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Les comptes bureaucratiques d’un déni de droit

Les autorités ont publié un rapport sur les requérants d’asile victimes d’une décision de non-entrée en matière (NEM). Eclairages sur cette comptabilité effarante.

Lionel Roche

Depuis le 1er avril, les requérants d’asile victimes d’une décision de non-entrée en matière (NEM) sont exclus de l’aide sociale (cf. La brèche No4). Ces personnes n’ont plus droit à aucune aide financière et sont expulsées de leur logement. Assimilées à des étrangers en situation irrégulière, elles doivent immédiatement quitter la Suisse par leurs propres moyens. Dans le cas contraire, elles s’exposent à des mesures de contraintes. En cas de «détresse», elles ont la possibilité de solliciter une aide d’urgence en vertu de l’art. 12 de la Constitution fédérale.

Le 26 octobre dernier, l’Office fédéral des réfugiés (ODR) a publié un premier rapport sur leur situation, portant sur la période avril-juin 2004. Que montre ce rapport?

Arbitraire et dissuasif

Au «bilan des coûts de l’aide d’urgence à la charge des cantons et des indemnités fédérales perçues», le rapport se félicite du fait que seules 15% des 1788 personnes frappées d’une décision NEM entrée en force aient recouru à l’aide d’urgence pour un total de Fr.162’000.–, tous cantons confondus. Six cantons (GL, GR, JU, NW, ZG, ZH) n’ont alloué aucune aide d’urgence. D’importantes différences existent entre cantons au niveau du coût moyen occasionné par personne et par nuitée, allant de Fr.14.– (BS) à Fr.41.50 (LU).

Concernant les structures (abris PC, etc.), 13 cantons ont établi un décompte de leurs frais d’exploitation. Ceux-ci s’élèvent à Fr. 449’000.–. Le dispositif d’aide d’urgence mis en place par ces cantons propose un total de 386 places d’accueil. Il révèle de très fortes disparités selon les cantons: Genève propose 90 places d’accueil pour un coût de Fr. 128’275.–; Uri n’en propose que 6 pour un coût de Fr.1’200.–.

Ces chiffres montrent combien le dispositif réservé au NEM dépend largement de la volonté des autorités de chaque canton et des rapports de force sociaux dans chaque région. C’est le règne de l’arbitraire. Le rapport note que «les capacités d’accueil prévues par les cantons sont plus importantes que l’effectif accueilli. Craignant que l’aménagement de nouvelles structures ne stimule la demande, l’ODR n’y est d’ailleurs pas favorable.»

«Améliorer» les statistiques

Concernant les «conséquences d’ordre général», le rapport révèle que seules 3,4% de ces 1788 personnes victimes d’une décision NEM «ont quitté la Suisse ou ont été raccompagnées. 94% ont quitté le domaine de l’asile de façon non contrôlée.» Autrement dit, 94% ont choisi de vivre sans papiers, en Suisse ou ailleurs. Le rapport ajoute que «cette forte proportion de départs non contrôlés est voulue par le système, [les] NEM [étant], par principe, tenus de quitter le territoire par leurs propres moyens». Un peu plus loin, il précise que «les personnes passées à la clandestinité et celles ayant quitté le territoire par leurs propres moyens ne sont pas prises en compte dans les statistiques des cantons. Quant à savoir combien de personnes ont effectivement quitté la Suisse, il n’existe pas de chiffres pour le vérifier.»

Le but de cette politique est de sortir le plus grand nombre possible de requérants des statistiques de l’asile. Ce que confirme Christoph Blocher: «Les statistiques relevées depuis juin montrent que le recul de nombre de demandes [d’asile] –moins 29%– est beaucoup plus marqué en Suisse que dans les autres pays.» (Le Temps, 18.11.04)

Implacable machine bureaucratique

Au registre des conséquences de cette politique en termes de sécurité publique et de délinquance, le rapport note que «les services de police sont intervenus 265 fois dans 25 cantons (sans TI), arrêtant 200 personnes concernées par une NEM (11% de 1788)». Dans 104 cas (39%, 83 personnes), le «séjour irrégulier» constitue le seul motif de l’interpellation. Autre motif récurrent, le «transfert par un autre canton» (22 personnes). On apprend également que dans le canton d’Argovie «le non-respect de l’interdiction d’accès aux centres est passible de poursuites pour «violation de domicile» (14 personnes)». Le rapport précise que les incidents (comportements récalcitrants, recours à la violence, personnes inconnues passant la nuit dans les centres d’accueil, etc.) directement liés à l’exclusion de l’aide sociale se sont multipliés. Quant à l’apparition d’actes de petite délinquance pour des motifs de subsistance (vols de nécessité) le rapport précise «qu’il est trop tôt pour en juger.»

Enfin, concernant l’application des mesures de contraintes (détention) en vue de l’exécution du renvoi, le rapport précise qu’elle varie beaucoup selon «la politique cantonale. Ainsi le canton de Zurich, comme d’autres cantons germanophones, ordonne systématiquement la mise en détention en vue de l’exécution du renvoi. Pour sa part, le canton d’Argovie engage régulièrement des poursuites pour violation de domicile (détention préventive).»

La précision méticuleuse de cette comptabilité bureaucratique met à jour l’implacable machine mise en place depuis des années –et sans cesse perfectionnée– destinée à détruire le droit d’asile, en plongeant chaque année dans la précarité extrême des milliers d’hommes et de femmes venulels chercher refuge ici. La 6e révision de la Loi sur l’asile (Lasi), qui doit graver dans la loi ce type de dispositifs, sera examinée en mars prochain au Conseil des Etats (cf. La brèche No1). Nous devons nous préparer à la combattre.

Les chiffres du HCR

A l’arrière fond des débats sur l’asile, une campagne récurrente des autorités, à l’échelle européenne: nous serions «envahis» par les requérants d’asile. Ruud Lubbers, Haut-commissaire des Nations unies pour les réfugiés (HCR), remet les choses au point: «En 1992, les 25 pays qui forment aujourd’hui l’Europe recevaient 680’000 demandes d’asile. Elles n’étaient plus que 350’000 l’an dernier.» (Le Monde, 6.11.04)

Vaud: stop aux renvois!

Le Conseil d’Etat vaudois, Jean-Claude Mermoud (UDC) en tête, prépare des expulsions, avec mesures de contraintes, à l’encontre des 523 requérants déboutés du canton de Vaud. La large mobilisation populaire de la fin de l’été l’avait obligé à surseoir aux expulsions. Les autorités ont alors laissé pourrir la situation et fait diversion pour démobiliser: mise en place d’un groupe mixte avec Amnesty International dont les travaux n’ont «pas déployé de grands effets» (24 heures, 26.11.04). Mermoud y a ajouté une visite alibi en Bosnie, fin novembre, pour assurer que «tout va bien». Sur cette base, le conseil d’Etat compte remettre en marche la machine à expulser. Solidarité et mobilisation sont indispensables. Informations : www.stoprenvoi.ch

 

 
         
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