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Pour une caisse unique et sociale

Joël Varone

Le projet de caisse unique et sociale peut être une tête de pont pour une refonte sociale de notre système de santé.

Le 9 décembre 2004, l’initiative populaire «Pour une caisse maladie unique et sociale» était déposée par le Mouvement populaire des familles (MPF) et une quinzaine d’autres organisations. Le comité d’initiative avait récolté plus de 113’000 signatures après une campagne difficile durant laquelle il s’était démené pour trouver au dernier moment le soutien de la gauche institutionnelle. Celle-ci voulait oublier l’échec de son initiative de 2003 demandant l’introduction d’une prime d’assurance maladie pondérée en fonction du revenu [1].

Unique, publique et sociale

Son but: sortir du système actuel de concurrence encadrée entre les caisses maladies privées et créer une caisse unique contrôlée paritairement par les milieux concernés.

L’initiative prévoit ainsi que «le conseil d’administration et le conseil de surveillance de cette caisse comprennent un nombre égal de représentants des pouvoirs publics, des fournisseurs de prestations et des organisations de défense des assurés» [2].

Toutes les prestations fournies selon le catalogue de base en vigueur au 1er janvier 2003 seraient prises en charge par cette caisse unique. En revanche, le domaine des assurances complémentaires continuerait à être soumis aux règles du marché, donc aux assureurs privés comme actuellement.

Lors de sa constitution, la caisse unique reprendrait les actifs et passifs des assurances privées actuelles pour tout ce qui concerne l’assurance obligatoire des soins. Les réserves et les provisions seront obligatoirement transférées à la caisse unique car ces fonds appartiennent aux assurés et non aux caisses.

L’initiative ne vise toutefois pas seulement à assurer un contrôle démocratique et une transparence dans l’assurance de base à l’aide d’une caisse unique. Elle va plus loin en s’attaquant au caractère fortement antisocial du système actuel. L’initiative tient ainsi à rompre avec la logique de la prime par tête et demande à la Confédération qu’elle «fixe les primes en fonction de la capacité économique des assurés».

Le Conseil fédéral et les chambres du Parlement fédéral sont ouvertement contre cette initiative. Il en va bien sûr de même pour l’organe faîtier des assureurs maladie: Santésuisse. Avec un budget annuel ponctionné sur les primes maladies de près de 30 millions de francs, Santésuisse joue son avenir contre cette initiative. Nul doute qu’une fois une date pour la votation fixée, son budget gonflera alors allégrement.

Si la caisse unique et sociale devait passer en votation, ce serait un revers terrible non seulement pour Santésuisse qui disparaîtrait, mais aussi et surtout pour l’ensemble de la bourgeoisie suisse qui jusqu’à présent a réussi à éviter toute conquête sociale majeure tant en matière de droit du travail que d’assurances sociales.

Contre-arguments de Santésuisse

Pour l’instant, Santésuisse concentre toute son argumentation sur l’incapacité de l’initiative à résoudre en soi l’augmentation globale des coûts de la santé. «Ce n’est pas le système d’assurance et ses assureurs maladie indépendants qui sont responsables de l’évolution des coûts, mais bel et bien les conditions-cadre actuelles tels l’obligation de contracter, les transferts de coûts des pouvoirs publics vers l’assurance maladie, les surcapacités dans nombre de domaines, les exigences croissantes des assurés, les incitations à une multiplication superflue des actes médicaux.» [3]

Cependant, Santésuisse est loin de rester sur une position défensive et veut aligner ses propres remèdes face à l’augmentation des coûts. Ces projets de réforme sont repris en grande partie par le Conseil fédéral et vont dans le sens d’une accentuation des logiques de marché avec une libéralisation accrue de ce secteur. Il en va par exemple ainsi de la levée de l’obligation de contracter pour les assureurs qui pourront ainsi exclure certains médecins ou certains établissements de leurs listes et exercer un contrôle serré sur la relation patient-médecin. La logique marchande guide aussi la volonté de revoir à la baisse le catalogue des soins remboursés par l’assurance de base ou encore celle d’introduire le financement moniste des hôpitaux par les caisses maladie (cf. La brèche No 17).

Le système de concurrence entre les caisses établi par la Loi sur l’assurance maladie (LAMal) montre, dix ans après son introduction, son inefficacité. La concurrence se limite à la chasse aux bons risques et à l’optimisation des gains réalisés grâce au système de compensation de risques. Pour Santésuisse cependant, le défaut viendrait uniquement du fait qu’il n’y a pas encore assez de marché et de concurrence dans le système !

L’aspect offensif de Santé­suisse quant à sa défense d’un système concurrentiel ne peut se comprendre autrement que par l’enjeu que représente cette votation pour la bourgeoisie suisse. Après l’échec de la libéralisation du marché de l’électricité, cette dernière se doit de mener une forte campagne idéologique afin de défendre ses positions, de défendre la liberté d’entreprise au détriment du contrôle démocratique, la légitimité des bénéfices au détriment de la couverture des besoins de la population.

Aussi Santésuisse met-elle la population en garde contre la «bureaucratie» de la caisse unique. Elle fustige les dangers d’un monopole qui imposerait ses «diktats» aux assurés et aux prestataires de soins qui seraient «mis sous tutelle». La caisse unique ferait même «exploser les coûts» en déresponsabilisant les assurés qui consulteraient à tout va… Qu’en est-il réellement ?

