Communauté genevoise d’action syndicale, à voter pour Robert Cramer, qui non seulement appuie ce budget mais se vante d’avoir initié dans son département le projet GE-Pilote combattu par les syndicats de la fonction publique ? Est-ce politisant et propice au renforcement des salarié·e·s que d’appeler à voter pour Charles Beer et Laurent Moutinot, magistrats du parti (PS) grâce auquel la privatisation des télécoms a pu avoir lieu, grâce auquel les CFF et la Poste ont été transformés en entreprises autonomes avec droit de licencier ? Voter pour les magistrats du parti qui fut en 1999 à l’origine, par sa conseillère d’Etat depuis lors promue à de plus hautes tâches, de la célèbre table ronde dont le programme de démantèlement fut balayé en votation populaire ? Avec Spoerri-la-matraque ? Bref, est-ce politisant et de gauche que d’appeler à voter pour l’écolo-libéral Hiler, l’ancien maoïste qui, sur le ton de la confidence [3], fait savoir par voie de presse que ce sont «Hitler et Lénine les personnages historiques qu’il hait le plus» ? De quoi trouver un terrain d’entente avec le démocrate Pierre Weiss dans l’élimination des «scories genevoises du communisme»… Est-ce politisant enfin d’avoir appelé, à l’instar de certaines représentantes du Parti du Travail et de solidaritéS, à voter pour Micheline Spoerri, celle dont les exploits lors du G8 lui ont valu le sobriquet de Spoerri-la-matraque ? Un appel du genre – parce que c’est au nom de la parité des genres qu’il est fait – en faveur de celle qui mit la ville en état de siège, qui a couvert les tirs à l’arme interdite contre Denise Chervet, secrétaire de comedia, qui interdit les manifestations du GSsA que le Tribunal Administratif autorise, est-il vraiment un moyen pour nous renforcer dans la bataille référendaire contre la nouvelle loi sur les manifestations ? Poser la question, c’est y répondre.
2. Une proposition de ces derniers d’une liste commune avec solidaritéS se serait heurtée à une contre-proposition un brin méprisante – de celles que le PdT opposait aux propositions du Parti socialiste ouvrier à la fin des années 1970 – de la part des dirigeants de solidaritéS (www.lescommunistes. org). 3. Parce que la presse intelligente, celle qui exècre le «populisme», c’est à coup de confidences et de portraits intimes qu’elle nous informe ; une sacrée preuve d’ailleurs de la considération dans laquelle elle tient les lecteurs et électeurs.
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