Les points forts de l’initiative

Avec les hausses annoncées des primes maladies, l’intérêt de la population pour la caisse unique n’a fait que croître. Cet intérêt est accentué par l’inefficacité du système dit de concurrence encadrée. La concurrence entre les caisses est très faible. Non seulement il y a un phénomène de concentration des caisses (de 1151 en 1945 à 87 actuellement dont une petite dizaine de caisses «mammouth») qui atténue les différences entre les caisses, mais la population ne change guère volontiers de caisse et a autre chose à faire que de devoir comparer les prix des caisses maladie. Ainsi, le nombre d’assurés changeant de caisse en fin d’année oscille entre 2,5 et 5 % du total des assurés. Les assurés au bénéfice d’une assurance complémentaire, surtout s’ils sont âgés, sont aussi peu enclins à changer de caisse.

La caisse unique ne viendra donc pas remplacer un système de concurrence qui fonctionne, au contraire. Elle permettra de mieux planifier les prestations ambulatoires et hospitalières prises en charge par l’assurance de base en offrant une transparence et une lisibilité comptable qui n’existe pas actuellement. Le Tribunal fédéral est allé jusqu’à interdire l’accès aux pièces comptables des caisses à l’Association suisse des assurés en raison du «secret des affaires». L’opacité des caisses maladie serait alors brisée par une caisse unique sous contrôle des milieux intéressés. Mieux, des économies substantielles pourraient être faites avec une réduction des réserves. Les promoteurs de l’initiative espèrent ainsi pouvoir économiser entre 1 et 2 milliards de francs. Les frais de publicité seraient également réduits à zéro.

Si la caisse unique permet la transparence et un contrôle démocratique sur la planification, la gestion et le financement d’un bien commun comme la santé, le texte de l’initiative entame une autre brèche dans l’actuel système en s’attaquant à la logique antisociale des primes par tête. En proposant de pondérer les primes selon la capacité économique des assurés, l’initiative permet de reposer correctement la problématique de la croissance continue des coûts de la santé.

Coûts et financement

En effet, le vrai problème n’est pas la croissance continue des coûts de la santé, ni même le fait que cette croissance soit plus élevée que celle de notre PIB, mais l’obligation qui nous est faite de dépenser une part toujours plus grande de notre richesse pour notre santé. Cette charge excessive touche surtout la classe moyenne inférieure, celle qui ne bénéficie pas du système d’allégement des primes. Avant de vouloir combattre l’augmentation des coûts de la santé, il convient de se demander si la demande de soins, qui augmente plus vite que le revenu, est le fait d’un dysfonctionnement et d’abus dans le système ou alors l’expression d’un besoin social profond qui refléterait les conditions de travail et de vie insupportables imposée par le système économique et social néo-libéral. En particulier, il conviendrait de savoir quelle est la part des politiques incessantes de flexibilisation et de précarisation des conditions de travail dans l’évolution des coûts de la santé. Si cette augmentation répond à des demandes croissantes de la part de la population, pourquoi refuser d’accorder plus de richesse à la santé ? Pourquoi, alors que la part des bénéfices non investis n’a cessé de croître par rapport au PIB, serait-il illégitime de penser financer des dépenses accrues dans le domaine de la santé ?

Le vrai problème est moins l’augmentation des coûts de la santé que la répartition actuelle du financement de ces derniers. En effet, le système de santé suisse n’est que très peu solidaire. L’Etat ne participe qu’à hauteur de 18 % du total du financement de la santé, alors que les ménages en financent le 64,7 %. On s’aperçoit donc que pour près des 2/3 des dépenses en matière de santé, il n’existe pratiquement aucun mécanisme de solidarité (du moins en fonction des capacités économiques).

Une brèche à élargir

En proposant non seulement une caisse unique, mais aussi une caisse sociale, l’initiative a le grand mérite d’ouvrir une brèche dans l’actuel système de santé et de laisser entrevoir des réformes plus en profondeur, vers un système de santé social répondant aux besoins de la population quel que soit son revenu. Cependant, l’initiative pour une caisse unique et sociale se pose à contre-courant des réformes actuelles (notamment la 2e révision de la LAMal) et ses propositions ne sauraient se réaliser sans être portées par un mouvement social fort qui puisse non seulement garantir que les modalités de l’initiative seront respectées (notamment le degré de pondération selon la capacité économique), mais qui puisse aussi élargir ses revendications à l’ensemble du système de la santé, en commençant par la défense de l’hôpital public et la remise en cause de la grande pharma privée.

Des comités de soutien à l’initiative devraient voir le jour dans la plupart des villes de Suisse dans les prochains mois, c’est sur eux que pourra se construire une réponse positive à l’insatisfaction de la majorité des assurés. C’est par eux et par eux seuls que l’initiative pourra s’imposer.

1. Lors de son Assemblée des délégués du 22 juin 2003, le PS suisse renonçait à lancer une initiative populaire pour une caisse unique. Au même moment, le MPF décidait de lancer malgré tout l’initiative «Pour une caisse maladie unique et sociale». Les PS des cantons romands apportèrent un soutien à cette initiative dans les derniers mois de récolte.

2. Texte de l’initiative introduisant un article 117 al. 3 nouveau (disponible sur www.caisse-unique.ch)

3. Santésuisse, Papier de positionnement, Caisse unique, 20.12.2004

 

 
         
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